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Monde - Disparition

Décès à 90 ans de Desmond Tutu, icône de la lutte anti-apartheid

Après l'avènement de la démocratie en 1994, et l'élection de Nelson Mandela à la tête du pays, Tutu avait présidé la Commission vérité et réconciliation.

Décès à 90 ans de Desmond Tutu, icône de la lutte anti-apartheid

Desmond Tutu, ici photographié en mars 2014, est décédé le 26 décembre 2021. JOHN STILLWELL / POOL / AFP

C'est la dernière des grandes icônes de la lutte contre l'apartheid: l'archevêque Desmond Tutu, la conscience de l'Afrique du Sud mais aussi un grand espiègle et un rire puissant, est mort dimanche à 90 ans. Jusque récemment, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette violette et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs.

Le président Cyril Ramaphosa a exprimé "sa profonde tristesse" face au décès de ce "patriote sans égal", "un homme d'une intelligence extraordinaire, intègre et invincible contre les forces de l'apartheid", qui laisse une veuve, "Mama Leah", et leurs quatre enfants. Cette mort représente "un nouveau chapitre de deuil dans l'adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée", a-t-il ajouté, un mois après la mort de FW de Klerk, dernier président blanc du pays.

Après l'avènement de la démocratie en 1994, et l'élection de son ami Nelson Mandela, Desmond Tutu avait donné à l'Afrique du Sud le surnom de "Nation arc-en-ciel". Il avait présidé la Commission vérité et réconciliation (TRC) dont il espérait qu'elle permettrait de tourner la page de la haine raciale.

The Arch, comme le surnomment affectueusement les Sud-Africains, était affaibli depuis plusieurs mois. Souffrant depuis longtemps d'un cancer de la prostate, il est sans doute mort de vieillesse, paisiblement à 7 heures dimanche, selon plusieurs de ses proches interrogés par l'AFP. Il ne parlait plus en public mais saluait les caméras présentes à chacun de ses déplacements, sourire et regard malicieux, comme lors de sa vaccination contre le Covid ou en octobre à la cérémonie célébrant ses 90 ans.

Une prière a été organisée à la cathédrale St George, son ancienne paroisse. Des passants viennent déposer des fleurs et se recueillir. "C'est si triste", soupire auprès de l'AFP Miriam Mokwadi, infirmière retraitée de 67 ans. "Tutu était un vrai héros pour nous, il s'est battu pour nous", dit-elle émue, tenant sa petite fille par la main. D'autres se succédaient devant sa maison du Cap, ou encore celle que l'archevêque avait conservé à Soweto, un township de Johannesburg, selon des journalistes de l'AFP.

Perte "incommensurable" 
En signe de deuil, les joueurs de cricket sud-africains ont aussi porté un brassard noir au premier jour d'une importante compétition contre l'Inde, près de Johannesburg. "Nous pleurons sa disparition", a réagi l'archevêque anglican du Cap, Thabo Makgoba, mais célébrons "aussi la vie d'un homme profondément spirituel". "Il ne craignait personne (...) Il contestait les systèmes qui rabaissaient l'humanité", a-t-il rappelé, tout en pardonnant quand "les auteurs du mal connaissaient un vrai changement de coeur".

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, s'est dit "profondément attristé" et la fondation Mandela a qualifié sa perte d'"incommensurable": "C'était un être humain extraordinaire. Un penseur. Un leader. Un berger".

Desmond Tutu s'était fait connaître aux pires heures du régime raciste de l'apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria. Sa robe lui a épargné la prison. Son combat non-violent avait été couronné du prix Nobel de la paix en 1984.

Après l'apartheid, fidèle à ses engagements, il avait dénoncé les dérives du gouvernement de l'ANC, des errements dans la lutte contre le sida aux scandales de corruption. En 2013, il avait même promis de ne plus voter pour le parti fossoyeur de l'apartheid: "Je n'ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d'autres qui pensent en être aussi".

Parmi ses autres combats, il a aussi défendu les homosexuels -- "Je ne vénérerais pas un Dieu homophobe (...) Je refuserais d'aller dans un paradis homophobe" -- et milité pour le droit au suicide assisté. La dernière fois que le pays a eu de ses nouvelles, c'était le 1er novembre. Loin des regards, il avait voté aux élections locales.

Desmond Tutu en quelques bons mots et formules choc

L'archevêque anglican Desmond Tutu était un homme de foi et de convictions, mais aussi de mots. Il maniait aussi bien l'humour que la colère pour faire passer ses valeurs et ses indignations.

Voici quelques-unes de ses citations les plus connues:

- "Soyez gentils avec les Blancs, ils ont besoin de vous pour redécouvrir leur humanité".
(Octobre 1984, aux pires heures de l'apartheid)

- "C'est l'histoire d'un Zambien et d'un Sud-Africain qui discutent. Le Zambien vante son ministre de la Marine. Le Sud-Africain demande: "mais, vous n'avez pas de marine, pas d'accès à la mer, comment pouvez-vous avoir un ministère de la Marine? Et le Zambien de rétorquer: "et vous, en Afrique du Sud, vous avez bien un ministère de la Justice, non?"
(Discours d'attribution du prix Nobel, 11 décembre 1984)

- "Pour l'amour de Dieu, est-ce qu'ils vont entendre, est-ce que les Blancs vont entendre ce que nous essayons de dire? S'il vous plaît, la seule chose que nous vous demandons, c'est de reconnaître que nous sommes humains, nous aussi. Quand vous nous écorchez, nous saignons, quand vous nous chatouillez, nous rions".
(Discours demandant des sanctions contre l'Afrique du Sud, janvier 1985)

- "Votre président est un désastre en ce qui concerne les Noirs. Je suis très fâché. L'Occident peut aller au diable. Les syndicats noirs appellent à des sanctions. Plus de 70% de notre peuple, comme le montrent deux sondages, veulent des sanctions. Mais non, le président Reagan sait mieux que tout le monde. Nous allons souffrir. Il est là, comme le grand chef blanc à l'ancienne, à nous dire que nous, les Noirs, on ne sait pas ce qui est bon pour nous. L'homme blanc sait".
(Entretien à la presse américaine après le refus du président Ronald Reagan d'imposer des sanctions au régime de l'apartheid, juillet 1986)

- "En Afrique du Sud, j'ai souvent demandé lors de réunions publiques auxquelles Noirs et Blancs participaient: +levez les mains!+ Puis j'ai dit: +bougez les mains+. Et j'ai encore dit: +regardez vos mains+. Des couleurs différentes, représentant des gens différents. Vous êtes le peuple arc-en-ciel de Dieu".
(Extrait de son livre "The Rainbow People of God", 1996)

- "Je remercie profondément Dieu d'avoir créé le Dalaï Lama. Pensez-vous sérieusement, comme certains l'ont dit, que Dieu se dit: +d'accord, ce gars, le Dalaï Lama, il n'est pas mal. Quel dommage qu'il ne soit pas chrétien+? Je ne crois pas que ce soit le cas, parce que, vous savez, Dieu n'est pas chrétien".
(Juin 2006 à Bruxelles)

- "Il s'est transformé en quelque chose d'assez invraisemblable. Une sorte de Frankenstein pour son peuple".
(A propos du président zimbabwéen Robert Mugabe - juin 2008)

- "Un jour à San Francisco, j'étais bien tranquille dans mon coin, une femme fait irruption devant moi. Visiblement émue, elle me salue d'un +bonjour, archevêque Mandela!+ Deux hommes pour le prix d'un".
(Conférence - octobre 2008)

- "Notre gouvernement qui me représente -- qui me représente, moi? -- a dit qu'il ne soutiendrait pas les Tibétains qui sont brutalement opprimés par les Chinois. Je vous préviens, je vous préviens que nous allons prier comme nous avons prié pour la chute du régime de l'apartheid, nous allons prier pour la chute d'un gouvernement qui ne nous représente pas".
(Conférence de presse après le refus du gouvernement sud-africain d'accorder un visa au Dalaï Lama pour assister aux 80 ans de Tutu, octobre 2011).

- "Je ne vénérerai pas un Dieu homophobe (...) Je refuserai d'aller dans un paradis homophobe. Non, je dirais désolé, je préfère de loin aller de l'autre côté. Je suis aussi impliqué dans cette campagne que je l'étais contre l'apartheid. Pour moi, c'est du même niveau".
(Discours - juillet 2013)

- "Avait-il des faiblesses? Bien sûr. Et parmi elles, cette loyauté inébranlable envers cette organisation (l'ANC) et certains collègues qui ont fini par le décevoir. Il a gardé dans son gouvernement des ministres incapables, franchement incompétents. Mais je crois qu'il était saint, parce qu'il a puissamment inspiré les autres".
(Au lendemain de la mort de Nelson Mandela, le 6 décembre 2013)

- "Les gens mourants ont le contrôle de leur vie, alors pourquoi devrait-on leur refuser le contrôle de leur mort?"
(Tribune - octobre 2016)

C'est la dernière des grandes icônes de la lutte contre l'apartheid: l'archevêque Desmond Tutu, la conscience de l'Afrique du Sud mais aussi un grand espiègle et un rire puissant, est mort dimanche à 90 ans. Jusque récemment, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette violette et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs.Le...

commentaires (4)

"Je n'ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d'autres qui pensent en être aussi" Un grand, un TRES grand.

Lebinlon

10 h 42, le 27 décembre 2021

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Commentaires (4)

  • "Je n'ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d'autres qui pensent en être aussi" Un grand, un TRES grand.

    Lebinlon

    10 h 42, le 27 décembre 2021

  • Il rejoint Mandela, un autre Grand de l'Afrique et de la conscience du monde.

    Wlek Sanferlou

    03 h 13, le 27 décembre 2021

  • Paix à son âme, c’était un homme comme on en fait plus

    Bery tus

    14 h 31, le 26 décembre 2021

  • Entends-tu Rai!!!! Il serait facile de l'emuler. Il faut juste du courage. Vous preferez les mots a demi-teintes. Vous ne serez jamais un leader. Il vous manque des boules.

    sancrainte

    14 h 22, le 26 décembre 2021

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