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Moyen-Orient - Éclairage

Au large des côtes yéménites, un pétrolier comme une bombe à retardement

Au début du mois, l’ONU a obtenu un accord de principe des parties yéménites pour réduire le risque de marée noire lié au mégatanker FSO Safer, ancré depuis des décennies au large du pays.

Au large des côtes yéménites, un pétrolier comme une bombe à retardement

Image satellite de Mawar Technologues, prise le 19 juillet 2020, montrant le FSO Safer, devant les cotes yéménites. Maxar Technologies/AFP

Rouillé et plein de pétrole, le FSO Safer, qui flotte encore au large des côtes yéménites, a tout d’une bombe à retardement pour l’environnement. Cela fait des années qu’en dépit des avertissements répétés d’experts, ce gigantesque pétrolier totalement décrépi agonise au large du port de Hodeida, principal point d’entrée de l’aide humanitaire et des importations au Yémen, situé sur sa côte est. Avec un chargement de plus d’un million de barils de pétrole brut, les défaillances structurelles et le manque d’entretien du navire font craindre un naufrage, voire une explosion du bâtiment, aux conséquences dévastatrices. Fin janvier, l’organisation Greenpeace a de nouveau tiré la sonnette d’alarme face au danger que représente le bateau-citerne, non seulement pour l’environnement, mais aussi et surtout pour la population et l’économie du pays, avec le risque d’affecter également ses voisins bordant la mer Rouge. « Il y a urgence. Le pétrolier peut exploser à tout moment », insiste Julien Jreissati, directeur des programmes MENA à Greenpeace.Au début du mois, une lueur d’espoir est enfin apparue, lorsque le coordinateur humanitaire de l’ONU pour le Yémen s’est félicité dans un communiqué des progrès réalisés au sujet de sa proposition de transférer vers un autre pétrolier la cargaison du FSO Safer. Un signe positif après des années de négociations et d’espoirs déçus. L’initiative doit en effet être approuvée par les deux principales parties au conflit yéménite, qui avaient pourtant elles-mêmes demandé l’intervention de l’ONU sur ce dossier dès 2019. D’un côté, le gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, reconnu par la communauté internationale, possède légalement le pétrolier et sa cargaison à travers la compagnie nationale Sepoc ; de l’autre, les rebelles houthis contrôlent la zone où il est amarré. Si le gouvernement d’Aden a confirmé son soutien au plan onusien, les autorités de Sanaa – entendre les groupes houthis – ont quant à elles donné leur accord de principe. L’opération comporte certes des risques, en raison des mines qui se trouveraient dans les eaux entourant le bateau. Mais les Nations unies se tiennent prêtes à mettre en place les premières mesures de contingence, disposant déjà de barrages flottants stockés à Djibouti, qui permettraient d’entourer le navire et de contenir des fuites possibles de pétrole. Dans un second temps, un autre pétrolier devra être trouvé pour jeter l’ancre aux abords du FSO Safer et permettre le transfert de sa cargaison, dont la valeur est estimée à 60 millions de dollars. Aucun détail n’a jusque-là filtré sur le devenir du chargement et sur un partage potentiel entre les deux parties yéménites concernées.

Catastrophe en devenir

Le bâtiment est quant à lui « irréparable », selon l’ONU. Une enquête du magazine américain The New Yorker parue en octobre dernier détaille l’histoire de ce mégatanker qui, avec ses 360 mètres de long, fait partie des plus gros pétroliers jamais construits. Sorti des usines japonaises en 1976, il a été transformé en unité flottante de stockage et de déchargement un peu plus d’une décennie plus tard par la société américaine Hunt Oil Company, qui cherchait une solution peu coûteuse pour entreposer et exporter le brut extrait de la riche province de Ma’rib, au nord du Yémen. Géant statique, il n’a plus quitté depuis son point d’ancrage au large du Yémen. La Sepoc, qui a pris la gestion du navire en 2005, dépensait annuellement plus de 20 millions de dollars pour sa maintenance, jusqu’à la prise de Sanaa par les houthis. Aussi, situé en face du port de Ras Issa, en zone contrôlée par les rebelles, le pétrolier n’est-il plus inspecté ni entretenu depuis 2015. Par manque de combustibles, la production de gaz inertes ne peut plus être assurée, alors que ceux-ci sont censés neutraliser les gaz inflammables émanant du pétrole, augmentant fortement le risque d’une explosion à la moindre étincelle. Comparé par un ancien employé à un « hôtel 5 étoiles », le FSO Safer était perçu par sa cinquantaine d’employés comme l’endroit idéal pour travailler au Yémen dans les années 1990. L’équipe est aujourd’hui réduite à quelques éléments, tentant de maintenir en vie ce pétrolier sans perfusion. En 2020, une fuite dans la salle des machines a fait craindre le scénario tant redouté d’un naufrage, nécessitant un travail continu de cinq jours pour régler le problème. Et ce seulement partiellement.

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La marée noire qui découlerait d’un naufrage, voire pire, d’une explosion du bâtiment situé à moins de 10 kilomètres des côtes aurait un impact direct sur l’environnement, avec une contamination de l’écosystème marin du corail aux mangroves, et une pollution de l’air qui se diffuserait jusqu’à l’intérieur des terres. Une impossibilité de pêcher couperait ainsi les vivres à 1,7 million de personnes, selon le rapport de Greenpeace, sans compter le risque médical, notamment d’infections respiratoires. « Ce serait une catastrophe vraiment effroyable pour le Yémen, mais ce que ce rapport démontre également, c’est que les impacts seront aussi plus significatifs qu’initialement prévu sur les pays voisins », précise Julien Jreissati. Si l’Arabie saoudite et Djibouti seraient aussi concernés par une éventuelle marée noire, l’Érythrée, la Somalie et même l’Égypte pourraient être affectées selon les courants. Près de 10 millions de Yéménites et de Saoudiens pourraient ne plus avoir accès à l’eau potable produite par des usines de désalinisation d’eau de mer sur les bords de la mer Rouge. Une catastrophe autour du FSO Safer perturberait en outre un point de passage non négligeable du commerce maritime mondial, reliant le canal de Suez à la mer d’Arabie. De la même façon, elle aurait « des conséquences très importantes sur la crise humanitaire parce qu’elle pourrait bloquer les deux ports principaux de Hodeida et de Salif, à travers lesquels passent plus de 70 % de l’aide humanitaire », indique Julien Jreissati.

Si l’urgence est claire, la prudence reste de mise quant à un règlement rapide du problème. En 2019, les houthis avaient annulé l’inspection prévue du pétrolier par une équipe onusienne à la veille de la visite. Un autre accord, conclu un an plus tard pour une mission d’évaluation, a échoué notamment parce que les rebelles exigeaient en contrepartie la conduite de réparations substantielles sur le navire. C’est que le mégatanker constitue une monnaie d’échange pour les groupes rebelles. Soutenus par Téhéran, ceux-ci ont lancé l’année dernière une offensive sur la province de Ma’rib, dernier bastion du gouvernement yéménite dans le nord du pays, et ont subi récemment des revers face aux forces loyalistes appuyées par la coalition menée par l’Arabie saoudite. Des signes indiquent cependant une tendance au compromis, alors que les attaques régulières revendiquées par les rebelles yéménites contre Abou Dhabi et Riyad – en représailles de leur soutien aux forces loyalistes – ont diminué ces dernières semaines. L’accord de principe donné par les houthis pour la solution onusienne concernant le FSO Safer intervient par ailleurs au moment où les négociations à Vienne pour revenir au deal de 2015 sur le nucléaire entraient dans leur dernière ligne droite.

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