Critiques littéraires Récit

L’adieu aux armes d'Arturo Pérez-Reverte

L’adieu aux armes d'Arturo Pérez-Reverte

D.R.

Avec Territoire comanche, un court récit autobiographique, Arturo Pérez-Reverte mettait fin à plus de vingt ans de reportages sur toutes les scènes de guerre du monde, dont le Liban, pour se consacrer désormais à l’écriture. Paru en Espagne en 1994, ce livre, très personnel et atypique dans son œuvre, n’avait pas encore été traduit en français. C’est désormais chose faite.

De 1973 à 1994, Arturo Pérez-Reverte, né en 1951, a exercé le singulier métier de reporter de guerre, pour le quotidien Pueblo, puis pour la TVE, la télévision publique espagnole. En compagnie de ses confrères, il a sillonné la planète, « couvrant » tous les conflits de l’époque, notamment la guerre au Liban et, surtout, l’implosion de l’ex-Yougoslavie. C’est sur cette dernière qu’il a décidé d’achever sa carrière, parce que, dit-il, les techniques journalistiques avaient changé, en particulier sous l’effet des nouvelles technologies, et qu’il ne se reconnaissait plus dans cette évolution. Et puis, il avait désormais les moyens de se consacrer exclusivement à l’écriture.

Si son premier roman historique, El Husar, paru en 1986 (traduit au Seuil en 2006), n’a pas été un succès, et le suivant non plus, son troisième, El Club Dumas (1993), remporta au contraire un grand succès. Le best-seller a été traduit dans le monde entier (en français, chez JC Lattès, en 1994), et adapté au cinéma en 1999 par Roman Polanski sous le titre La Neuvième Porte, avec Johnny Depp.

Mais, afin de tirer en beauté sa révérence, Pérez-Reverte avait écrit et publié « à chaud », en 1994, un récit « à 90% autobiographique, où tout est vrai sauf moi », s’amuse-t-il, intitulé Territoire comanche. Le titre, énigmatique, provient d’un private joke entre baroudeurs. « Lorsque nous entrions dans une zone dangereuse, silencieuse mais où nous savions qu’on nous observait, nous nous disions : Tiens, nous voilà en territoire comanche ! » Le territoire, ici, se situe en Bosnie, près du pont de Bijelo Polje. Le journaliste Barlès et son frère d’armes, son ami pour la vie, le caméraman Marquez, sont en planque durant plusieurs jours, en attendant que le fameux pont saute. Et comme ils n’ont pas grand-chose d’autre à faire que d’essayer de ne pas être tués – le livre s’ouvre sur une longue scène très cinématographique et plutôt éprouvante, la description d’un cadavre –, ils parlent, ils évoquent leurs années de reportages en commun, toutes ces guerres absurdes, ainsi que nombre de leurs confrères, vivants ou morts. Tout cela a un petit côté Désert des Tartares, en plus brutal.

Territoire comanche, considéré par Le Seuil, l’éditeur français de Pérez-Reverte depuis Le maître d’escrime (1994), comme « trop personnel », était demeuré non traduit. Il paraît aujourd’hui aux Belles Lettres, dans une collection intitulée « Mémoires de guerre », dirigée par François Malye. Une place légitime, puisque la guerre, les guerres passées, nourrissent une grande partie de l’œuvre du romancier : en particulier sa trilogie Les Aventures de Lorenzo Falco (Seuil, 2018-2020), dont le héros est une espèce de James Bond franquiste, qui, durant la guerre d’Espagne, travaille au service des fascistes. Naturellement, les réactions dans le pays, où, plus de quatre-vingt ans après, la guerre civile a laissé des plaies à vif, ont été plutôt contrastées. L’écrivain, lui, assume et veut démontrer que les bons et les méchants ne se trouvent pas toujours du même côté. Un refus du manichéisme que son expérience de la guerre lui a enseigné.

Territoire comanche avait été porté à l’écran en 1997 par Gerardo Herrero. Le film n’est pas un chef-d’œuvre, mais Pérez-Reverte a participé à l’aventure. Il avait accompagné le tournage, en réel, dans Sarajevo encore en guerre, « comme pour un documentaire », dit-il. Et il avait revu le scénario, qu’il estimait « trop romantique », trop glamour, le recentrant autour de plus de réalisme. Car pas question pour lui d’idéaliser ni de mythifier la guerre. Si elle lui a appris à « regarder le monde » dans toute sa complexité et sa brutalité, ce n’est pas pour cela qu’il faut l’aimer. Quant à Pérez-Reverte, plus que jamais, sa bouée de sauvetage, son recours, sa raison d’être, c’est la littérature.

Territoire comanche d’Arturo Pérez-Reverte, traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli, Les Belles Lettres, 2022, 120 p.

Avec Territoire comanche, un court récit autobiographique, Arturo Pérez-Reverte mettait fin à plus de vingt ans de reportages sur toutes les scènes de guerre du monde, dont le Liban, pour se consacrer désormais à l’écriture. Paru en Espagne en 1994, ce livre, très personnel et atypique dans son œuvre, n’avait pas encore été traduit en français. C’est désormais chose faite.De...

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