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Moyen-Orient - Syrie

Le drame des civils pris au piège des affrontements à Hassaké

Tenus de se cloîtrer chez eux, les habitants de cette ville du Nord-Est syrien vivent dans un climat de peur, alimenté par le bruit des combats entre les jihadistes de l’EI et les forces kurdes, soutenues par les États-Unis, et des bombardements menés par Washington qui se succèdent jour et nuit.

Le drame des civils pris au piège des affrontements à Hassaké

Des habitants fuyant leurs domiciles situés dans les quartiers avoisinant la prison de Ghwayran, à Hassaké (Nord-Est syrien), le 22 janvier 2022. Photo AFP

« Les rues sont coupées, la majorité des commerces est fermée, seuls les chars américains et les soldats des forces kurdes sont éparpillés partout. » Depuis lundi, Hassaké ne ressemble plus qu’à une ville fantôme, confie Ahmad*, qui réside dans la ville du Nord-Est syrien tenue par les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde. Fantôme en apparence seulement. Car le bruit des combats, qui se déroulent à 500 mètres de la maison dans laquelle lui et plusieurs membres de sa famille sont cloîtrés, et des bombardements de la coalition internationale dirigée par Washington se succèdent jour et nuit.

Suite à l’assaut mené dans la nuit de jeudi à vendredi contre la prison de Ghwayran, à Hassaké, par plus d’une centaine de jihadistes de l’État islamique pour libérer des détenus, un couvre-feu complet a été imposé il y a deux jours à la population pour une durée d’une semaine en vue d’« empêcher les membres de cellules terroristes de s’échapper », a déclaré l’administration locale dimanche soir. Une centaine de prisonniers étaient parvenus à s’évader de la prison jeudi soir après l’opération conduite par les jihadistes avec l’aide d’armes lourdes et de camions piégés. Au même moment, des cellules dormantes de l’EI avaient attaqué les forces de sécurité kurdes dans une base militaire voisine en surgissant des quartiers alentour.

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Près de 45 000 personnes ont fui les combats à Hassaké

Au cinquième jour des affrontements armés entre les FDS, appuyées par les États-Unis, et les membres de l’EI retranchés dans le côté-nord de la prison, les combats se poursuivaient avec force hier, portant à 166 le nombre de morts jusqu’à présent, parmi lesquels plusieurs enfants affiliés au groupe jihadiste, rapportent des sources locales. Hier après-midi, 250 prisonniers à l’intérieur de l’établissement ont été transportés par bus vers d’autres centres de détention après que 300 autres avaient déjà capitulé au cours des jours précédents. Les forces kurdes menaient en parallèle des campagnes de ratissage à Ghwayran et dans le quartier résidentiel d’al-Zohour à la recherche des assaillants et des prisonniers qui avaient réussi à s’échapper.

Livrés à eux-mêmes

« La situation est toujours aussi misérable ici, nous ne savons pas quel sera notre sort », témoigne Mohammad, habitant du quartier de Ghwayran et déplacé par les FDS avec sa mère et ses quatre enfants âgés de un à neuf ans, dans l’une des écoles du quartier voisin d’al-Nashwa qui sert de refuge à des centaines de civils. Depuis l’assaut de jeudi, près de 45 000 personnes ont fui leur domicile, assure l’ONU. Si certaines d’entre elles sont parvenues à louer des maisons pour s’éloigner de la prison, les plus démunies sont livrées à elles-mêmes. « Il n’y ni chauffage, ni nourriture, ni lit, nous dormons à même le sol », raconte Mohammad. Selon des sources contactées sur place, des habitants dormaient également dans les mosquées et dans les rues de la ville, alors que les températures extérieures moyennes avoisinent les 5 degrés.

Le père de famille, quitté par sa femme à cause de sa situation financière, se nourrit des restes qu’il trouve par-ci, par-là. Les circonstances actuelles ne font qu’aggraver son état. Au cours de ces dernières années et comme d’autres Syriens de la région, Mohammad se rendait, lorsqu’il le pouvait, au Liban pour travailler dans le domaine de la restauration et envoyer de l’argent à sa famille. Revenu il y a quelque temps pour chercher un emploi à Hassaké, sans succès, il s’est retrouvé coincé ici faute d’argent pour voyager. « Ma fille aînée a besoin d’une opération car elle ne peut pas entendre, sa sœur souffre d’incontinence urinaire et doit voir un médecin, mon bébé a besoin de lait et ma mère, qui veille sur eux, est très malade », dit-il, éprouvé. À cela s’ajoute la terreur provoquée par le bruit des affrontements et des bombardements qui s’abattent depuis plusieurs jours sur la ville. « Je n’ai rien à dire à mes enfants, ils savent ce qu’il se passe », ajoute froidement Mohammad.

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Situation tendue entre forces kurdes et jihadistes dans une prison

Déplacés eux-aussi dans le quartier d’al-Nashwa, Ahmad, sa femme et ses enfants ont loué une maison après avoir fui leur domicile situé juste à côté de la prison. Le trentenaire a dû faire appel à ses proches, qui ont déboursé 150 dollars pour la location. Si elle est pour le moment en sécurité, la famille vit toujours au rythme des hélicoptères qui survolent en permanence la région et des raids aériens. « La peur est omniprésente, raconte Ahmad. Les frappes tombent très tard dans la nuit et effraient les enfants pendant leur sommeil. Le bruit des hélicoptères militaires est énorme, nous entendons aussi les affrontements et les canons. » Le père de famille constate tristement que ses enfants s’habituent de jour en jour aux bombardements. Si ces derniers restent apeurés, Ahmad et sa femme tentent de les rassurer comme ils le peuvent. Déplacé de Deir el-Zor, le couple voit le scénario qui les avait poussés à tout quitter une première fois se reproduire, alors qu’ils avaient fui avec leurs enfants les offensives menées par les jihadistes de l’EI dès 2016.

Des bouts de papier

Interdite à présent de quitter le domicile, la famille ignore comment elle va se nourrir dans les prochains jours. « Les denrées essentielles, comme le pain, les légumes, le sucre, manquent, indique Ahmad. Les rares commerces qui restent ouverts n’ont presque plus rien. » Le trentenaire rapporte que la boulangerie principale des environs, située juste à côté de la prison, a été frappée lundi. « Il est presque impossible de trouver du pain et si on y parvient, le prix est excessivement élevé, constate-t-il. Si ça continue, on devra en venir à manger des bouts de papier… »

Face à cette situation, Ahmad confie avoir pensé à fuir. Depuis jeudi soir, les habitants qui sont parvenus à quitter la ville de Hassaké se seraient rendus en majorité dans les zones sous le contrôle du régime d’Assad. D’autres ont préféré rester, face à la peur d’être arrêtés par les forces loyalistes. « Nous sommes pris entre deux feux, résume tristement Ahmad. Rester est très dangereux. Mais partir l’est tout autant. Les passeurs qui peuvent nous aider à sortir demandent des prix faramineux, et les routes pour aller vers la Turquie ne sont pas du tout sûres. »

* Les prénoms ont été changés

« Les rues sont coupées, la majorité des commerces est fermée, seuls les chars américains et les soldats des forces kurdes sont éparpillés partout. » Depuis lundi, Hassaké ne ressemble plus qu’à une ville fantôme, confie Ahmad*, qui réside dans la ville du Nord-Est syrien tenue par les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde. Fantôme en apparence...

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