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Société - Forêt

Entre opportunité et nécessité : l’abattage illégal sévit dans le nord du Liban

Dans les forêts qui ont brûlé, l’été dernier, nombreux sont ceux qui sont allés ramasser de quoi se chauffer. Le problème étant que, incontrôlée, cette activité menace les espaces verts restants.

Entre opportunité et nécessité : l’abattage illégal sévit dans le nord du Liban

Élias Farès affirme qu’il n’est pas opposé à ce que les gens ramassent du bois de chauffage, mais pas de manière incontrôlée. Photo Abby Sewell

Les incendies de forêt de l’année dernière ont rasé les coteaux de la vallée de Aoudine, dans le Akkar. Seule une bande verte irrégulière marque la limite de la zone où les pompiers ont réussi à contrôler l’incendie. Sur un chemin de terre en contrebas, le seul être humain visible est un vieux berger qui s’occupe de son troupeau, mais il y a des signes évidents d’autres activités humaines récentes à proximité : une lame de scie abandonnée, un bidon d’huile et, plus révélateur, des souches de pins récemment coupés.

« Celui-ci, vous pouvez voir qu’il est vert, il était vivant », indique Élias Farès, désignant du doigt l’une des souches. Élias Farès est guide de randonnée et volontaire au sein de la Défense civile et de la Croix-Rouge, issu du village voisin de Kobeyate. Il fait partie d’un groupe d’habitants de la région qui tentent d’endiguer la montée de l’abattage illégal d’arbres dans cette région. Jusqu’à présent, leurs efforts restent vains. Et même si le problème de l’abattage illégal d’arbres est antérieur à la crise économique actuelle, les responsables et les habitants des zones de montagne, en particulier dans le Akkar, affirment qu’il a augmenté cette année en raison d’une convergence d’occasions et de besoins.

La réserve de bûches de Jamilé et Makhoul Semaan. Photo Abby Sewell

Des centaines de plaintes… et pas de moyens

« La crise économique pousse les citoyens de certaines régions à abattre des arbres de manière aléatoire sans se tourner vers le ministère de l’Agriculture pour obtenir des permis », déclare à L’Orient Today le ministre de l’Agriculture Abbas Hajj Hassan, dont l’administration est chargée de superviser la foresterie. « C’est vraiment dommage, car, en fait, nous sommes continuellement en discussions avec les Nations unies, les donateurs et l’Union européenne sur la nécessité d’avoir plus d’espaces verts au Liban. » M. Hajj Hassan souligne que son ministère reçoit quotidiennement des « centaines » de plaintes concernant l’abattage illégal, mais précise qu’il manque de personnel et d’autres ressources – y compris des fonds pour le carburant – pour patrouiller dans toutes les zones boisées et enquêter sur toutes les plaintes.

Les tempêtes de cet hiver ont été exceptionnellement dures, et avec la montée en flèche du coût du carburant – le prix officiel des 20 litres de diesel est maintenant à plus de 330 000 livres libanaises, sachant qu’un fonctionnaire est susceptible de gagner 2 millions de livres ou moins par mois –, peu de gens peuvent se permettre d’en acheter pour alimenter les chaufferettes « sobia » à l’ancienne, qui sont courantes dans les zones rurales. C’est ce qui expliquerait que depuis une série d’incendies de forêt dévastateurs dans les montagnes, en particulier dans le Akkar l’été dernier, de nombreux habitants se sont rendus dans les zones brûlées – certaines sur des terrains publics, d’autres sur des terrains privés – pour ramasser du bois.

Jamilé et Makhoul Semaan, un couple âgé sans enfant de Kobeyate, en font partie. L’électricité publique étant rare, ils passent désormais la majeure partie de la journée assis dans le noir pour éviter de brûler le précieux diesel du générateur. « Personne à la maison n’a un emploi. Nous n’avons aucun revenu pour vivre », raconte Jamilé. « Avant, nous utilisions du diesel pour le chauffage, mais maintenant, nous sommes passés au bois de chauffage, car nous ne pouvons plus nous permettre le carburant. » Makhoul, atteint de leucémie, ne peut plus travailler dans le bâtiment comme avant, mais il a pu ramasser du bois de chauffage sur les sites dévastés par les incendies à proximité. Le bois entassé dans le cabanon du couple leur permet au moins de rester au chaud.

Se chauffer tout en protégeant la forêt

Farès indique qu’il n’a rien contre le ramassage du bois de chauffage, mais déplore la manière chaotique dont cette activité est exercée, sans autorisation du ministère de l’Agriculture et alors que certains en profitent pour abattre des arbres sains vieux de 200 ans dans les espaces verts adjacents aux terres incendiées. « Nous ne sommes pas contre le fait de profiter du bois, mais contre celui de couper tout l’arbre », dit-il. « Vous pouvez tailler et protéger la forêt tout en sécurisant le chauffage. Nos grands-parents le faisaient d’ailleurs. Ils élaguaient un arbre sur le point de tomber, mais de manière à protéger la forêt. » Il ajoute : « Le problème aujourd’hui, c’est que si on permet cela, si on ouvre cette porte, toutes les personnes qui veulent profiter de la crise viendront couper des arbres pour en faire un commerce. »

Farès soupçonne même l’abattage illégal d’être la motivation derrière certains des incendies de l’année dernière. Bien qu’il n’y ait aucune confirmation officielle de cette théorie, le ministre de l’Environnement Nasser Yassine a déclaré en novembre, après une série d’incendies de forêt dans tout le pays, que certains d’entre eux semblaient avoir été délibérément déclenchés et que le ministère de l’Intérieur enquêtait sur la question. Sollicité pour répondre à une question sur ces enquêtes, un porte-parole du ministère de l’Intérieur a refusé de commenter.

Dans au moins un cas, l’abattage a eu une conséquence tragique : un homme de Andkit a été tué en septembre après que sa voiture a reculé, le heurtant accidentellement alors qu’il y chargeait le bois qu’il avait coupé, précise Farès. Et les disputes autour de l’abattage illégal en forêt se sont transformées en août dernier en un échange de tirs meurtriers entre les habitants des villages voisins de Fneidek et de Akkar el-Atiqa.

Compte tenu du manque de ressources de l’État pour surveiller les forêts, les résidents locaux ont discuté de la mise en place de patrouilles de volontaires, explique Farès. Mais ces efforts ont échoué, en grande partie à cause des dépenses en carburant et du manque de financement pour former des volontaires et acheter du matériel de communication.

Les souches révèlent que certains des arbres abattus au Akkar étaient encore vivants au moment de leur abattage. Photo Abby Sewell

Des briquettes chauffantes à partir de la biomasse

Si l’assistance dans l’application des lois est rare, l’aide au chauffage l’est aussi. Des organisations internationales ont aidé certaines institutions à s’approvisionner en carburant pendant l’hiver : l’Unicef distribue chaque année du carburant aux écoles en montagne durant cette saison. Les Nations unies ont également lancé l’automne dernier un programme de distribution de carburant aux établissements de santé et aux stations d’eau, une « intervention exceptionnelle » qui arrive bientôt à terme, puisque l’approvisionnement en carburant des offices de l’eau prendra fin en février, et le soutien aux centres de santé et aux hôpitaux fin mars. Mais il n’y a pas eu de programme généralisé pour distribuer du combustible de chauffage aux foyers.

« Notre rôle n’est pas de nous substituer au gouvernement », a déclaré aux journalistes la coordinatrice humanitaire résidente de l’ONU Najat Rochdi lors d’une récente visite de certaines des institutions recevant l’aide. Elle a ajouté : « Notre rôle n’est pas de nous substituer à Électricité du Liban. Nous ne sommes pas des pourvoyeurs de courant, c’est le travail des compagnies d’électricité. Notre projet de distribution de gasoil couvre les secteurs de la santé et de l’eau, nous ne l’avons pas étendu aux ménages. »

Le ministre de l’Environnement a pour sa part précisé à L’Orient Today que son ministère discutait avec le Programme alimentaire mondial (PAM) d’un projet visant à mettre en place un certain nombre d’usines qui fabriqueraient des briquettes chauffantes à partir de la biomasse pouvant être recueillie dans la forêt et de sous-produits agricoles, comme le pulpe d’olive qui reste après le pressage. Grâce à un concept similaire, une partie du grain récupéré dans les silos du port de Beyrouth, détruits par la double explosion du 4 août 2020, a été transformée en briquettes de bois artificielles qui seront distribuées à l’armée pour chauffer ses casernes dans les montagnes cet hiver.

« Nous examinons avec le Programme alimentaire mondial ainsi qu’avec d’autres donateurs, comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la possibilité de financer ces usines de briquettes, car les réfugiés pourraient être l’une des catégories qui profiterait de ce bois artificiel, en particulier avec la hausse des prix du carburant », indique Nasser Yassine. « Nous espérons que, d’ici à l’été prochain, nous aurons construit un certain nombre de ces usines dans tout le pays » afin que d’ici à l’hiver prochain, elles puissent approvisionner les ménages nécessiteux en combustible de chauffage.

Mais l’assistance n’arrivera pas à temps pour protéger des tempêtes de cet hiver…

De retour dans la vallée de Aoudine, Salim Sabegh, le berger qui garde son troupeau, constate un flux régulier de camions chargés de bois et n’y voit aucun problème. « Cette forêt, depuis qu’elle a été créée, n’a jamais vraiment été coupée. Mais les incendies sont survenus cette année… Pourquoi les gens ne devraient-ils pas en profiter? » dit-il. Il poursuit : « Si vous gagnez 2 millions de LL par mois, que pouvez-vous en faire aujourd’hui ? Si les factures de générateur et d’électricité s’élèvent à 1,4 million à elles seules, comment pouvez-vous vivre ? »

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 17 février 2022).

Les incendies de forêt de l’année dernière ont rasé les coteaux de la vallée de Aoudine, dans le Akkar. Seule une bande verte irrégulière marque la limite de la zone où les pompiers ont réussi à contrôler l’incendie. Sur un chemin de terre en contrebas, le seul être humain visible est un vieux berger qui s’occupe de son troupeau, mais il y a des signes évidents d’autres...

commentaires (1)

Même en plein Metn moyen, des propriétaires terriens ont abattu des arbres notamment des pins vieux de plusieurs dizaines d’années en toute impunité

Lecteur excédé par la censure

08 h 52, le 22 février 2022

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Commentaires (1)

  • Même en plein Metn moyen, des propriétaires terriens ont abattu des arbres notamment des pins vieux de plusieurs dizaines d’années en toute impunité

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 52, le 22 février 2022

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