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Moyen-Orient - Reportage

Déplacées dans leur propre ville, des familles syriennes vivent sur la ligne de front

Coupée en deux, Tadef, à une trentaine de kilomètres à l’est d’Alep, est la seule ville de Syrie où les forces du régime et les rebelles proturcs coexistent relativement en paix.

Déplacées dans leur propre ville, des familles syriennes vivent sur la ligne de front

Assis au milieu des ruines d’un immeuble abandonné, Khalil Ibrahim regarde la ligne de front qui sépare les territoires tenus par le régime syrien et les zones rebelles dans la ville de Tadef, à une trentaine de kilomètres à l’est d’Alep, le 7 octobre 2021. Bakr Alkassem/AFP

Khalil Ibrahim vit à quelques dizaines de mètres de sa maison, mais il ne peut s’en approcher : dans la ville de Tadef, dans le nord de la Syrie, une frontière sépare les zones rebelles, où il habite, des territoires contrôlés par le régime, où se trouve sa maison. « J’habite chez un de mes amis, à 300 ou 350 mètres de ma maison, se désole cet homme de 46 ans. Il n’y a plus de portes ni de fenêtres et je ne veux pas investir pour la réparer, car je ne sais pas si je vais rester ou partir. » Il montre de loin sa maison, construite sur un lopin de terre hérité de son père. « C’est une maison de quatre chambres, avec une vue magnifique », ajoute ce chauffeur de taxi, la tête recouverte d’un keffieh à damier rouge et blanc.

Tadef, à une trentaine de kilomètres à l’est d’Alep, est la seule ville de Syrie où les forces du régime et les rebelles proturcs coexistent relativement en paix, séparés par une ligne de front. Khalil Ibrahim a fui Tadef en 2015, alors que des combats faisaient rage dans la ville, tombée un an plus tôt aux mains du groupe jihadiste État islamique. Il n’y est retourné que quatre ans plus tard, après la chute du califat. « Je me suis installé sur la ligne de front parce que les loyers sont très élevés » ailleurs en Syrie, explique ce père de famille.

En 2017, les forces de Bachar el-Assad, soutenues par l’armée russe, ont pris le contrôle d’une partie de Tadef à l’issue de combats avec l’EI. Dans le même temps, la Turquie et les rebelles syriens qu’elle soutient ont lancé une opération dans le nord de la Syrie, visant les jihadistes ainsi que les combattants kurdes qu’Ankara qualifie de « terroristes ». Depuis, les rebelles proturcs ont pris le contrôle de plusieurs régions dans le nord du pays, dont une poche à Tadef, tandis que les forces du régime tiennent le reste de la ville. « Mes enfants me demandent : “Papa, notre maison est si proche, est-ce qu’on y retournera un jour ? ” » dit M. Ibrahim.

Un toit plutôt qu’une tente

Les rues de Tadef portent encore les stigmates des bombardements qui ont détruit une partie de la ville quand elle était encore aux mains des jihadistes. À l’entrée nord de la localité, des panneaux d’affichage de l’EI, criblés de balles, dominent les rues dévastées et les immeubles bombardés. Sur la ligne de front, des sacs de sable et de gros blocs de pierre délimitent la frontière improvisée.

Les services publics y sont inexistants et beaucoup de maisons sont privées de courant. À part un marchand de légumes, il n’y a plus aucun commerce dans la ville et les habitants doivent se rendre dans la ville d’al-Bab, à près de quatre kilomètres, pour acheter les produits de première nécessité. « Les gens reviennent ici en raison de la pauvreté extrême, explique Rami al-Mohammad Najjar, un responsable local. Certains vivaient dans des camps (de déplacés) et ont décidé de rentrer chez eux ou de vivre chez des proches parce qu’ils estiment qu’il vaut mieux vivre sous un toit que sous une tente. »

« Coincés au milieu »

Dans un quartier du nord de Tadef, des enfants ont transformé les maisons bombardées en terrains de jeux. Certains sont juchés sur les restes d’un toit détruit, d’autres sautent et courent dans les ruines d’un immeuble voisin. Il n’y a plus d’écoles et les enfants apprennent des rudiments de mathématiques, de lecture et de religion à la mosquée locale, sous la férule d’un imam, les filles et les garçons séparés pour éviter toute mixité.

Comme Khalil Ibrahim, Fatima al-Radwan, 49 ans, vit dans une maison détruite, sans électricité, à quelques jets de pierre de son foyer. « Nous étions heureux » dans la maison composée de trois chambres et d’une large cuisine donnant sur un large potager, regrette cette mère de cinq enfants. Mais depuis que son fils aîné, dont elle n’a plus de nouvelles, a rejoint les rangs des rebelles, elle craint de retourner dans les zones tenues par le régime. Et impossible pour elle de vivre ailleurs en Syrie, les loyers étant trop élevés pour sa famille, qui survit en vendant des bouts de plastique rassemblés. « Ici, on se débrouille malgré les bombardements » sporadiques, dit-elle. « Eux, ils se battent, et nous sommes coincés au milieu. »


Khalil Ibrahim vit à quelques dizaines de mètres de sa maison, mais il ne peut s’en approcher : dans la ville de Tadef, dans le nord de la Syrie, une frontière sépare les zones rebelles, où il habite, des territoires contrôlés par le régime, où se trouve sa maison. « J’habite chez un de mes amis, à 300 ou 350 mètres de ma maison, se désole cet homme de 46 ans. Il n’y...

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