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Le grand roman indien

Le grand roman indien

Rabindranath Tagore D.R.

Après deux années de reports en raison de la pandémie de Covid-19, l’Inde est enfin l’invitée d’honneur du tout nouveau salon du livre de Paris, rebaptisé Festival, et planté au cœur de la capitale, sur le Champ de Mars, face à la Tour Eiffel, sous le Grand Palais éphémère imaginé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte et censé durer jusqu’aux jeux Olympiques de 2024. Le Festival réinventé se tiendra du 22 au 24 avril. Une occasion exceptionnelle pour les lecteurs français de découvrir ou de se familiariser avec une littérature à l’image du sous-continent : vaste, foisonnante, multiple, diverse, notamment linguistiquement, même si presque tous les auteurs indiens traduits en France le sont à partir de l’anglais (l’inglish), plutôt qu’à partir des 22 langues nationales officielles, quand même pratiquées chacune par des centaines de millions de gens. En Inde, tout est démesuré. À noter également qu’une partie des Indiens vit en dehors du pays, essentiellement au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Afrique, en Australie – la plus importante diaspora au monde, qui compte dans ses rangs des écrivains comme Rohinton Mistry à Vancouver. Souvent, les écrivains indiens vivent entre leur pays et l’étranger, ce qui les rend difficiles à tracer mais leur permet aussi d’avoir une ouverture sur le reste du monde, même si leur inspiration demeure en général très indienne. Tentons donc un rapide panorama.

Le gourou de la littérature indienne, le grand fondateur, est incontestablement le Bengali Rabindranath Tagore (1861-1941), poète, nouvelliste, romancier mais aussi musicien, dessinateur et peintre. Son œuvre la plus connue est le Gitanjali, traduit de l’anglais (Tagore écrivait aussi en bangla) en français dès 1913 par André Gide sous le titre L’Offrande lyrique, et publié à la nrf, dont il fut le premier Prix Nobel de littérature. Tagore est le seul Indien à ce jour ayant reçu cette distinction qui connût un retentissement mondial et attira l’attention sur « les Indes », lesquelles faisaient encore partie du Raj britannique. Les colonisateurs ayant mis un soin méthodique à maintenir la masse des Indiens dans l’illettrisme ou l’ignorance, Tagore peut être aussi considéré, au tournant du XXe siècle, comme l’un des pionniers de la lutte pour l’indépendance du pays, laquelle n’interviendra que le 15 août 1947. Il était déjà mort depuis six ans.

Après lui, un autre romancier emblématique émerge : le Tamoul R. K. Narayan (1907-2001), ami de Graham Greene, qui consacra l’essentiel de son œuvre à dépeindre avec humour et tendresse un petit village de l’Inde du sud et ses habitants, qu’il connaissait bien. Un peu oubliés aujourd’hui, même si admirés par de jeunes romanciers comme Aravind Adiga, quelques-uns de ses livres sont réédités de temps à autre chez divers éditeurs français, Zulma par exemple. Parmi les précurseurs atypiques, on peut ajouter Satya jit Ray (1921-1992), encore un Bengali, bien plus connu comme cinéaste que comme écrivain. Mais il est l’auteur de nombreux contes pour enfants, et même d’une série de romans policiers un peu désuets, publiés chez Kailash.

Mais le vrai père du grand roman indien contemporain c’est Salman Rushdie, au début des années 1980. Son roman fondateur demeure Les Enfants de minuit (Stock) qui racontait, de façon épique, lyrique et foisonnante, la nuit du 15 août 1947, à Bombay, quand l’Inde accéda à sa liberté. Rushdie est né cette année-là. Par la suite, il a poursuivi une œuvre abondante et baroque, même si la célébrité internationale lui est venue pour des raisons extralittéraires dont il se serait bien passé, avec Les Versets sataniques (Christian Bourgois, 1989) et la fatwa des Iraniens qui l’a longtemps poursuivi dans tout le monde musulman, et même en Inde, son pays, où il n’a pas pu se rendre durant plus de dix ans. Rushdie a en quelque sorte décomplexé les romanciers indiens, en particulier quant au volume de leurs livres, souvent des romans-fleuves. C’est le cas du remarquable Garçon ordinaire de Vikram Seth (Grasset) qui introduisait la composante homosexuelle dans cette littérature en voie d’être connue en France, ou encore de L’Équilibre du monde (Albin Michel) du Parsi Rohinton Mistry. Un grand livre, mais d’un pessimisme accablant : malgré tout leur courage, deux lumpen-prolétaires de Bombay ne pourront pas échapper à leur destinée, qui est de vivre et de mourir dans l’injustice et la misère. On peut encore citer Amitav Ghosh, un autre Bengali (les Bengalis sont réputés pour être des lettrés), avec Le Pays des marées (Robert Laffont), un superbe roman situé dans les Sundarbans, la plus grande mangrove du monde, dans le delta du Gange au sud-est de Calcutta, où vivent des hommes, des tigres, des dauphins et une multitude d’oiseaux. Mais cet écosystème unique se voit particulièrement menacé par l’urbanisation, et le réchauffement climatique – problèmes que dénoncent les héros du roman, dont une biologiste américaine venue enquêter sur le terrain.

Le roman indien, aujourd’hui « mondialisé », prend volontiers en compte l’état du monde et ses problèmes politiques. C’est le cas du Trône du paon (Grasset), de Sujit Sharaf, énorme chronique du petit peuple du bazar de Chandni Chowk, à New Delhi, victime de la tyrannie d’Indira Gandhi, de son retour au pouvoir en 1980 jusqu’à son assassinat en 1984, ou encore du Tigre blanc d’Aravind Adiga (Buchet-Chastel), Booker Prize 2008, considéré comme un tableau très critique de l’Inde d’aujourd’hui, best-seller planétaire qui a suscité et suscite encore, dans le pays, des polémiques passionnées. On peut en dire autant du Dieu des petits riens (Gallimard) d’Arundathi Roy, sans doute l’écrivaine indienne la plus connue en France aujourd’hui, notamment pour son rôle d’opposante numéro un au régime de l’actuel Premier ministre, Narendra Modi.

Dans un autre registre, nombre d’écrivains indiens qui ont vécu dans la diaspora traitent du thème du retour au pays, ponctuel ou définitif. C’est le cas du très beau La Chambre des parfums d’Inderjit Badhwar (Le Cherche midi), où un fils revient, après la mort de son père, dans la demeure familiale et se voit assailli par tous ses souvenirs de jeunesse. C’est le cas aussi de La Laitière de Bangalore (Mercure de France) de Shoba Narayan, histoire autobiographique d’une famille de la middle class qui quitte la Californie pour Bangalore et s’adapte, avec beaucoup d’humour, à sa nouvelle et passablement délirante nouvelle vie. Enfin, dans ce même registre aimable, « grand public », qui n’exclut pas les problématiques sociales, on saluera Slumdog Millionnaire (Belfond) de l’écrivain-diplomate Vikas Swarup, best-seller mondial popularisé par le film de l’Anglais Danny Boyle (sympathique mais inférieur au livre, comme souvent). Vikas Swarup sera l’un des auteurs présents à Paris pour le Festival du livre. Il parlera entre autres du roman policier, un autre genre auquel il s’est essayé, avec Kalpana Swaninathan, une émule d’Agatha Christie (deux titres publiés au Cherche midi), ou encore Ajay Banerjee (auteur d’une série policière publiée chez Liana Levi). Encore un des genres, comme la jeunesse, où les Indiens excellent, et qui témoigne de la formidable richesse de cette littérature.

Après deux années de reports en raison de la pandémie de Covid-19, l’Inde est enfin l’invitée d’honneur du tout nouveau salon du livre de Paris, rebaptisé Festival, et planté au cœur de la capitale, sur le Champ de Mars, face à la Tour Eiffel, sous le Grand Palais éphémère imaginé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte et censé durer jusqu’aux jeux Olympiques de 2024. Le...
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Ne pas oublier l’auteure Kiran Desai et son roman “La perte en héritage” http://www.editionsfides.com/fr/product/editions-fides/litterature/romans-recits-nouvelles/la-perte-en-heritage_248.aspx?id_page_parent=134&prevnext=typemodule%3D1017%26globalitemindex%3D55%26aidcategorie%3D2%26sort%3DPopularityASC

Jean-Marc Edwards

15 h 42, le 18 avril 2022

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  • Ne pas oublier l’auteure Kiran Desai et son roman “La perte en héritage” http://www.editionsfides.com/fr/product/editions-fides/litterature/romans-recits-nouvelles/la-perte-en-heritage_248.aspx?id_page_parent=134&prevnext=typemodule%3D1017%26globalitemindex%3D55%26aidcategorie%3D2%26sort%3DPopularityASC

    Jean-Marc Edwards

    15 h 42, le 18 avril 2022

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