Elle est devenue mère à quatorze ans et elle est décédée alors qu’elle n’en avait que dix-sept. Son histoire fait écho à des centaines d’autres récits, illustrant de manière spectaculaire la persistance d’une violence qui d’ordinaire se déroule à huis clos en Iran. Une brutalité inouïe se rappelant, de temps à autre, au monde mais qui dans l’ensemble est vite balayée par la froideur de la géopolitique et de ses priorités conjoncturelles, aujourd’hui celle des négociations indirectes sur le nucléaire entre Téhéran et Washington.
Mona Heydari a été assassinée samedi dernier vers quinze heures par son mari et cousin, Sajjad Heydari, dans ce qui s’apparente à un « crime d’honneur ». L’agence Rokna News a publié dans le sillage de la tragédie une effroyable vidéo, où l’on voit un jeune homme déambuler dans le quartier de Khayshayar, à Ahvaz, dans la province du Khuzestan, tenant dans une main la tête de son épouse décapitée. Sur son visage, le sourire morbide du vainqueur, de celui qui a obtenu gain de cause en assouvissant sa soif de vengeance.
Unie à son bourreau à l’âge de douze ans seulement, Mona Heydari n’a cessé depuis de subir des violences conjugales mais a tenté de tenir le coup dans l’intérêt, pensait-elle, de son fils. Jusqu’au point de rupture, à ce jour fatidique où elle a pris la décision de fuir vers la Turquie voisine. Est-elle partie seule ou accompagnée ? Quelqu’un l’attendait-il sur place ? Depuis la mort de la jeune femme, les rumeurs vont bon train. Selon certaines d’entre elles, elle se serait évadée avec un homme de sa région natale. Selon d’autres, elle aurait fait la rencontre en ligne d’un Syrien vivant en Turquie qui lui aurait promis monts et merveilles. D’après ces deux scénarios, Mona Heydari a été abandonnée par son acolyte présumé et contrainte de revenir vers sa famille.
Système patriarcal
Mona Heydari a d’abord été tuée par son conjoint. Mais les complices sont nombreux. Lui a été aidé par son propre frère dans la mise à exécution de son dessein. Ils sont pour l’heure tous deux en garde à vue. Elle a été trahie par ses propres parents – père et frère – qui l’ont incitée à rentrer en lui assurant que rien ne lui arriverait. Au rang des coupables comptent également la loi iranienne et l’inaction des autorités. Car le cas de Mona Heydari est doublement emblématique. Il mêle la problématique du mariage précoce à celle du crime d’honneur, deux tendances qui, au gré des années, n’ont fait que se renforcer. Selon des chiffres publiés par le centre iranien des statistiques relatifs au trimestre mars-juin 2021, le mariage précoce a augmenté de près de 30 % par rapport à la même période en 2020. Près de 9 750 filles entre dix et quatorze ans seraient concernées. Quant aux crimes d’honneur, la revue The Lancet a rapporté en octobre 2020 qu’au moins 8 000 meurtres de ce genre avaient été répertoriés dans le pays entre 2010 et 2014. À l’échelle nationale, des normes conservatrices se conjuguent à une législation extrêmement laxiste vis-à-vis des responsables, leur permettant de s’en tirer sans grand dommage. Il en va ainsi de l’article 630 de la Constitution qui exempte un époux de sa peine s’il tue sa femme et son amant après avoir été témoin d’un adultère.
« La promotion des droits des femmes et de l’égalité des sexes n’est pas la priorité du gouvernement », explique Leila Alikarami, avocate iranienne, spécialiste des droits des femmes et l’une des premières activistes à avoir soulevé la question du viol conjugal en Iran. « L’Iran est avant tout un pays dominé par les hommes dans lequel la structure familiale est basée sur le système patriarcal. Par conséquent, entre autres facteurs, le manque d’éducation adéquate, d’efforts de sensibilisation, de législations appropriées pour soutenir les victimes de violence et tenir les auteurs pour responsables sont quelques-unes des principales raisons de cette dynamique. »
Dans un article publié sur le site du Middle East Institute en août 2021, la spécialiste des mouvements civils en Iran Fariba Parsa évoque derrière cette tendance en hausse une conflictualité opposant d’une part de plus en plus de femmes et de filles conscientes de leurs droits et plus enclines à revendiquer leur liberté personnelle, et de l’autre la résistance d’une partie des hommes, effrayés face à la remise en cause de leur puissance.
Féminicides
Le meurtre de Mona Heydari a donné lieu à des attitudes diamétralement opposées au sein de la presse. Parmi les médias ultraconservateurs, la majorité a fait le choix de passer sous silence le drame, quand le Javan – lié aux gardiens de la révolution (IRGC) – a d’abord critiqué la publication de la vidéo par Rokna News, reprochant à celle-ci de menacer la « santé émotionnelle de la société ». Le site de l’agence a d’ailleurs été fermé après la diffusion de la vidéo. Du côté des réformistes, certains médias ont dénoncé le mutisme de leurs confrères, accusés de complaisance face à ce type de crime. « Ces sujets ont sévèrement affecté l’opinion et de nombreux débats ont lieu autour de ces questions, à la fois dans les médias, parmi les universitaires, les responsables et la diaspora. La raison en est que les deux problématiques (mariage précoce et crimes d’honneur, NDLR) sont à la hausse », insiste Leila Alikarami.
« Pendant des années, les militantes des droits des femmes et la société civile ont subi de fortes pressions pour cesser leurs activités en faveur des droits civiques, notamment la campagne contre les crimes d’honneur et le mariage des enfants. En l’absence d’espace permettant à la société civile de travailler avec les gens et de défendre les normes des droits de l’homme, nous assistons malheureusement à des cas tragiques », poursuit la spécialiste. Des féminicides qui semblent avoir été galvanisés par la pandémie de coronavirus et l’expérience du confinement qui lui est lié. Elles s’appelaient Mobina Souri, Shakiba Bakhtiar, Reyhaneh Amiri, Fatmeh Barhi ou Romina Ashrafi. Elles avaient entre treize et vingt-deux ans. Le nom de Mona Heydari s’est ajouté aux leurs, toutes assassinées entre mai 2020 et février 2022, par un père ou un mari, à cause d’un choix amoureux ou professionnel. Ou simplement parce qu’elles étaient rentrées trop tard le soir.
Attention le Liban si un jour le Hezbollah prendra le pouvoir ….
22 h 06, le 09 février 2022