Le 18 mars dernier, l'Espagne soutenait publiquement, pour la première fois, la position du Maroc sur le dossier hautement sensible de la souveraineté du Sahara occidental. Si cette rupture avec une politique de neutralité a permis de mettre fin à une brouille diplomatique majeure entre Madrid et Rabat, elle interroge sur ses conséquences pour les relations diplomatiques entre l'Espagne et l'Algérie.
"L'Espagne considère que l'initiative d'autonomie présentée en 2007 (par le Maroc) est la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend" entre Rabat et les indépendantistes du Front Polisario, a déclaré le ministre espagnole des affaires étrangères José Manuel Albares.
Dans une déclaration inédite, le gouvernement espagnol a apporté, la semaine dernière, son soutien à l’initiative d’autonomie de cette région que se disputent Alger et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, appuyés par Rabat. Ce compromis, présenté en 2007, consiste en la création de la Région autonome du Sahara (RAS) disposant de compétences législatives, exécutives et judiciaires propres ainsi que d’une fiscalité locale, sous souveraineté marocaine.
Si les autorités algériennes ont immédiatement rappelé leur ambassadeur à Madrid, la décision espagnole vient mettre fin à une crise diplomatique majeure avec Rabat déclenchée en avril 2021 après que l’Espagne ait accueilli Brahim Ghali, leader du Front Polisario, pour être soigné du Covid-19. Interrogée par L’Orient-Le Jour, Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb Sahara occidental et enseignante chercheure à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, analyse les enjeux et les conséquences de la politique espagnole sur ce dossier.
Comment expliquer le timing de la décision de Madrid ?
Cette décision est celle de Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol et non celle de l'ensemble de la classe politique espagnole. Il évoque le plan d'autonomie proposé par Rabat depuis 2007 comme une solution sérieuse pour clore le règlement du conflit du Sahara occidental. C'est en effet un changement de cap, puisque jusque- là l'Espagne avait une position neutre sur la souveraineté de ce territoire qu'elle a colonisé. Malgré cela, Madrid n'adopte pas la position qui était celle de Donald Trump reconnaissant, en décembre 2020, que le Sahara occidental était marocain. Depuis cette reconnaissance par Donald Trump, en contrepartie de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine, n'a eu de cesse d'inciter les Etats européens à "sortir de leur zone de confort", selon son expression, pour emboîter le pas aux Etats-Unis. La pression a été forte sur Madrid, le Maroc, usant notamment de l'arme migratoire. En mai 2021, près de 10 000 migrants - majoritairement marocains - ont déferlé sur la ville espagnole de Ceuta.
Depuis, Pedro Sanchez a voulu bâtir une nouvelle relation avec Rabat pour ne plus avoir à subir cette pression migratoire, mais aussi pour préserver un partenariat économique très important pour Madrid, son premier partenaire économique. En soutenant la proposition marocaine d'autonomie, Madrid clôt une crise politique qui avait été provoquée par l'accueil, en avril 2021, en Espagne de Brahim Ghali, le chef du Front Polisario, venu se faire soigner. Ce sont donc les intérêts économiques et stratégiques qui ont conduitf Pedro Sanchez a opter pour un autre positionnement dans ce conflit vieux de plus de 45 ans.
Quelles conséquences cette décision peut-elle avoir sur les relations entre Madrid et Alger ?
Bien sûr, cela ne pouvait que mécontenter Alger qui a immédiatement rappelé son ambassadeur à Madrid. A terme, les relations entre Alger et Madrid pourraient naturellement en pâtir. L'Algérie est un des principaux fournisseurs de gaz de l'Espagne. Dans l'immédiat, il est peu probable qu'Alger cesse son approvisionnement, mais il pourrait réserver ses surplus à des pays "amis", ce qui contraindrait Madrid à se fournir ailleurs, à un prix plus élevé. Mais le changement de cap politique de l'Espagne vis-à-vis du Sahara semble avoir été préalablement pensé. Récemment, Madrid a réduit sa dépendance au gaz algérien, en important du gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-unis notamment.
Cette décision aura-t-elle un impact sur la résolution de la question du Sahara occidental ?
Pour l'heure, et même si Rabat s'en réjouit, le nouveau positionnement de Madrid ne modifiera pas la donne. Car le Maroc a besoin d'une reconnaissance internationale qui passe par l'ONU. Depuis 1991, le règlement de ce conflit de décolonisation est confié aux Nations unies. Toutefois, en termes d'achat d'influence, l'Espagne, ancienne puissance coloniale, est une prise importante pour le pouvoir marocain. Rabat pense que l'exemple espagnol pourrait inciter d'autres Etats européens à sortir d'une neutralité de façade. Le Maroc attend une attitude similaire de la part de la France et de l'Allemagne. Mais cela suppose aussi que l'ensemble de la classe politique espagnole se range derrière cette déclaration de Pedro Sanchez. Aujourd'hui, elle divise autant sur le fond que sur la forme.
En outre, l'Espagne se voit aujourd'hui confortée par les positions pro Poutine de l'Algérie.
09 h 35, le 27 mars 2022