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Moyen-Orient - Arabie saoudite

Des résidents de Djeddah expulsés pour permettre la démolition de leurs quartiers

La destruction de bâtiments se poursuit dans la deuxième ville du pays, que les autorités cherchent à moderniser, malgré le mécontentement de ses habitants.

Des résidents de Djeddah expulsés pour permettre la démolition de leurs quartiers

Une vue de la vieille ville de Djeddah sur la mer Rouge. Photo d’archives AFP

En Arabie saoudite, les réformes ressemblent au passage d’un bulldozer, au sens propre comme au figuré. À l’image des changements radicaux qui ont chamboulé les normes sociales dans le royaume ces dernières années, des zones entières sont en train d’être rasées pour faire place au neuf à Djeddah, deuxième ville saoudienne, aussi connue sous le nom de « la fiancée de la mer Rouge ». Plus de soixante quartiers sont en cours de démolition dans la zone sud de la ville, dans le cadre d’un projet de modernisation aux contours encore vagues, qui vise au développement économique et touristique de ce point de passage privilégié vers La Mecque. Si l’initiative en elle-même n’avait pas provoqué de tollé, la manière dont elle est mise en œuvre, sur fond d’expulsions sans préavis et d’absence de compensation, aurait suscité l’indignation et fait poindre une contestation du pouvoir dans la capitale commerciale et culturelle du pays. Une chose rare dans le royaume wahhabite plus connu pour sa répression politique que pour sa liberté d’expression.

C’est par un simple graffiti sur la façade de leur immeuble que de nombreux résidents de Djeddah ont appris leur expulsion ces derniers mois, leur laissant quelques jours seulement, quelques mois pour les plus chanceux, avant la date fatidique de la démolition de leur lieu de vie. Selon le maire de Djeddah, Saleh al-Turki, un demi-million de personnes devraient être expulsées dans la soixantaine de quartiers visés par les démolitions et décrits par les autorités comme des bidonvilles et des implantations sauvages. « Sur les 4,5 millions d’habitants de la deuxième ville saoudienne, 1,5 million de personnes sont déjà affectées ou vont l’être prochainement », estime pour sa part Abdullah Alaoudh, directeur de recherche pour l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à DAWN (Democracy for the Arab World Now). Alors que les loyers ont fortement augmenté dans la ville à la suite de ces démolitions, certains ont dû renvoyer leur famille dans leur village d’origine, d’autres sont temporairement hébergés chez des proches, et des immigrés sans papiers auraient été déportés.

Indignation des résidents

Pour la plupart des expulsés qui contestent le caractère illégal de leur implantation, aucun programme de relocalisation ou de compensation n’a été proposé en amont. Selon les autorités, un peu plus de 10 % de la surface concernée par la démolition appartiendrait à des citoyens saoudiens, tandis que le reste des terres serait la propriété du gouvernement, sur laquelle des constructions illégales ont été bâties. « Le gouvernement prétend que la plupart des habitants sont des immigrés sans papiers. Si cela peut être vrai pour une petite partie de la population, la majorité des résidents de ces zones vivent dans ces quartiers historiques depuis des générations », soutient pour sa part l’activiste en exil Wajeeh Lion. À la suite de l’indignation exprimée sur les réseaux sociaux, les autorités de La Mecque, province dont Djeddah fait partie, ont invité fin janvier les habitants à s’inscrire pour réclamer une compensation qui se limiterait à la valeur du terrain et des gravats pour ceux qui pourraient présenter un titre de propriété, ou à la seule valeur des gravats pour les autres. « Les procédures saoudiennes d’enregistrement foncier se sont améliorées mais elles continuent d’être déficientes. On peut construire une maison avec un acte de vente, sans avoir nécessairement un titre de propriété, tandis que d’autres personnes peuvent détenir un acte de vente similaire. (...) Certains construisent en attendant d’obtenir un titre de propriété auprès de l’administration, ce qui peut prendre parfois quinze ou vingt ans. D’autres encore ont des titres de l’époque ottomane qui n’ont pas été transférés à l’époque de l’Arabie saoudite », explique Ali al-Ahmed, qui dirige The Institute for Gulf Affairs. Contactée par L’Orient-Le Jour, la municipalité de Djeddah n’a pas donné suite.

Selon les informations du Institute for Gulf Affairs, se trouve derrière cette entreprise de démolition la « Jeddah Development and Urban Regeneration Company » (JDURC), une société présidée par Mohammad ben Salmane (MbS), le prince héritier, dirigeant de facto du royaume wahhabite, et qui n’a pas répondu aux sollicitations de L’Orient-Le Jour. L’idée serait de faire du « recyclage » immobilier en construisant sur la zone rasée des bâtiments plus prestigieux, tout en empochant un profit important. Un projet de modernisation qui rentre dans le cadre du plan stratégique Vision 2030 de MBS, lancé en 2016. L’objectif étant de diversifier l’économie saoudienne pour préparer l’ère post-pétrole, en mettant notamment l’accent sur le tourisme comme source alternative de revenus. S’il ne semble pas concerner spécifiquement les quartiers démolis, le projet « Jeddah Central », annoncé pour 20 milliards de dollars par le fonds souverain d’investissement PIF en décembre dernier, doit doter la ville de résidences modernes, d’un opéra, d’un aquarium, d’un musée et d’un stade sportif, en plus d’une marina de luxe et de plages publiques. De manière similaire, pour NEOM, le projet futuriste phare de Vision 2030 en phase de construction sur le littoral nord de la mer Rouge, « il y a aussi une absence de compensation équitable, de notification aux résidents et des expulsions forcées de la population », souligne Abdullah Alaoudh. En 2020, Abdel Rahim al-Howeiti, un activiste tribal de Tabouk qui refusait de quitter sa maison, a ainsi été tué par les forces de sécurité saoudiennes.

« Ce qu’il se passe actuellement est que le ressentiment contre le régime croît. (...) Le gouvernement a failli lamentablement et il en paiera le prix dans un avenir proche », prédit Ali al-Ahmad. Des signes de contestation ont émergé sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, où le hashtag en arabe « Djeddah menacée » (hadd Jeddah) a rassemblé de nombreuses vidéos et photos des quartiers détruits, et où des groupes de discussions ont été organisés pour échanger sur les démolitions. Sur une des images, le graffiti « À bas le despote » a été apposé sur un mur sous le portrait du prince héritier. « Beaucoup de gens sont en colère et sont en train de documenter ce qu’il se passe », insiste Abdullah Alaoudh. Le spectre de la répression reste néanmoins présent, alors que le régime a exécuté samedi dernier 81 prisonniers « reconnus coupables d’avoir commis de multiples crimes odieux » selon les autorités. « Certaines personnes ont été arrêtées mais on ne sait pas combien. La peur empêche les informations de sortir », soutient Ali al-Ahmad.

En Arabie saoudite, les réformes ressemblent au passage d’un bulldozer, au sens propre comme au figuré. À l’image des changements radicaux qui ont chamboulé les normes sociales dans le royaume ces dernières années, des zones entières sont en train d’être rasées pour faire place au neuf à Djeddah, deuxième ville saoudienne, aussi connue sous le nom de « la fiancée de la mer...

commentaires (3)

Il a pris de leçons d’Israel …

Eleni Caridopoulou

20 h 50, le 15 mars 2022

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Commentaires (3)

  • Il a pris de leçons d’Israel …

    Eleni Caridopoulou

    20 h 50, le 15 mars 2022

  • POUR PLUS D'INFORMATION : ATTENTION VOUS RISQUEZ LA GUILLOTINE...

    aliosha

    18 h 54, le 15 mars 2022

  • Distanciation...

    Jack Gardner

    14 h 54, le 15 mars 2022

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