Le Temps d’un sourire de Nabil Cabbabé, L’Harmattan, 2021, 223 p.
Tout commence par une réalité d’une absurdité navrante : deux amoureux expirant ensemble, fauchés par la guerre. Mais la réalité s’arrête là. Commence alors la fiction. Line découvre un entre-deux, dans les nuages, et se voit offrir une seconde chance : celle de retrouver Jean. Certes, le fil de leur vie avait été coupé, et de la manière la plus brutale qui soit. Mais « les fils du destin se croisent et font se rencontrer les gens », les liant entre eux. Et si ces fils « doivent être liés à nouveau, ils le seront ».
Afin de retrouver Jean, Line devra le chercher dans le vaste monde et dans plus de deux mille ans d’Histoire, dans un autre espace et dans un autre temps. Elle explorera donc en priorité les périodes historiques et les lieux chers à Jean. La Rome impériale de Titus, celle des esclaves, des affranchis, des gladiateurs, des courses de char, celle qui offrait « du pain et des jeux » ; le mont Hermon où prêchait un prophète dont on buvait les paroles (Line en retiendra, comme une prémonition, « Cherchez et vous trouverez ». Elle réussira même à attirer son attention et à obtenir de lui un regard et un sourire : des instants d’éternité) ; Cana en Galilée où ce même prophète venait de changer l’eau à en vin. Tyr, « la reine des mers » qui se préparait à résister à l’invasion d’Alexandre le Conquérant.
Au cours de ce long périple, Line rencontre une pléiade de personnages providentiels très représentatifs de leur contexte et de leur époque. Bien qu’ayant leur propre personnalité et leur histoire, ils peinent à exister par eux-mêmes et nous font l’effet de… cailloux ; de petits cailloux lumineux éclairant un chemin obscur et incertain. Ils sortent du récit dès l’instant où ils ont joué leur rôle, ils en sortent aussi subitement qu’ils y étaient entrés. Le plus fugace mais aussi le plus troublant d’entre eux est, sans aucun doute, un barbu nimbé de mystère ; un « devin » qui apparaît par deux fois pour prédire à Line qu’elle retrouverait celui qu’elle cherche lorsqu’elle verrait « le signe de la montagne ».
Retrouver Jean. Si tel est, en apparence (et en apparence seulement !), le fil rouge de cette histoire, ce n’est, en fait, qu’un prétexte. Un prétexte pour faire voyager le lecteur et le transporter dans des périodes historiques et des lieux chers à Jean mais, en réalité, chers à Nabil Cabbabé. De ce point de vue-là, l’auteur se confond avec son personnage.
La vérité de l’auteur transparaît également en filigrane dans ce récit émaillé de très nombreuses réflexions sur la guerre : sur ses ravages, sa cruauté, son absurdité et sur la bêtise des hommes qui choisissent leurs héros « dans le camp des guerriers plutôt que dans celui des pacifistes » et les placent sur un piédestal « quand ils ont entraîné avec eux tous les malheurs et le désespoir du monde, en vies volées, en peuples bannis ou asservis ».
Même lorsqu’il a l’air de parler d’autre chose, un auteur finit toujours par parler de lui, de ce qu’il est, de ce qui l’a construit, de ce qu’il ressent. Ayant vécu la guerre du Liban, Nabil Cabbabé avait déjà jugé et condamné dans son premier livre intitulé Le Sang dans le sang ou le Tribunal de la Terre cinq chefs de guerre, en l’occurrence Alexandre le Grand, Jules César, Gengis Khan, Francisco Pizarro et Napoléon Bonaparte. Dans cet ouvrage, remarquable par la justesse de ses descriptions et par la crédibilité de ses dialogues imaginaires, il avait dénoncé leur cupidité, leur orgueil, et leur soif de pouvoir absolu et de domination du monde.
Le premier point commun entre ces deux ouvrages est une recherche très documentée sur les périodes historiques concernées, recherche nourrie par une abondante bibliographie. Le second est un douloureux sentiment de révolte et d’injustice. Cette douleur est ici exorcisée par une fiction où tout devient possible. Le pouvoir de l’auteur n’est-il pas précisément celui-ci ? Le pouvoir de créer, de donner vie et, le cas échéant, de rendre la vie à ceux que la guerre a tués.