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Moyen-Orient - Éclairage

Dans la région d’Idleb, les femmes soumises à de multiples discriminations

De nombreuses habitantes de cette zone majoritairement contrôlée par le groupe jihadiste Hay’at Tahrir el-Cham (HTS), ex-branche syrienne d’el-Qaëda, souffrent de restrictions en tout genre qui leur sont imposées au quotidien.

Dans la région d’Idleb, les femmes soumises à de multiples discriminations

Des Syriens évacués dans un camp de personnes déplacées à Maarrat al-Ikhwan, dans la province syrienne d’Idleb, le 23 mars 2018. Ibrahim Yasouf/AFP

Il ne se passe pas un jour sans que Hiba* ne compte le temps écoulé depuis la disparition forcée de son mari. « C’était il y a 10 ans jour pour jour », confie cette ancienne habitante d’Idleb. Grâce à des survivants de détention, la jeune femme a appris que son mari a été torturé puis tué par le régime syrien dans la prison de Saydnaya, à 30 km au nord de Damas, souvent qualifiée d’« abattoir humain ».

Depuis le soulèvement populaire de 2011, Idleb compte désormais de nombreuses veuves et épouses d’hommes toujours portés disparus ou détenus. Dernier grand bastion anti-Assad du pays, la province d’Idleb est majoritairement contrôlée par le groupe jihadiste Hay’at Tahrir el-Cham (HTS), ex-branche d’el-Qaëda en Syrie, tandis que d’autres factions jihadistes et des combattants de l’Armée nationale syrienne (ANS), un rassemblement de groupes rebelles soutenus par Ankara, sont également présents dans la région. Fin 2020, le nombre de déplacés par le conflit syrien vivant actuellement dans le nord-ouest du pays a été estimé à près de 2,7 millions de personnes.Faisant face à des conditions de vie difficiles, ces femmes subissent une double peine, alors qu’elles éprouvent des difficultés à sécuriser un revenu, tout en assurant le rôle qui leur était traditionnellement assigné de s’occuper des enfants et des tâches ménagères. Et ce d’autant plus que les discriminations envers elles sont particulièrement importantes, notamment dans le milieu du travail. « Les chances d’obtenir un emploi sont très difficiles, dénonce Hiba, qui étudie aujourd’hui la géographie à l’Université libre d’Alep après avoir été enseignante, et qui porte entièrement la responsabilité de ses enfants. Beaucoup de femmes sont victimes d’extorsion en échange d’un travail ou d’une aide pour elles-mêmes et pour leurs enfants ». Il y a quelque temps, la trentenaire, qui réside maintenant dans un camp de réfugiés situé près de la ville d’Azzaz, avait postulé à une offre dans une organisation humanitaire à Idleb. Mais lorsqu’elle a refusé la demande en mariage du coordinateur du projet, l’emploi lui a alors échappé. « Les discriminations à l’égard des femmes existent depuis des décennies en Syrie, mais la situation s’est aggravée en l’absence de lois et avec l’arrivée de certains groupes extrémistes qui ont commencé à imposer leurs règles à la population », ajoute-t-elle.

Traditions et normes sociales
Vivant dans la peur de faire les frais des mesures restrictives imposées par la police religieuse (hisbah) créée en 2014 par HTS, les femmes se heurtent également aux traditions et aux normes sociales entachées de patriarcat. « Lorsque la révolution a éclaté, les femmes y ont participé en force et beaucoup d’entre elles ont tenu un rôle de leadership dans les comités locaux de coordination (réseau d’organisations locales chargé d’organiser et de rendre compte des manifestations). Elles ont également joué un rôle important sur le plan médical, par exemple en aidant les blessés, et ont contribué à collecter des informations et des renseignements, observe le Dr Raymond al-Maalouli, professeur d’université et chercheur sur les questions relatives à l’éducation en Syrie. Là où la femme travaillait d’ordinaire à la maison pour s’occuper du foyer et l’homme à l’extérieur, les rôles se sont inversés dans beaucoup de cas alors que la part des chômeurs a augmenté. Cela a été mal accueilli par les hommes et a alimenté les discriminations et les violences de genre. »

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Soucieux de préserver l’ordre social traditionnel, certains hommes de religion dispensent également des sermons qui nuisent aux libertés de la femme. Début août dernier, les propos tenus par Oussama al-Rifaï, chef du Conseil islamique syrien (SIC) d’opposition, dans le cadre de sa visite à Azzaz, ville passée sous le contrôle de l’ASL, ont déclenché une polémique sur les réseaux sociaux syriens. « Saviez-vous qu’il y a des femmes de notre propre pays qui viennent en tant que recrues des Nations unies et d’autres organisations internationales pour diffuser des idées sur ce qu’elles appellent l’émancipation des femmes et les questions de genre », a affirmé le cheikh dans son prêche tenu dans l’une des mosquées de la ville, avant d’ajouter que des organisations opérant dans le nord de la Syrie sous couvert de projets d’aide humanitaire et de développement répandent « des idées de décadence morale (...) et tout ce qui est contraire aux lois morales islamiques afin de corrompre nos femmes ». Quelques mois plus tôt à Idleb, l’Organisation non gouvernementale américaine SHINE (Syrian Humanitarian Institute for National Empowerment), visant notamment à émanciper par l’éducation les femmes et les personnes défavorisées, a été contrainte par HTS à suspendre ses activités dans la ville. L’ordre lui a été donné juste après la tenue d’ateliers organisés à l’occasion de la Journée internationale de la femme.

Vêtements trop courts et colorés
Malgré ces pressions, de plus en plus de femmes de la région s’engagent à promouvoir l’égalité avec les hommes. « Étant une femme instruite et travaillant, les discriminations qui pèsent sur moi peuvent être beaucoup moins importantes que n’importe quelle autre femme qui n’a pas eu l’opportunité d’avoir une éducation », raconte Hana*, 28 ans, activiste et travailleuse humanitaire vivant à Idleb et notamment spécialisée dans les questions de violences sexistes. Parce que les différences de rôles sociaux selon le genre dépendent pour beaucoup, selon elle, des coutumes et des traditions familiales, Hana participe à des campagnes pour mobiliser et défendre les femmes de tous milieux. « Il y a des cas très répandus de violence envers les femmes tandis que d’autres jouissent de leurs droits. Personnellement, je peux porter des vêtements qui correspondent à ma culture et ma religion, sans que personne ne m’oblige à porter le niqab par exemple. Je peux également conduire dans les lieux publics », ajoute Hana.

Pour mémoire

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Des libertés que tentent cependant régulièrement de limiter HTS. Raja*, habitante d’Idleb âgée de 23 ans, en a récemment fait les frais. Elle garde un souvenir particulièrement traumatisant de cet épisode. Vêtue d’un manteau s’arrêtant aux genoux et non aux chevilles comme l’exige le groupe jihadiste, elle se rendait chez son amie lorsque deux hommes à moto lui ont volé son sac à main. La jeune femme s’est mise à crier avant qu’un groupe de personnes se rassemble autour d’elle, parmi lesquelles des membres de HTS. Accusée d’avoir porté des vêtements trop courts et colorés et d’avoir attiré l’attention avec ses cris, Raja est arrêtée puis emmenée en prison. « Je ne me souciais même pas de mon sac à main, de mon téléphone et de mon argent volés, raconte-t-elle. J’ai perdu connaissance pendant mon arrestation, à cause de la peur et de mon niveau de tension. » En dépit de son état, la jeune femme continue d’être terrorisée dans la cellule. « Ils ont fait venir une femme qui a menacé de me raser la tête. Je suis finalement sortie après avoir signé une promesse selon laquelle je ne porterai plus de vêtements courts et colorés », poursuit Raja. À sa sortie, elle est sévèrement réprimandée par son père et son frère. « J’ai eu tellement honte lorsque j’ai appris que tous mes amis et les habitants du quartier avaient su ce qu’il m’était arrivé », se rappelle-t-elle. Des histoires comme celles-ci sont courantes dans la région. Alors qu’elle se rendait à l’Université d’Idleb, dépendant du gouvernement de salut – l’organe politique de HTS–, Hiba a été la seule à pouvoir pénétrer dans l’établissement alors que sa collègue portait un manteau jugé trop court. « Elle devait absolument rentrer pour s’inscrire mais ils ne l’ont pas laissée. Face à ces discriminations, j’ai déménagé quelque temps plus tard à l’Université libre d’Alep », raconte-t-elle. En décembre 2017, le gouvernement de salut avait également tenté de prendre d’assaut cette faculté créée en 2015 dans les zones contrôlées par les groupes rebelles dans la province d’Alep et placée sous la tutelle du gouvernement intérimaire issu du Conseil national syrien. Les enseignants et les étudiants avaient alors protesté et fait cours dehors faute de pouvoir accéder à leur campus.

Se soutenir entre elles
Si la police religieuse rattachée au groupe jihadiste est encore active, ses membres se font de plus en plus rares, confie un habitant d’Idleb sous couvert d’anonymat. Après avoir tenté d’imposer de nombreuses restrictions à la population, le « centre al-Falah », créé en mai 2020 sous l’autorité de la hisbah, a suspendu ses activités en septembre dernier à la suite de mouvements de protestations. Cet organe avait pour but de punir les contrevenants à la Charia et interdisait notamment aux hommes de vendre des vêtements pour femmes, en plus de prévoir l’installation de points de contrôle sur les campus universitaires et dans les parcs pour empêcher les hommes et les femmes de se mélanger dans l’espace public. Selon plusieurs observateurs, cette suppression s’inscrit dans le cadre d’une politique d’ouverture initiée par HTS en vue de pérenniser sa présence et de s’assurer une légitimité comme principal groupe politique d’opposition dans la région. Mais, pour les femmes, cela est loin de signifier que le combat pour l’égalité est acquis. Surtout, Hiba reste persuadée que les femmes doivent se soutenir entre elles pour revendiquer leur place « au lieu d’attendre le soutien des hommes ». Après avoir été écartée en raison de son statut de femme par un groupe de soutien aux familles de détenus, elle lutte aujourd’hui activement au sein du mouvement « Families for Freedom » créé en novembre 2017 par cinq femmes dont un proche a disparu ou a été incarcéré. « Alors qu’il y a beaucoup de discriminations sociales contre les épouses de détenus et les veuves, seules les femmes peuvent prétendre à un rôle de leader au sein de notre organisation », précise-t-elle. Une nécessité afin de « leur permettre de revendiquer leurs droits et de jouer un rôle actif dans la recherche de la justice. »

*Les prénoms ont été modifiés.

Il ne se passe pas un jour sans que Hiba* ne compte le temps écoulé depuis la disparition forcée de son mari. « C’était il y a 10 ans jour pour jour », confie cette ancienne habitante d’Idleb. Grâce à des survivants de détention, la jeune femme a appris que son mari a été torturé puis tué par le régime syrien dans la prison de Saydnaya, à 30 km au nord de Damas,...

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Où est la nouvelle?

Wlek Sanferlou

14 h 57, le 06 décembre 2021

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  • Où est la nouvelle?

    Wlek Sanferlou

    14 h 57, le 06 décembre 2021

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