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Monde - Présidentielle française

A l’approche du 2e tour, des électeurs musulmans face au scrutin

Si la majorité d’entre eux ont voté pour Jean-Luc Mélenchon lors du premier tour, ils hésitent à présent à s’abstenir ou à apporter leur voix au président sortant dimanche, lorsqu’une minorité plébiscitera l’extrême-droite. 

A l’approche du 2e tour, des électeurs musulmans face au scrutin

Des affiches des deux finalistes du second tour du scrutin présidentiel français, le président sortant Emmanuel Macron et la candidate d'extrême-droite, Marine Le Pen. Loic Venance/AFP

Il est le candidat à avoir rassemblé le plus grand nombre de suffrages d'électeurs de confession musulmane lors du premier tour du scrutin présidentiel français. Arrivé en troisième position dans le classement général (21,95 % des suffrages), talonnant de près Marine Le Pen, le chef de file de La France insoumise (LFI, gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon - taxé d’ "islamo-gauchiste" par certains de ses adversaires -, a été plébiscité le 10 avril dernier par 69% des électeurs musulmans, selon un sondage Ifop réalisé pour La Croix auprès d’un échantillon de 4.000 personnes. Une percée, alors qu’il avait récolté 37% de leurs voix il y a cinq ans, selon un sondage du même institut datant de 2017. Et une évolution à rebours de celle observée chez Emmanuel Macron, qui a reculé auprès de cet électorat en passant de 24% lors du précédent scrutin à 14% cette année, selon une enquête Ifop pour le Figaro et la Fondation Jean Jaurès.

Dans un pays marqué, au cours de la dernière décennie, par une série d’attentats terroristes ; où les Français se divisent sur le sens à donner à la norme culturelle et juridique de la laïcité dans le contexte de la mondialisation libérale et du fait multiculturel ; et alors que certains courants politiques profitent de cette crise pour promouvoir une conception fantasmée de la citoyenneté, la question de l’islam domine le débat public français depuis des années. Dans ces circonstances, l'identité s'est, sans surprise, imposée comme l'un des thèmes phares de la campagne électorale. Et semble même s’être exacerbée, à la faveur de la rhétorique de l’extrême-droite et de l’arrivée du polémiste Eric Zemmour dans la course présidentielle. Port du voile islamique et du burkini dans l’espace public, abattage rituel, fermeture de mosquées considérées comme radicales, mises en garde contre le "danger islamiste" et le "séparatisme" ; l’islam et les musulmans ont déchaîné les passions en cette période électorale.

"Il y a eu deux temps. L’islam était omniprésent avec l’arrivée d’Eric Zemmour, note Hakim El Karoui, Senior Fellow à l'Institut Montaigne. Et puis le sujet a peu à peu disparu ou a été relégué au second plan à partir du mois de janvier, avant de revenir tout à la fin de la campagne avec la question du voile". Mercredi soir encore, l’interdiction du foulard islamique sur la voie publique figurait parmi les sujets abordés lors du face-à-face télévisé entre les deux finalistes du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national (RN, extrême-droite) Marine Le Pen, organisé à quatre jours du vote du second tour.

Aucune distinction entre un musulman et un non-musulman
Autrefois laïcard et bouffeur de curés, le candidat LFI, qui avait qualifié en 2017 le voile de "signe de soumission" et déclaré qu’il ne voyait pas où "Dieu s’intéresserait à un chiffon sur la tête" a depuis effectué un virage conséquent, défenseur aujourd’hui d’une laïcité ouverte et inclusive. S’affichant par exemple fièrement à la manifestation contre l’islamophobie qui s’était tenue en novembre 2019 à Paris, il est parvenu à s’attirer le soutien d’électeurs musulmans s’estimant lésés, voire stigmatisés, sous le mandat de Macron et dans les discours de l’extrême-droite.

Et ce, d’autant plus qu’hormis Jean-Luc Mélenchon, aucun candidat de poids n’a émergé au sein de la gauche traditionnelle. "Les musulmans votent généralement à gauche car ils considèrent que la droite est contre eux, explique Hakim El Karoui. Alors que Mélenchon a été le vote utile à gauche lors de ce scrutin, il a profité du vote utile musulman. En parallèle, Macron n’est pas crédité de beaucoup d’ouverture du côté des musulmans".

Un constat qui résonne chez Yassine, 20 ans, étudiant en psychologie, d’origine marocaine habitant en Ile-de-France. Alors qu’il avait glissé au premier tour le bulletin de Mélenchon dans l’urne, il hésite à présent entre s’abstenir et voter pour le président sortant dimanche. "Le plus important pour moi ce n’est pas que Jean-Luc Mélenchon défende l’islam et les musulmans, mais qu’il ne fasse aucune distinction entre un musulman et un non-musulman, ce que durant le bilan de Macron, je n’ai jamais ressenti", assure le jeune homme, pour qui le bilan social du président sortant a été très décevant.

Épinglé par une partie des citoyens français musulmans, Emmanuel Macron a notamment fait les frais de critiques après sa proposition de loi contre le séparatisme, promulguée en août dernier, dans le sillage de sa stratégie affichée de lutte contre l’islam radical. Un texte qui avait été proposé suite à l’assassinat par arme blanche et la décapitation par un terroriste tchétchène du professeur d’histoire-géographie français, Samuel Paty, dix jours après avoir montré deux caricatures de Mahomet tirées de Charlie Hebdo lors d’un cours sur la liberté d’expression.

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Accusé par certains électeurs d’entretenir un discours ambigu vis-à-vis de la communauté musulmane, Emmanuel Macron aurait été débordé sur sa droite par une partie de son gouvernement. "Son discours à lui a toujours été tempéré. Il a bien pris soin de rappeler ce qu’est la laïcité, c’est-à-dire la neutralité de l’Etat et non pas le combat d’une religion, et a préféré employer le terme de "séparatisme" plutôt que celui d’ "islamisme", explique Hakim El Karoui. Mais ses ministres ont eu des positions qui étaient beaucoup plus à droite que lui : Darmanin, Schiappa, Blancher notamment". Engagé auprès de La République en marche (LREM) depuis 2016, Mehmet, trentenaire d’origine turque habitant la région parisienne, regrette à cet égard que "des ministres aient exprimé leur position personnelle" sur la question. S’il précise que la religion n’est pas le critère principal dans son vote, le jeune homme tient à signaler qu’ il "ne votera jamais pour quelqu’un qui stigmatise ou insulte (sa) croyance", et compte bien faire campagne, comme lors du premier tour, pour Emmanuel Macron.

Indécis sur son attitude dimanche
"Tout en France donne l'impression qu'être musulman c'est être l'ennemi public numéro 1 d'une partie du peuple de ce pays", fustige tout de go Can-Antan, un lycéen d’origine turque. Résidant à Sevran, en Seine-Saint-Denis, il affirme avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon "par conviction". Arrivé largement en tête du premier tour dans 37 villes sur 40 du département de la Seine-Saint Denis, Jean-Luc Mélenchon a notamment récolté près de 55% des voix à Sevran. Si jusqu’à présent, la différence entre le taux de participation moyen et celui des quartiers populaires était davantage marqué, le candidat Insoumis semble avoir réussi le pari de convaincre d’anciens abstentionnistes de lui apporter leur soutien. "Tout en étant le seul à tenir un discours très clair sur la défense des musulmans, Jean-Luc Mélenchon a fait une très bonne campagne vis-à-vis des jeunes et a labouré les quartiers populaires, ce que personne d’autre n’a fait", poursuit Hakim El Karoui.

Issu d’un milieu modeste, Can-Atan confie que le social a autant joué que la religion dans son vote. Or, Emmanuel Macron lui apparaît comme un homme vivant "dans sa petite tour d'Ivoire, entouré de ses élites et qui donne l'impression de nous mépriser". L’avenir, sous le président sortant, comme sous la candidate d’extrême-droite, lui fait peur. Indécis sur son attitude dimanche, Can-Atan se dit simplement déçu.

Si elle avait elle aussi voté au premier tour pour Jean-Luc Mélenchon, Folla, septuagénaire d’origine algérienne habitant Paris et qui aime à dire que le candidat "est marié à une algérienne", se tournera vers Emmanuel Macron dimanche face au danger de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite.

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Exécrant ce que la candidate Marine Le Pen avait dit "sur le droit du sol, les binationaux, la priorité nationale pour le travail, le fait que ce sont les Français de souche qui auront la priorité au travail", Folla tient cependant un discours différent sur le port du voile. "Les femmes qui le portent, qu’elles le portent, mais pour moi elles ont sali la France. Je veux qu’on respecte le lieu où on habite". Alors qu’elle s’estime intégrée en France, la femme âgée affirme que cela n’est pas suffisant aux yeux de nombreux Français. "Dans la vie quotidienne, dans le métro, le bus, les commerces, je vois beaucoup de regards mal placés. Je suis comme eux, je porte un jean, des habits courts. Mais ça ne suffit pas dans les périodes comme ça, le faciès est toujours là".

"Vaccination forcée"
Issu d’une catégorie minoritaire de musulmans ayant plébiscité l’extrême-droite, Adel*, 24 ans, étudiant en licence de psychologie et employé de magasin à côté de ses études, habitant un village près de Montpellier, avait voté pour Marine Le Pen le 10 avril. Et s’apprête une nouvelle fois à faire ce choix dimanche. Ce Français d’origine algérienne et de confession musulmane affirme qu’hormis la question du voile, qu’il souhaite voir inclue dans un référendum d’initiative citoyenne, "son programme est correct et bienveillant concernant la France et l'islam".

L’étudiant, qui confie ne manger qu’un repas par jour et faire la queue dans les banques alimentaires pour survivre, se dit "pris à la gorge » par l’augmentation des prix de l’essence, de l’alimentation et de l’énergie. Mais d’autres enjeux, tels que la question du vaccin, semblent avoir eu raison de son choix. Se défendant d’être "antivax", Adel dénonce cependant "la vaccination forcée ou effectuée par le chantage comme l'a fait Emmanuel Macron". Et n’hésite pas à affirmer que le président "nous dirige vers une guerre contre la Russie". Alors que le candidat LREM a apporté son soutien aux Ukrainiens depuis la fin février, son opposante a été vivement critiquée pour son affinité avec le Kremlin et notamment pour un prêt contracté en 2015 auprès d’une banque russe proche du pouvoir.

*Le prénom a été modifié

Il est le candidat à avoir rassemblé le plus grand nombre de suffrages d'électeurs de confession musulmane lors du premier tour du scrutin présidentiel français. Arrivé en troisième position dans le classement général (21,95 % des suffrages), talonnant de près Marine Le Pen, le chef de file de La France insoumise (LFI, gauche radicale), Jean-Luc Mélenchon - taxé d’...

commentaires (3)

Adel est le seul musulman qui va voter Marine.

Céleste

14 h 31, le 23 avril 2022

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Commentaires (3)

  • Adel est le seul musulman qui va voter Marine.

    Céleste

    14 h 31, le 23 avril 2022

  • Ce qui est condamnable ds le discours de Marine Le Pen est sa critique des USA,de l UE ,du liberalisme et sa proximité avec POUTINE…on dirait un programme communiste…!

    HABIBI FRANCAIS

    12 h 46, le 23 avril 2022

  • Trois choses que je n’aime pas à Le Pen 1) elle est pour Poutine 2) elle est contre UE 3) elle est contre le voile en public . Moi qui est libanaise je ne trouve pas de problème , moi qui a grandi avec 18 confessions je trouve qu’il est inacceptable.

    Eleni Caridopoulou

    21 h 06, le 22 avril 2022

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