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Idées - Commentaire

L’ouverture démocratique du Soudan peut-elle être relancée ?

L’ouverture démocratique du Soudan peut-elle être relancée ?

Une manifestation contre le coup d’État militaire à Khartoum le 13 novembre 2021. Archives AFP.

L’accord de partage du pouvoir conclu en 2019 entre les civils et les responsables militaires au Soudan, qui envisageait une transition vers un régime démocratique après le renversement de la dictature de Omar el-Bachir, ne s’annonçait évidemment pas facile à mettre en œuvre. Seulement voilà, après le coup d’État militaire du mois dernier, la question est désormais de savoir si la démocratie figure encore tout simplement au programme.

L’armée et les Forces de la liberté et du changement (FLC), révolutionnaires qui ont renversé Bachir en avril 2019, se sont méfiées l’un de l’autre dès le départ, mais n’ont eu d’autre choix que de trouver un compromis après la chute du dictateur. Les responsables civils ont suspecté l’armée, qui a dans un premier temps dirigé le Conseil de souveraineté de transition, de n’avoir aucune intention de se dessaisir du pouvoir à mi-mandat (novembre 2021), ce que prévoyait l’accord constitutionnel. Les responsables militaires étaient partagés entre la crainte d’un pouvoir de la rue et le désir de préserver leurs privilèges économiques tout en échappant à des sanctions pour les méfaits passés.

Le général Abdel Fattah el-Burhane, chef des armées (et du Conseil), qui a dirigé le coup d’État du 25 octobre, a appelé au remplacement du gouvernement du Premier ministre Abdallah Hamdok par une administration apolitique. Burhane considère que les partis politiques ont exercé une influence illégitime sur les FLC et divisé le pays tout en entravant le progrès économique et politique.

Double erreur d’appréciation

Burhane s’attendait à ce que l’opposition intérieure au coup d’État se fasse de plus en plus silencieuse – notamment parce que les FLC s’étaient fragmentées, certains de ses membres reprochant au gouvernement le manque d’avancées économiques. Il comptait également sur une réaction internationale modérée, comme celle qui a suivi le coup d’État institutionnel du président tunisien Kaïs Saïed au mois de juillet.

Il s’est trompé sur ces deux points. Le coup d’État a en effet rassemblé les opposants à un pouvoir militaire. Des manifestations massives ont au lieu à Khartoum et dans d’autres villes soudanaises, plusieurs millions de personnes de tous âges et profils occupant les rues et menaçant de paralyser l’économie jusqu’à ce que la transition démocratique reprenne. La communauté internationale a elle aussi maintenu sa position. Le Conseil de sécurité des Nations unies a fermement condamné le coup d’État, l’Union africaine a suspendu la participation du Soudan et la plupart des donateurs ont stoppé leur soutien financier.

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Pour l’heure, la situation politique au Soudan demeure fluide. Les efforts de médiation se poursuivent, mais la réussite ne sera pas facile, dans la mesure où l’accord de partage du pouvoir se heurte à de sérieuses difficultés et parce que le retour au statu quo ne satisfera personne. Parmi les trois principaux défis de la transition, les réformes du secteur de la sécurité sont au point mort, et il reste encore au processus de paix national à pacifier plusieurs groupes rebelles importants. Des avancées ont principalement été accomplies sur le plan des réformes économiques.

Les tentatives de résolution de ces problématiques menacent toutefois les intérêts de l’armée, mettant de plus en plus en difficulté les généraux. Premièrement, une dynamique anticorruption commence à révéler certaines irrégularités dans le cadre de plusieurs activités commerciales des Forces armées du Soudan (FAS) et des Forces de soutien rapide (FSR), qui dominent l’économie. Les appels à la supervision étatique des sociétés contrôlées par l’armée se font par conséquent de plus en plus affirmés. Intervient par ailleurs une pression populaire croissante pour que répondent de leurs actes les auteurs du massacre de manifestants pacifiques aux abords du quartier général de l’armée à Khartoum. De nombreux observateurs pensent que ces événements ont déclenché le coup d’État.

La situation est d’autant plus complexe que les FLC ne constituent plus le seul faiseur de rois du côté civil, l’accord de paix et de partage du pouvoir de Juba ayant attribué à plusieurs anciens mouvements rebelles un rôle majeur dans l’autorité de transition.

Mais aussi épineuses que puissent apparaître ces difficultés, leur résolution est indispensable à la poursuite de la transition. L’amorce d’un processus conduisant à l’intégration des FSR et d’autres milices en un seul et même ensemble des FAS, ainsi que l’élargissement du processus de paix afin qu’y soient inclus les mouvements rebelles exclus et les autres communautés traditionnelles seront également essentiels.

Soutien extérieur

Pour que des réformes aussi clivantes aient une chance de réussir, de meilleures perspectives économiques seront cruciales. Jusqu’à présent, les réformes économiques ont avancé d’un bon pas. Le gouvernement Hamdok a libéralisé et unifié le taux de change, ce qui dynamise les recettes issues des droits de douane. La suppression progressive de subventions coûteuses a également permis de diviser par deux le déficit public en part du PIB ainsi que d’accroître les recettes de l’État. Enfin, 50 milliards de dollars de dettes extérieures du Soudan sont en cours d’annulation.

Ces mesures apporteront en fin de compte suffisamment de fonds pour commencer à reconstruire les services publics, notamment une meilleure sécurité sociale, ainsi qu’à renforcer les systèmes de santé et d’éducation, en état de délabrement après quasiment trois décennies de mauvaise gestion flagrante par Bachir.

Le coût de ces réformes pèse néanmoins à ce jour principalement sur les citoyens pauvres. En lieu et place d’un dividende démocratique, les citoyens soudanais voient l’inflation s’accélérer jusqu’à atteindre 366 %, l’économie se contracter pour la troisième année consécutive et la pauvreté extrême s’aggraver, réduisant toujours plus la classe moyenne. Plusieurs signaux d’amélioration s’observent depuis quelques mois, avec un ralentissement de l’inflation ainsi qu’un développement des programmes d’aide aux familles. Le coup d’État menace cependant d’anéantir ces avancées et de faire dérailler le processus d’allègement de la dette, avec de possibles conséquences économiques dévastatrices.

Pour réussir, le Soudan a besoin d’un plus grand soutien extérieur. Hamdok demande 13 milliards de dollars pour appuyer la transition sur trois ans et le Fonds monétaire international estime que 7,25 milliards de dollars de financement sont nécessaires sur les deux prochaines années pour permettre au Soudan d’éviter la monétisation du budget et de muscler ses réserves. Or, la dernière conférence des donateurs étrangers, qui a eu lieu à Berlin en juin 2020, n’a abouti qu’à l’engagement de 1,8 milliard de dollars – dont 350 millions proviennent de l’Union européenne, 356 millions des États-Unis et le reste de la Banque mondiale. Le soutien de la part des pays du Conseil de coopération du Golfe, pour l’essentiel en nature, était conséquent en 2019, mais il a depuis diminué. La finance multilatérale s’est jusqu’à présent largement concentrée sur le remboursement des arriérés du Soudan et sur le lancement du processus d’allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE).

Contrairement aux discours dominants, les flux financiers entrants au Soudan demeurent à ce jour limités, avec environ 800 millions de dollars engagés en 2021. Résultat, les dépenses publiques totales budgétées pour 2021 atteignent seulement 2,5 milliards de dollars – soit environ 7 % du PIB – pour une population de 45 millions d’habitants.

L’opposition généralisée face au coup d’État démontre que la population soudanaise refuse la dictature militaire. Revoir l’accord de partage du pouvoir est désormais une nécessité si la transition vers la démocratie doit se poursuivre et avoir une chance d’aboutir. Une plus grande générosité dans le soutien financier et politique international est également indispensable à ce processus. Si la transition du Soudan n’est pas relancée, il faut s’attendre à ce que l’armée rebâtisse une coalition politique islamique, avec un risque de retour du pays au statu quo désastreux d’avant 2019.

Copyright : Project Syndicate, 2021.Traduction Martin Morel

Par Ishac DIWAN

Professeur à l’École normale supérieure de Paris, titulaire de la chaire d’Excellence monde arabe à Paris sciences et lettres.

Par Ibrahim ELBADAWI

Ancien ministre des Finances et de la Planification économique du Soudan et directeur général de l’Economic Research Forum.

L’accord de partage du pouvoir conclu en 2019 entre les civils et les responsables militaires au Soudan, qui envisageait une transition vers un régime démocratique après le renversement de la dictature de Omar el-Bachir, ne s’annonçait évidemment pas facile à mettre en œuvre. Seulement voilà, après le coup d’État militaire du mois dernier, la question est désormais de savoir si...

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