Le président sortant Emmanuel Macron est arrivé dimanche en tête du premier tour de l'élection présidentielle française selon les premières estimations, devançant de quelques points la dirigeante de l'extrême droite Marine Le Pen qu'il affrontera le 24 avril dans un duel qui s'annonce serré. D'après trois estimations de différents instituts, M. Macron arrive en tête avec des scores entre 28,6 et 29,7%, à l'issue d'une campagne fortement perturbée par la pandémie et la guerre en Ukraine.
Marine Le Pen arrive deuxième, entre 23,5 et 24,7% selon les estimations des instituts Opinionway, Ifop et Harris, devant le chef de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon qui oscille entre 19,8% et 20,5%. L'abstention est particulièrement forte, entre 26,2% et 29,1% selon deux estimations, marquant le dédain croissant des Français vis-à-vis de leur classe politique. C'est plus que les 22,2% de 2017, alors que le record est de 28,4% en 2002.
En ce qui concerne les partis traditionnels de droite et de gauche, qui étaient déjà à l'agonie depuis des années en France, le premier tour de la présidentielle dimanche a enfoncé un nouveau clou dans leur cercueil. Selon les premières estimations, les socialistes récoltent un humiliant résultat autour de 2%, voire moins, et la droite républicaine obtient 5,1%, ou moins, des voix.
Marine Le Pen
Marine Le Pen, qui avait été défaite par Emmanuel Macron en 2017, n'a jamais semblé aussi proche de la victoire selon les sondages réalisés avant l'élection qui la donnent perdante de très peu, dans la marge d'erreur. Mais elle semble avoir une relativement faible réserve de voix pour le second tour aux vues des estimations de score de l'autre candidat de l'extrême droite Eric Zemmour (entre 6,8% et 7%). Cela reste malgré tout une configuration plus favorable pour elle que quand elle n'avait aucune réserve claire comme en 2017. Dimanche soir, M. Zemmour a d'ailleurs appelé se partisans à voter Le Pen au second tour. "J'ai bien des désaccords avec Marine Le Pen. Mais il y a face à elle un homme qui a fait entrer deux millions d'immigrés, qui n'a jamais évoqué le thème de l'identité, je ne me tromperai pas d'adversaire", a déclaré M. Zemmour devant ses partisans.
Après l'annonce des résultats, la présidente du Rassemblement national a invité dimanche soir "tous les Français de toutes sensibilités" à "la rejoindre pour mettre en oeuvre la grande alternance dont la France a besoin". "Ce qui se jouera le 24 avril sera un choix de société et de civilisation", a lancé Mme Le Pen, en promettant notamment de "restaurer la souveraineté de la France", d'instaurer un référendum d'initiative citoyenne et de réduire la "fracture sociale", dans sa première prise de parole après l'annonce des résultats.
Une victoire de Mme Le Pen pourrait avoir d'importantes conséquences internationales, étant donné ses positions hostiles à l'intégration européenne et sa volonté, par exemple, de sortir du commandement intégré de l'OTAN. Son élection créerait une double première: première accession au pouvoir par les urnes de l'extrême droite et première femme présidente.
"En 2017, Marine Le Pen n'avait pas de réserve significative. Là elle devrait pouvoir aller beaucoup plus loin. Macron va devoir aller à la pêche aux voix chez Jean-Luc Mélenchon", a estimé le politologue Pascal Perrineau sur Arte. "C'est une nouvelle élection qui commence", a estimé sur France 2 Louis Aliot, un des cadres du Rassemblement national (RN) le parti de Mme Le Pen, appelant au "rassemblement" ceux qui ne veulent pas d'un second mandat d'Emmanuel Macron.
Macron : "Rien n'est joué"
Un peu plus tard, Emmanuel Macron a remercié les candidats battus lui ayant apporté, dès hier soir, leur soutien. "J'invite solennellement nos concitoyens quelles que soient leurs sensibilités et choix au premier tour à nous rejoindre. Certains le feront pour faire barrage à l'extrême droite, et je suis pleinement conscient que cela ne sera pas soutien au projet que je porte", a-t-il ajouté, en mentionnant Jean-Luc Mélenchon. "Dans ce moment décisif pour l'avenir de la nation, plus rien ne doit être comme avant. C'est pourquoi je souhaite tendre la main à tous ceux qui veulent travailler pour la France. Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau pour rassembler les convictions et sensibilités diverses afin de bâtir avec eux une action commune au service de notre nation. C'est notre devoir." "Rien n'est joué", a-t-il encore martelé. "Le 24 avril, nous pouvons faire le choix de la France et de l'Europe ensemble !", a-t-il conclu, avant de répéter : "Rien n'est fait".
Le débat télévisé
Ce sont "deux visions de la France qui vont s'affronter", selon le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire.
Un moment clé des deux semaines de la nouvelle campagne qui commence sera le 20 avril lors du traditionnel débat télévisé de l'entre-deux tours. En 2017, le phénomène Emmanuel Macron dynamitant la gauche et la droite par le centre, avait nettement dominé Marine Le Pen. En 2022, la fille de l'ancien et sulfureux tribun Jean-Marie Le Pen, qui avait été le premier à conduire l'extrême droite au deuxième tour en 2002, semble nettement mieux préparée. Elle a conduit une campagne de terrain, axée sur le pouvoir d'achat, principale préoccupation des électeurs, tandis qu'Emmanuel Macron, accaparé par la guerre en Ukraine et peut-être trop mis en confiance par les sondages, s'est peu impliqué dans ce premier tour.
La campagne électorale a été inédite, car complètement perturbée par la pandémie de Covid 19 et par la guerre. Déboussolé ou lassés, de très nombreux Français se sont abstenus ou ont hésité jusqu'au dernier moment avant de choisir leur candidat parmi les douze prétendants. Comme Françoise Reynaud, une électrice de 55 ans à Marseille (sud): "Sur les 12, j'en avais sélectionné quatre hier soir, et je me suis décidée ce matin". A Pantin, en région parisienne, Blandine Lehout, comédienne de 32 ans, expliquait qu'elle n'irait pas voter: "C'est la première fois de ma vie", "mais là je les déteste tous. On est à un stade où ils me font peur", explique-t-elle.
Faire barrage à l'extrême droite
L'abstention sera aussi un des enjeux principaux du second tour, ainsi que les reports de voix.
Certains candidats ont appelé, dès dimanche soir, à faire barrage à Mme Le Pen, comme le communiste Fabien Roussel, la socialiste Anne Hidalgo ou l'écologiste Yannick Jadot. Valérie Pécresse, la candidate de la droite traditionnelle, laminée aux alentours de 5%, a déclaré dimanche soir qu'elle voterait "en conscience" pour Emmanuel Macron. Mais la stratégie du "Front républicain", employé depuis des décennies par les partis de gouvernement pour tenter d'enrayer la progression de l'extrême droite semble désormais à bout de souffle tant la défiance des électeurs est grande. Dans l'entourage de M. Macron, on admet que ce réflexe, dont il avait bénéficié lors de son élection en 2017, n'est plus une évidence.
Le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième mais loin derrière, avait vainement appelé au "vote utile" sur son nom. Il avait annoncé avant l'élection qu'il consulterait sa base avant de se prononcer sur une éventuelle consigne de vote. "Nous savons pour qui nous ne voterons jamais", a-t-il déclaré lors d'un discours, dimanche soir, après les résultats. "Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen", a-t-il ensuite martelé à plusieurs reprises.
Les partis traditionnels de gauche et de droite laminés
La gauche se retrouve ainsi éjectée du deuxième tour pour la deuxième fois de suite après 2017, ce qui n'était jamais arrivé sous la Ve République (depuis 1958). La chute de la maison socialiste, minée par ses divisions idéologiques et ses batailles d'égo, s'est accélérée sous le mandat du président François Hollande (2012-2017), qui a dû renoncer à se représenter pour un second mandat en 2017. Dynamité par un candidat pourtant venu de ses rangs, Emmanuel Macron, le Parti socialiste (PS) avait enregistré au premier tour un échec historique, son candidat Benoît Hamon ne récoltant que 6,36% des voix. La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, enregistre une défaite encore plus cuisante, créditée de 1,9 à 2,1% des voix. Elle n'a jamais réussi à décoller et sa campagne a été marquée par des propositions qualifiées d'irréalistes ou démagogiques, comme le doublement du salaire des enseignants, et des tergiversations sur l'organisation d'une primaire pour rassembler la gauche.
A droite, le parti d'inspiration gaulliste LR (Les Républicains) n'a jamais vraiment remonté la pente après la défaite de son chef et président sortant Nicolas Sarkozy en 2012, et s'est longtemps déchiré pour trouver un leader. La présidente de la région Ile-de-France (région parisienne) Valérie Pécresse a un temps créé l'illusion en montant haut dans les sondages après sa désignation suite à une primaire militante. Mais elle finit dans le décor, avec entre 4,5% et 5,1% des voix selon les estimations, un score sans précédent pour sa formation. Mme Pécresse n'a pas réussi à imposer un discours clair entre la radicalisation d'une partie de LR, et l'affirmation d'une droite républicaine étanche aux idées d'extrême droite.