Derrière la bataille électorale traditionnelle, se cachent aujourd’hui de multiples petites guerres qui ressemblent à des règlements de comptes. L’une d’elles se déroule dans la circonscription de Beyrouth II qui symbolise (avec Tripoli) le véritable poids sunnite au Liban, avec 6 sièges pour cette communauté, deux pour les chiites, un pour les grecs-orthodoxes, un autre pour les protestants et un dernier pour les druzes. Au-delà des enjeux purement politiques, une véritable lutte sourde se déroule dans cette circonscription au sein de la base du courant du Futur, entre les fidèles à Saad Hariri et ceux qui se sont ralliés à Fouad Siniora.
Après l’annonce du chef du Futur de suspendre, lui et sa formation, leurs activités politiques, l’ancien Premier ministre Siniora s’est porté candidat pour combler le vide qui est ainsi apparu. Il s’est déplacé de Saïda (son fief) à Beyrouth, pour être plus proche de la base populaire sunnite. Mais il s’est très vite heurté à une opposition silencieuse mais déterminée de la part des cadres et des partisans du courant du Futur, qui ont vu dans sa décision un coup de poignard dans le dos de Saad Hariri. Sans le dire ouvertement, ce dernier était donc opposé à ce que l’ancien Premier ministre (ou qui que ce soit d’autre) cherche à lui prendre le leadership de la communauté sunnite au Liban. C’est dans ce contexte qu’il avait demandé aux membres du courant du Futur désireux de se présenter aux législatives de mai de démissionner auparavant de la formation. Les tiraillements ont aussitôt commencé à apparaître au grand jour, notamment au niveau de la base, dans certains quartiers considérés comme des fiefs du courant du Futur à Beyrouth, comme Tarik Jdidé. Au point que Fouad Siniora qui songeait d’abord à se présenter personnellement à Beyrouth II a dû renoncer à une telle démarche, surtout après la décision de l’actuel Premier ministre Nagib Mikati de se contenter d’appuyer des listes sans se lancer lui-même dans la bataille.
Fouad Siniora s’est alors attelé à la formation d’une liste solide, en mesure de mobiliser la rue sunnite. Il a sondé l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies Nawaf Salam puis « l’association des familles beyrouthines » qui ont rejeté ses propositions, avant de fixer son choix sur l’ancien juge Khaled Kabbani. En principe, avec le parrainage de Fouad Siniora et de ses alliés locaux et étrangers, cette liste qui a choisi pour slogan « Beyrouth fait face » devait être la plus forte dans cette circonscription. Il faut rappeler que lors des dernières élections législatives en 2018, la liste du courant du Futur présidée par Saad Hariri avait obtenu 4 des 6 sièges sunnites de la circonscription, le cinquième ayant été décroché par les Ahbache (Adnane Traboulsi) et le sixième par l’indépendant Fouad Makhzoumi.
Cette fois, la bataille semble plus compliquée, parce que la liste parrainée par M. Siniora doit désormais faire face à celle présidée par Nabil Badre, chef du club sportif des Ansar. Cet homme d’affaires est populaire auprès des sunnites et cette année, de nombreux partisans du courant du Futur se sont ralliés à lui, en réaction à l’attitude de Fouad Siniora. Sa liste, baptisée « C’est Beyrouth », est le fruit d’une alliance avec la Jamaa islamiya, mais parmi ses candidats on trouve aussi Mahmoud al-Jamal, proche de Saad Hariri. Pour l’assise populaire du courant du Futur, la bataille électorale dans cette circonscription se déroule essentiellement entre ces deux listes, et elle prend une tournure émotionnelle de règlement de comptes entre Fouad Siniora et Saad Hariri. Le dernier coup de fil entre l’ambassadeur saoudien à Beyrouth Walid Boukhari et l’ancien Premier ministre Siniora au premier jour du mois de ramadan a été d’ailleurs interprété par les milieux proches de ce dernier comme une nouvelle preuve de l’appui des dirigeants saoudiens à sa liste. D’autant que le diplomate saoudien – qui, selon certaines informations, devrait revenir bientôt à Beyrouth – n’a contacté aucune autre personnalité libanaise. Ce qui, selon les observateurs, est un indice de la relation privilégiée entre M. Siniora et le royaume.
Loin de convaincre les partisans du courant du Futur, cette interprétation renforce leur détermination à combattre la liste parrainée par M. Siniora. Ils veulent appuyer la liste « C’est Beyrouth » contre « Beyrouth fait face », plutôt que de boycotter des élections auxquelles, jusqu’à présent, ils ne trouvaient aucun intérêt. D’ailleurs, ces deux listes puisent leurs voix dans la même base populaire.
La lutte au sein de l’assise populaire du courant du Futur plane donc sur la bataille électorale dans la circonscription de Beyrouth II. Et cela fait le bonheur des listes adverses : celle menée par Fouad Makhzoumi baptisée « Beyrouth a besoin d’un cœur » ; les 5 listes de la société civile et des forces de l’opposition ; la liste appuyée par Amal et le Hezbollah, « L’unité de Beyrouth », qui, outre les deux sièges chiites, espère aussi remporter un siège sunnite pour Abdallah Matraji ; et celle des Ahbache qui espèrent obtenir deux sièges (pour Adnane Traboulsi et Ahmad Dabbagh).
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19 h 56, le 06 avril 2022