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Moyen-Orient - YÉMEN

La prise de Hodeida par les houthis redéfinit les lignes de front

Les rebelles se sont emparés du port stratégique après que les forces loyalistes yéménites s’en sont retirées pour se redéployer. Un mouvement inattendu qui pourrait entraîner une révision des conditions d’une sortie de crise.

La prise de Hodeida par les houthis redéfinit les lignes de front

Hodeida, le plus grand port yéménite sur la mer Rouge, est repassé sous le contrôle des houthis. Photo d’archives AFP

Les forces conjointes soutenant le gouvernement yéménite ont soudainement quitté, la semaine dernière, leurs positions autour de la ville portuaire de Hodeida, laissant le champ libre aux rebelles houthis et entraînant le déplacement de plus de 6 000 personnes. Alors que les positions militaires des parties impliquées au Yémen n’avaient pas bougé fondamentalement cette année, ce retrait des forces pro-gouvernementales « représente un changement majeur au niveau des lignes de front dans la province de Hodeida », souligne la mission de l’ONU pour le soutien à l’accord de Hodeida (UNMHA).

Tandis que l’Arabie saoudite mène depuis 2015 une coalition militaire en appui aux forces loyalistes du président Abd Rabbo Mansour Hadi, qui contrôlent une large partie du Sud et un dernier bastion dans le Nord à Ma’rib, les rebelles houthis, soutenus par Téhéran, contrôlent la capitale Sanaa et une grande partie du nord du pays. Selon un communiqué de la coalition, « les forces conjointes de la côte ouest ont procédé jeudi dernier au redéploiement et au repositionnement de leurs capacités militaires », en accord avec « les plans du commandement commun de la coalition ». « Le retrait des forces conjointes est cohérent avec la nouvelle stratégie de la coalition émirato-saoudienne, où les deux pays se concentrent sur des zones stratégiques au lieu de payer un lourd tribut pour acquérir de larges zones géographiques », explique Ahmad Nagi, chercheur au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. « Cette opération de retrait a montré l’indifférence de la coalition envers ses alliés locaux », ajoute-t-il.

Principal point d’entrée de l’aide humanitaire et des importations, dont le pays dépend à près de 90 % pour ses denrées alimentaires, Hodeida constitue pourtant un gain stratégique important pour les houthis qui contrôlent également la capitale Sanaa plus à l’est, ainsi que la route qui les relie. Au cœur des accords de Stockholm signés en décembre 2018, qui prévoyaient entre autres un cessez-le-feu dans la ville et son port, ainsi qu’un redéploiement des troupes des deux côtés, Hodeida a cependant continué de voir des combats sporadiques éclater entre forces gouvernementales et rebelles. Alors que les troupes houthies reprenaient le contrôle de la ville dès vendredi dernier et essayaient de gagner du terrain sur des poches tenues par les loyalistes, elles ont néanmoins été repoussées au sud de Hodeida. L’ONU, qui supervise le respect des accords de Stockholm et n’avait pas été prévenue en amont du redéploiement unilatéral de la coalition, a exprimé vendredi déjà son inquiétude face aux rapports faisant état de victimes civiles après des frappes progouvernementales qui ont touché al-Tuhayta, au sud de Hodeida, suite aux tentatives houthies de gagner du terrain.

Nouvelle dynamique autour de Ma’rib

La relocalisation des forces de la coalition peut être vue comme s’inscrivant dans une dynamique de confrontation qui se recentre autour de la ville de Ma’rib, où les combats se sont intensifiés ces derniers mois. Capitale de la province éponyme aux importantes réserves d’hydrocarbures qui fournit 90 % du gaz de pétrole liquéfié consommé dans le pays, Ma’rib est le dernier bastion du gouvernement dans le nord du pays. Après avoir relancé leur offensive en septembre dernier et malgré les frappes aériennes désormais quotidiennes de la coalition, les combattants houthis, qui ont déjà essuyé des milliers de pertes, continuent leur avancée sur la ville. « La coalition fait pression sur les groupes houthis pour accepter un accord qui sécurise leurs intérêts dans les zones sous leur contrôle », affirme Ahmad Nagi.

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Riyad, fer de lance de la coalition, considère comme une priorité et une urgence de trouver une sortie de crise au Yémen, d’autant plus que sa sécurité est directement menacée par les rebelles qui lancent régulièrement sur son territoire drones et missiles. L’Arabie saoudite semble prête à faire quelques concessions sur le dossier yéménite, notamment sur Hodeida, alors que l’étau se resserre sur le terrain et que les négociations secrètes tenues avec l’Iran sur le sujet semblent avoir été jusque-là un échec. « Aujourd’hui, la coalition tente de redéfinir le paysage du pays dans un sens qui serve au mieux ses intérêts sans prendre en compte les demandes des Yéménites », affirme Ahmad Nagi. Le ministre saoudien des Affaires étrangères a réaffirmé son « engagement à mettre fin au conflit » lors d’une interview avec France24 samedi dernier, rejetant la faute sur les rebelles houthis « qui continuent de refuser de s’impliquer de manière positive en vue d’un cessez-le-feu ». Cependant, Hodeida reste encore soumise, comme l’aéroport de Sanaa sous contrôle houthi, à un blocus de la coalition arabe, dont la levée totale est une des conditions des rebelles pour l’acceptation d’un cessez-le-feu avec les forces progouvernementales.

Confrontation régionale

Les tensions continues entre parties belligérantes s’inscrivent également dans le cadre d’une confrontation régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite, qui font monter la pression à travers leurs supplétifs respectifs pour gagner en pouvoir de négociation en vue d’une potentielle reprise des discussions bilatérales sur la fin du conflit yéménite. En outre, les États-Unis sous Joe Biden ont annoncé dès son investiture le retrait de leur soutien direct à la coalition menée par Riyad, tout en souhaitant revenir à l’accord sur le nucléaire de 2015 avec l’Iran, dont l’Arabie saoudite n’est pas partie prenante. Tim Lenderking, émissaire américain pour le Yémen, qui a rencontré des membres du gouvernement reconnu par la communauté internationale à Aden le 8 novembre, a insisté sur le fait qu’« il était désormais temps pour tous les Yéménites de se réunir afin de mettre fin à cette guerre ». Le même jour, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Yémen, Hans Grundberg, a rappelé « qu’il existe toujours un moyen de rompre le cycle de la violence et toujours des occasions pour un dialogue pacifique ».

Face au rôle du royaume wahhabite dans le conflit au Yémen, qui traverse la pire crise humanitaire du monde avec « 16 millions de personnes littéralement au bord de la famine », selon le chef du Programme alimentaire mondial de l’ONU, les critiques ne faiblissent pas et les soutiens s’amenuisent. Même les Émirats arabes unis, alliés traditionnels de Riyad, ont retiré leurs dernières troupes au sol début 2020, en y conservant des intérêts divergents de ceux du royaume. « Les Saoudiens et les Émiratis cherchent à trouver une solution qui leur permette de sécuriser leurs intérêts en coulisses et de mitiger les conséquences négatives de leur intervention militaire », conclut Ahmad Nagi.

Les forces conjointes soutenant le gouvernement yéménite ont soudainement quitté, la semaine dernière, leurs positions autour de la ville portuaire de Hodeida, laissant le champ libre aux rebelles houthis et entraînant le déplacement de plus de 6 000 personnes. Alors que les positions militaires des parties impliquées au Yémen n’avaient pas bougé fondamentalement cette année, ce...

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