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Flaubert et l’Orient

Flaubert et l’Orient

D.R.

C’est la faute à Flaubert de Mohamed Taan, éditions Saint-Honoré, 2019, 324 p.

Dans son dixième roman, l’auteur de Khawaja croise le destin de deux géants : Gustave Flaubert et l’Égypte sous Mehmet Ali qui lance de grands travaux, jetant ainsi les bases de son pays qu’il précipite dans l’ère moderne. En parfait scénariste de films qu’il fut avant de devenir romancier, Mohamed Taan fait alternativement traverser au lecteur, d’un chapitre à l’autre, un pont par-dessus deux continents : de Rouen au bord du Nil et des rives de la Seine au Caire de l’après-guerre de Bonaparte.

En France, des années de Collège à L’Éducation sentimentale, se construit une âme révoltée contre la société à la recherche d’elle-même et de sa sexualité. En Égypte, un barrage s’élève sur les eaux du Delta érigé par des Français qui finissent par creuser le canal. En rupture à cause de son homosexualité, souffrant d’être persécuté et incompris, rongé de culpabilité et d’angoisse par son « affliction », le génie de Flaubert aiguise ses premières armes romanesques tandis qu’à l’autre bout du monde, des ingénieurs parmi lesquels sera reconnu Prisse d’Avennes élaborent les plans d’un « bel avenir » pour le pays des Pyramides.

Ayant épluché les correspondances de Flaubert avec les siens et surtout ses amis qu’il cite abondamment – « Cher Gustave, tu seras pour toujours condamné à dénoncer une société intolérante qui ne cessera de te persécuter en retour » –, Taan livre l’arrière-plan intime et des clés architecturaux de l’œuvre flaubertienne dont il souligne les traits autobiographiques. Flaubert y apparaît d’un « orgueil morbide, dû à la névrose de la solitude et à la rancune qu’il nourrissait contre son père qui l’avait dénigré ».

C’est la Faute à Flaubert jette notamment un pont spirituel et matériel entre l’Orient et l’Occident. C’est une métaphore d’ordre sexuel qui noue les deux rives du roman. Maxime Du Camp, ami de Gustave, convainc Flaubert d’entreprendre un voyage de ce côté-ci de la Méditerranée afin de l’éloigner, par jalousie, d’un ami « sodomite ». Du Camp fréquente un cercle de saint-simoniens où il apprend que Anglais et Français se disputent les faveurs du pouvoir égyptien au sujet du creusement du canal dans la région de Suez où est située la « faille universelle » et dont l’enjeu était l’abolition de la sokhra, corvée qui offrait une main d’œuvre gratuite de fellahs. Ces derniers par centaines succomberont.

L’exergue que Mohamed Taan a choisi pour son roman signale une charte de bonne gouvernance universelle datant de Ali ibn Abi Taleb que l’on trouve à l’entrée du bâtiment des Nations unies à New York et que l’on recommande à « tout dirigeant du monde » : « Sache que tu vas gouverner des gens de deux sortes : ou bien tes frères dans la religion ou bien tes semblables dans l’humanité ! »

« On ne peut construire un pays quand on a la gloire de sa personne pour unique souci, ajoute Taan. Comment le faire, alors que les Turcs asservissent l’Égypte et que celle-ci asservit ses fils ? »

Avec un art consommé, tissant l’Histoire de la région avec les fils de la littérature et celle-ci avec les mœurs tourmentées de l’auteur de Madame Bovary qui, grisé de constater qu’« on ne cache pas sa sodomie en Orient », va découvrir cette fête de danseurs d’« almées mâles » à la double sexualité, Mohamed Taan signe ainsi l’un de ses meilleurs romans.


C’est la faute à Flaubert de Mohamed Taan, éditions Saint-Honoré, 2019, 324 p.Dans son dixième roman, l’auteur de Khawaja croise le destin de deux géants : Gustave Flaubert et l’Égypte sous Mehmet Ali qui lance de grands travaux, jetant ainsi les bases de son pays qu’il précipite dans l’ère moderne. En parfait scénariste de films qu’il fut avant de devenir romancier,...

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