Une "ingérence" dans la liberté d'expression: la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné mardi la Turquie pour avoir détenu pendant un an, en 2017-2018, le journaliste germano-turc Deniz Yücel, une affaire qui avait envenimé les relations entre Berlin et Ankara.
M. Yücel, 48 ans, "a été mis et maintenu en détention provisoire en l'absence de raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis une infraction pénale", pointe la Cour dans un communiqué.
Le journaliste, qui avait couvert pour le quotidien conservateur allemand Die Welt la répression généralisée après le coup d'État raté en Turquie en juillet 2016 contre le président turc Recep Tayyip Erdogan, avait été interpellé en février 2017. Soupçonné de "propagande en faveur d'une organisation terroriste et d'incitation à la haine et à l'hostilité", il avait été placé en détention provisoire pendant un an.
Son arrestation avait soulevé une vague d'indignation et de mobilisation en Allemagne, contribuant largement à tendre les relations entre Berlin et Ankara très étroitement liés notamment par la présence de trois millions de Turcs en Allemagne. Sa remise en liberté en février 2018 et son retour en Allemagne avaient toutefois participé au dégel des relations entre les deux pays.
"Réjouissant"
Deniz Yücel a jugé "réjouissant" que la Cour ait condamné la Turquie et constaté "les atteintes à la liberté d'opinion et à ma liberté personnelle". Il a toutefois regretté auprès de l'AFP qu'elle "n'ait pas jugé que la procédure (contre lui) était politiquement motivée" alors que M. Erdogan "a à plusieurs reprises porté contre (lui) des accusations absurdes en public", a-t-il ajouté.
Déplorant également que la Cour n'ait pas retenu le fait que l'arrestation était "politiquement motivée", l'un de ses avocats, Veysel Ok, a indiqué sur Twitter son intention de saisir en appel la Grande Chambre de la CEDH. "Notre combat judiciaire n'est pas encore fini", a-t-il dit.
"La privation de liberté" de M. Yücel "s'analyse en une +ingérence+ dans l'exercice (...) de son droit à la liberté d'expression", poursuit la CEDH qui a alloué 13.300 euros de dédommagements à M. Yücel. "La mise en détention provisoire des voix critiques crée des effets négatifs multiples, aussi bien pour la personne mise en détention que pour la société tout entière", a encore tancé la Cour. "Infliger une mesure résultant en une privation de liberté (...) produit immanquablement un effet dissuasif sur la liberté d'expression en intimidant la société civile et en réduisant les voix divergentes au silence", a encore pointé le bras judiciaire du Conseil de l'Europe.
Dans le cas de Deniz Yücel, la CEDH a conclu que les droits "à la liberté et à la sûreté", à "une réparation en cas de détention illégale" et à la "liberté d'expression", garantis par la Convention européenne des droits de l'homme, avaient été violés par Ankara. Elle a revanche estimé que les autorités turques n'avaient pas violé son droit d'accéder à un dossier d'enquête. "Même si M. Yücel n'a pas bénéficié d'un droit d'accès illimité aux éléments de preuve, il a eu une connaissance suffisante (...) de ceux qui revêtaient une importance essentielle pour une contestation efficace de la légalité de sa détention provisoire", estime la Cour.
En mai 2019, la Cour constitutionnelle turque avait jugé qu'il avait subi une violation de son droit à la liberté et à la sûreté ainsi que de son droit à la liberté d'expression et de la presse.
"Propagande"
Mais en juillet 2020, un tribunal d'Istanbul l'avait condamné par contumace à deux ans, neuf mois et 22 jours de prison pour "propagande terroriste" pour le compte du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qualifié de groupe "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.
L'érosion de la liberté de la presse en Turquie, en particulier depuis le putsch manqué, suivi d'une répression tous azimuts, inquiète régulièrement les organisations de défense des droits humains.
De nombreux journalistes travaillant pour la presse locale et internationale ont été interpellés et condamnés à des peines de prison en Turquie, pays qui figure à la 153ème place au classement mondial de la liberté de la presse de l'ONG Reporters sans frontières. Parmi eux, la journaliste et traductrice allemande Mesale Tolu avait également passé en 2017 plusieurs mois en détention en Turquie, avant de pouvoir regagner elle aussi l'Allemagne en 2018. Accusée d'activités "terroristes", elle a été acquittée en janvier par un tribunal turc.
M. Yücel, 48 ans, "a été mis et maintenu en détention provisoire en l'absence de raisons plausibles de le...
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