
Le sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), le 14 décembre à Djeddah. Bandar al-Jaloud/ Saudi Royal Palace/AFP
Les objectifs sont clairs. La stratégie pour y parvenir, beaucoup moins. Si l’Arabie saoudite a quasiment rompu ses relations diplomatiques avec le Liban le 29 octobre dernier, elle souhaite dans le même temps pousser le pays du Cèdre à réorienter sa politique pour revenir dans le giron arabe. Mais comment concilier ces deux éléments qui peuvent sembler contradictoires ? Comment gagner en influence tout en se désinvestissant du pays ? C’est à ce titre que la stratégie saoudienne vis-à-vis du pays du Cèdre demeure floue. Elle l’est encore plus après l’annonce du retrait de l’ex-Premier ministre Saad Hariri, qui avait perdu depuis 2017 le soutien de son parrain saoudien. Le fils de Rafic Hariri, dont la famille était le principal relais de l’influence saoudienne au Liban pendant des décennies, aurait été encouragé à se mettre de côté par les pétromonarchies du Golfe, Riyad en tête. Est-ce à dire que l’Arabie a décidé de soutenir un autre candidat dans la bataille pour le leadership sunnite ? Le royaume mise-t-il tout sur les Forces libanaises, son principal allié au Liban, dont la capacité à séduire l’électorat sunnite, dans la perspective des législatives prévues en mai prochain, demeure limitée ? « L’Arabie saoudite ne soutient pas une personnalité politique précise, mais plutôt une orientation générale qui se résume par l’arabité du Liban et son indépendance », soutient Ali Noun, un journaliste spécialisé dans les relations libano-saoudiennes.
« Riyad attendra de voir comment le paysage électoral, encore très incertain, va se décanter et agira en conséquent », analyse pour sa part notre chroniqueur politique, Mounir Rabih. Le royaume ne serait pas convaincu, pour le moment, que les élections peuvent permettre de faire bouger les lignes, en particulier concernant la question du Hezbollah, bête noire de Riyad. Mais comment expliquer alors que Samir Geagea, leader des FL, place au contraire les élections au cœur de sa stratégie et cherche à réunir autour de lui la coalition la plus large possible pour prendre le leadership contre le Hezbollah ? Toutes ces questions demeurent aujourd’hui sans réponse. Il y a deux semaines, l’Arabie saoudite a fait monter les enchères et placé des conditions rédhibitoires pour que le Liban puisse se réhabiliter un tant soit peu à ses yeux. C’est ainsi qu’il faut lire le dernier message musclé envoyé par le royaume via l’initiative koweïtienne. Désormais c’est en front uni que l’Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe – qui partagent les mêmes appréhensions de sécurité nationale – comptent avancer pour contrer ce qu’elles considèrent être l’effet de nuisance de l’Iran et du Hezbollah. Également soutenue par Paris et Washington, l’initiative koweïtienne – transmise aux autorités libanaises le 23 janvier dernier – exige du Liban quelque douze conditions à remplir. Il s’agit notamment de l’application des résolutions internationales, dont la problématique 1559 stipulant le désarmement de toutes les milices, dont le Hezbollah ; un retour à la politique de distanciation et de non-ingérence dans les affaires des pays arabes et en particulier des pays du Golfe ; le contrôle des frontières et des points de passage ainsi que le renforcement des mesures de sécurité à l’aéroport pour empêcher le trafic de drogue vers l’Arabie. Avec cette nouvelle feuille de route arabe, les participants entendent faire un « come-back » sur la scène libanaise par le biais d’un détour diplomatique pour rétablir l’équilibre. Ayant compris qu’un retrait total de la scène libanaise ne pouvait que laisser la voie encore plus libre à l’Iran, les monarchies du Golfe tentent aujourd’hui une approche plus concertée dont l’objectif est de garantir leur sécurité nationale en premier et dernier lieu.
La potion curative
Les experts en conviennent : tout ce que Riyad et les autres capitales du Golfe souhaitent, c’est que le Liban cesse au moins de servir de tribune pour les attaquer comme ce fut le cas avec les oppositions bahreïnie et saoudienne, invitées au cœur de la banlieue sud de Beyrouth pour persifler leurs pays respectifs. L’Arabie saoudite souhaite également que le Hezbollah cesse son ingérence, directe ou indirecte, au Yémen, dans le prolongement de la stratégie iranienne dans la région. Les attaques menées à intervalles plus ou moins réguliers contre Riyad et récemment contre les installations pétrolières à Abou Dhabi inquiètent ces monarchies au plus haut point. « L’approche a changé parce que la menace s’est amplifiée. C’est la première fois depuis des décennies que l’Arabie saoudite doit affronter des attaques aussi graves. Ce sont principalement des sites civils qui sont ciblés », constate Ali Noun. Ce que reproche l’Arabie saoudite au Liban officiel, c’est que, par son silence, il couvre implicitement les activités militaires transnationales du Hezbollah. Une apathie qui démontre que l’orientation du Liban officiel dérive de plus en plus vers l’axe iranien.
D’où cette initiative en douze points qui, bien que difficile à appliquer pour un pays qui n’a quasiment plus aucun contrôle sur sa politique étrangère, réaffirme que les pays arabes sont toujours disposés à aider le Liban, s’il veut bien s’aider lui-même. « Cette initiative est l’équivalent d’une potion au goût amer mais aux effets curatifs assurés, puisqu’elle apporte une solution globale aux problèmes du Liban. Si le patient refuse de la prendre, personne ne pourra le guérir », indique à L’Orient-Le Jour une personnalité saoudienne bien introduite dans les cercles du pouvoir.
Autre enjeu majeur pour le royaume : le trafic de captagon. La production de cette drogue moderne se fait essentiellement en Syrie. Elle est relayée au Liban par des usines installées à la frontière. L’implication du Hezbollah est souvent pointée du doigt dans ce trafic orchestré à partir du Liban à destination des populations dans le Golfe. « C’est une vraie guerre qui est menée contre nous par le biais du captagon », confiait, il y a quelque temps à L’Orient-Le Jour, un diplomate saoudien qui évoquait plusieurs millions de cachets comptés à chaque saisie. « Ce dossier est, aux yeux de l’Arabie, aussi important que l’application des résolutions internationales », dit encore la personnalité saoudienne citée plus haut.
commentaires (9)
Bonjour, Qu'est-ce que vous appeler exactement "les Forces libanaises" ? Est-ce l'armée ? Avec un pouvoir politique ? Merci
BOUIX Philippe
20 h 18, le 06 février 2022