Le point de vue de... Le point de vue de Samer Frangié

Écrire sur la ligne de feu

Écrire sur la ligne de feu

D.R.

Qui a tiré en premier, ou l’absurde question

Soudain, ont circulé de nouvelles vidéos montrant un certain rôle de l’armée dans les premiers coups de feu, rôle que l’institution a confirmé dans l’un de ses communiqués. Soudain, est dépassé le récit de l’embuscade, laissant apparaître des événements bien plus complexes : une manifestation provocatrice qui aurait évolué en altercation avant que les premiers tirs ne lui fassent revêtir l’aspect d’une guerre ouverte sur tous les fronts.

Il se peut qu’il y ait eu des « francs-tireurs » ou un plan prémédité, je l’ignore. Nul n’est, a priori, en mesure de le confirmer ou de l’infirmer. Les récits de « l’autodéfense », de « l’embuscade », du « complot étranger » et du « conflit individuel » ne se contredisent pas. Bien souvent ces récits relatent le même événement sous différents angles.

Mais tout cela ne change en rien la donne. La recherche du responsable de la première étincelle ne modifiera en rien l’avis de celui qui est désormais au cœur du brasier.

L’appareil médiatique du Hezbollah continuera de qualifier les Forces libanaises de criminelles. Plus encore, le spectre de la conspiration sera élargi pour y inclure l’armée libanaise. L’existence d’une conspiration est incontestable. Reste à en connaître l’étendue et les imbrications. Après la société civile, les médias, le pouvoir judiciaire, les Forces libanaises et la révolution, voilà que l’institution militaire vient, à son tour, s’ajouter à la liste de ceux qui conspirent contre la « résistance ». Aucun argument, aucune enquête, aucune preuve ne réussiront à ébranler cette conviction. Remettre en cause le complot, c’est en être complice.

C’est là la logique de la guerre civile dont nous ne nous sommes jamais défaits, logique qui fait que les lignes de démarcation sont cognitives, avant d’être matérielles.

Le ressenti de la guerre civile

Les derniers jours ont montré l’appétence du Hezbollah pour cette guerre. En effet, loin de la dimension politique des événements de Tayouneh et des affrontements meurtriers, force est de constater la nature guerrière et nihiliste de la machine du Hezbollah ainsi que sa capacité à diaboliser l’adversaire, à fabriquer des récits et à pousser la politique du sang jusqu’à l’extrême.

Cependant, la guerre n’est plus l’apanage de la machine du Hezbollah. Elle se manifeste désormais dans le sentiment d’indignation face à la logique de la « toute-puissance », justifiant la violence adverse. Il s'agit d'un sentiment qu’il est difficile d’ignorer et d’en ignorer les questionnements :

Fallait-il laisser sans défense les quartiers résidentiels comme ce fut le cas le 7 mai, avec les « chemises noires », ou les places de la révolution qui se sont transformées en cibles nocturnes pour « l’élite » du Hezbollah ? Est-il normal que les milices du Hezbollah et du mouvement Amal sillonnent les rues impunément ? Faute de riposte officielle, n’est-il pas naturel que les communautés décident de recourir à l’autoprotection ? Est-il concevable que Hassan Nasrallah qualifie l’assassinat de 100 personnes de « jour de gloire », et qu’il soit interdit à ceux qui sont menacés de mort de se défendre ?

Une réalité du quotidien

Le débat est prisonnier d’un cercle vicieux. Le « problème Hezbollah » n’est plus un problème politique qu’il est possible de résoudre par un dialogue ou un slogan contre les armes. Ce n’est pas non plus un problème culturel qui découle des fractures confessionnelles dans le pays, comme le soutiennent les défenseurs du fédéralisme. Il s’agit d’un problème social dont la manifestation est la domination absolue du Hezbollah. L’arme la plus efficace du Hezbollah aujourd’hui est l’arsenal d’institutions à travers lesquelles il impose sa mainmise et qui le transforment davantage en « réalité du quotidien » qu’en choix partisan.

Ces propos seront certainement qualifiés de « clichés », voire de « racistes », puisqu’ils incitent à dépasser le contexte politique. En effet, pour les chiens de garde des communautés, soit leurs journalistes et leurs analystes, qu’ils soient confessionnels ou laïcs, toute rhétorique qui ne sacralise pas l’unité de la communauté est synonyme de traîtrise.

Cependant, l’arsenal d’institutions dirigées par le Hezbollah, sécuritaires, militaires, éducatives ou caritatives, médiatiques ou bancaires, jusqu’aux institutions religieuses et politiques, lui confèrent un statut différent de celui des autres partis libanais, même si ces derniers aspirent sans doute à répliquer ce modèle.

Le fédéralisme est certes un slogan « chrétien », mais il se transforme en réalité institutionnelle chez le Hezbollah. Il est donc nécessaire de ne pas minimiser cette réalité et essayer d’en tirer les conséquences.

Unanimité autour du « problème Hezbollah »

Ces derniers jours est aussi apparu un consensus, tacite et versatile, autour du « problème Hezbollah » devenu prioritaire, soit le problème de la politique à l’ombre des fractures de la société face à cet arsenal d’institutions, problème qui menace la politique dans ses derniers retranchements.

Depuis plus de deux ans, le Hezbollah n’a pas réussi à convaincre, ne fut-ce qu’une nouvelle personne, de la pertinence de ses positions. Bien au contraire, il a perdu tous ceux qui avaient prôné par le passé les théories consistant à « réformer le Hezbollah en le rassurant », à « ignorer le Hezbollah pour réformer le pays » ou même à « comprendre le Hezbollah dans son contexte »… Ils ont découvert que le parti ne cherche pas à être rassuré. Il cherche une raison d’être, un alibi qui justifie son hégémonie. Alibi difficile à fournir depuis qu’il a pris la défense du système bancaire, menacé l’enquête et protégé le régime en place, le considérant comme un des piliers de la résistance.

À cette crise vient s’ajouter la crise que traversent les opposants « traditionnels » au Hezbollah. Depuis les événements du 7 mai, ils tentent d’instaurer un « équilibre des forces », tentative qui ne peut que se solder par une guerre civile. La révolution du 17 octobre a réussi à transformer le problème avec le « Hezbollah », soit un problème sécuritaire avec un parti militaire, en un « problème Hezbollah », soit un problème social nécessitant un nouveau contrat social.

Dans cette perspective, les événements de Tayouneh deviennent une partie du problème que nous affrontons en tant que société, aussi fissurée soit-elle, et non plus seulement une riposte au projet sécuritaire du Hezbollah.

Cependant, celui qui dédaigne le plus ces fractures civiles est bien Nasrallah lui-même, qui a prouvé lors de son dernier discours qu'il ne comprenait pas les règles les plus élémentaires de la communication interconfessionnelle au Liban, habitué à s’adresser à son public à travers son écran. « Soyez sages et comportez-vous comme il le faut. » Ce mot à lui seul suffit à enflammer tous les fronts, peu importe que vous prétendiez, Monsieur Hassan, défendre les Églises d'Orient...

Traduit de l’arabe par Work With Words

Qui a tiré en premier, ou l’absurde questionSoudain, ont circulé de nouvelles vidéos montrant un certain rôle de l’armée dans les premiers coups de feu, rôle que l’institution a confirmé dans l’un de ses communiqués. Soudain, est dépassé le récit de l’embuscade, laissant apparaître des événements bien plus complexes : une manifestation provocatrice qui aurait évolué...

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