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Monde - Portrait

Osman Kavala, l’antithèse de Recep Tayyip Erdogan

Initialement poursuivi pour avoir soutenu le mouvement de protestation de Gezi en 2013, le philanthrope et activiste turc est incarcéré depuis octobre 2017 sans jugement.

Osman Kavala, l’antithèse de Recep Tayyip Erdogan

Le philanthrope turc, Osman Kavala, lors d’un événement non daté à Istanbul. Photo Anadolu Culture Center/AFP

Le charisme de Osman Kavala, cheveux poivre et sel et silhouette élancée, n’échappe pas à ceux qui le connaissent bien, voire qui l’ont simplement aperçu. « Grand, athlétique et réfléchi dans ses mouvements, il a une présence physique saisissante, écrivait, dans la foulée de la première arrestation de Osman Kavala en octobre 2017, Anthony Barnett, auteur et militant anglais ayant connu le mécène turc depuis plus de trente ans. Lent à répondre, quand il sourit, il éclaire tout le monde autour de lui. Il écoute, une qualité assez rare en soi. Il absorbe les arguments et les pèse. » En cela, le contraste entre celui qui est prisonnier politique depuis 2017 et le président Recep Tayyip Erdogan, adepte des provocations et des formules chocs, est frappant. De toutes les cibles du président turc, aucune ne semble incarner autant que Osman Kavala tout ce qu’Erdogan déteste.

C’est sans doute l’une des raisons de l’incarcération quasi continue, et sans aucun jugement, du philanthrope depuis octobre 2017. Initialement poursuivi pour avoir soutenu le mouvement de protestation de Gezi en 2013 – d’abord mené par des écologistes s’opposant à la destruction d’un des rares espaces verts du centre d’Istanbul devant laisser sa place à un centre commercial, puis généralisé avec des revendications antigouvernementales portées par des manifestants à travers le pays – Osman Kavala a ensuite été la cible d’accusations aussi « fantaisistes », selon lui, que celles de tentative de coup d’État, en référence au putsch manqué de juillet 2016, et d’espionnage.

Différentes identités culturelles

En réalité, son parcours et ses idées fournissent déjà de nombreuses indications sur les raisons de l’acharnement du président turc à son égard. « Kavala pense fondamentalement et sincèrement que la Turquie a sa place dans l’Union européenne et que la société turque doit reconnaître et laisser développer les différentes identités culturelles à égalité, qu’il s’agisse des Kurdes, des Arméniens, des minorités chrétienne, juive, musulmane, etc. », observe Ahmet Insel, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-La Sorbonne et à l’Université de Galatasaray à Istanbul. « Il considère que le gouvernement ne doit pas avoir de position nationaliste et discriminante envers tous ceux qui n’entrent pas dans la norme du national », ajoute-t-il.

À ce titre, sa carrière toute entière est guidée par la défense des droits humains. Né en 1957 à Paris, Osman Kavala, aujourd’hui âgé de 64 ans, a grandi et vivait à Istanbul avant son incarcération. Issu d’une famille de commerçants originaire de Kavala, dans le nord de la Grèce, ayant fait fortune dans le tabac, il se lance d’abord, quand il a une vingtaine d’années, dans des études d’économie à l’Université de Manchester, au Royaume-Uni, avant de se rendre à New York pour y effectuer un doctorat. « Kavala est tout à fait occidentalisé. Il peut parler avec tout le monde, avec un ambassadeur français, américain ou anglais. Il est un homme raffiné, élégant, tout ce qu’Erdogan n’est pas », note Nora Seni, professeure à l’Institut de géopolitique de l’Université Paris-VIII.

À la mort de son père en 1982, il décide d’arrêter ses études et de reprendre la tête de l’entreprise familiale à Istanbul. Il se tourne progressivement vers l’édition et la culture en fondant, la même année, la maison d’édition Iletisim, devenue un vecteur important d’idées démocratiques dans le pays. En faveur de l’émergence d’une société pluraliste, le mécène s’inscrit en opposition à la politique ultranationaliste et islamiste de Recep Tayyip Erdogan, parvenu quelques années plus tard à se faire une place sur la scène politique en devenant, en 1994, maire d’Istanbul. « Osman Kavala est un vrai démocrate, explique Ahmet Insel. Il est aussi un vrai laïc, c’est-à-dire quelqu’un qui pense que l’État ne doit pas intervenir dans la religion ou utiliser la religion à des fins politiques. »

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En 2002, Osman Kavala poursuit son combat pour la défense des minorités en créant la fondation Anadolu Kultur visant à aborder par le prisme culturel des sujets délicats à l’image du génocide arménien. « Politiquement, ses valeurs libérales lui ont permis d’atteindre différents groupes de la société qui n’avaient pas envie de se rassembler. C’est une personne qui a construit des ponts entre différents groupes, non seulement au niveau local mais aussi au niveau international », explique Murat Celikkan, journaliste militant et ami et collègue de longue date de Osman Kavala. « Il a été la première personne à promouvoir une initiative artistique et une galerie dans la région kurde. Osman Kavala est une figure-clé dans la promotion du patrimoine arménien en Turquie et a également travaillé sur les relations turco-arméniennes », poursuit Murat Celikkan, qui assure que le philanthrope engagé suit de très près, y compris depuis sa cellule, le travail de son ONG.

L’engagement de M. Kavala l’amènera également à fournir un soutien à la Fondation Open Society, créée en 1979 par le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros – cible de nombreuses théories du complot – dans le but de promouvoir entre autres la gouvernance démocratique et les droits de l’homme. Une proximité dont se servira Recep Tayyip Erdogan pour attaquer Osman Kavala en le qualifiant de « Soros rouge de Turquie ».

Considérations personnelles

Au-delà des valeurs promues par l’activiste des droits humains, les efforts menés par Recep Tayyip Erdogan pour discréditer Osman Kavala semblent également guidés par des considérations personnelles. « Les protestations de Gezi étaient le premier véritable soulèvement dirigé contre le projet du gouvernement. Mais Erdogan l’a pris personnellement car tout tourne autour de lui », estime Henri J. Barkey, chercheur au programme d’études sur le Moyen-Orient au centre de recherches Council on Foreign Relations et accusé des mêmes charges que Osman Kavala lors de son procès en février dernier. « Il y a certainement une volonté de vengeance personnelle car, aux yeux d’Erdogan, Gezi doit être diabolisé, observe, quant à lui, Ahmet Insel. À travers le cas de Kavala, le président turc criminalise la totalité du mouvement de contestation alors que Kavala avait participé comme des millions de personnes à cette lutte – et n’a pas du tout organisé ni financé le mouvement contrairement à ce qu’affirme le régime. »Si le philanthrope est l’antithèse de Recep Tayyip Erdogan, les observateurs s’interrogent cependant sur les raisons d’un tel acharnement au point que le président turc ait ordonné samedi dernier l’expulsion de dix ambassadeurs, dont celui de la France et des États-Unis, pour avoir réitéré leur souhait de voir le mécène libéré de prison. « Kavala n’est pas une figure politique, ni un rival ou un opposant actif. L’acharnement d’Erdogan s’explique probablement par la volonté de trouver une figure pour mobiliser un hypernationalisme contre un prétendu complot international », poursuit Ahmet Insel, alors que Osman Kavala est en contact avec des ONG et des fondations internationales. « Je pense qu’Erdogan n’a pas pu se contrôler et que la première chose qui lui soit venue à l’esprit est d’ordonner ces expulsions », nuance de son côté Henri J. Barkey, pour qui il est peu probable qu’il s’agisse d’une stratégie de détourner l’attention sur la mauvaise situation économique dans le pays comme l’affirment certains observateurs. « Erdogan va devoir reculer car s’il ne le fait pas, ce sera terrible pour la Turquie. Il chercherait maintenant un compromis. Le président turc ne veut tout simplement pas d’eux dans le palais présidentiel, ce qui pourrait constituer la solution au problème. » Les ambassadeurs occidentaux en Turquie ont « reculé » et « seront plus prudents à l’avenir », a d’ailleurs déclaré hier le président turc, qui a renoncé à expulser les 10 diplomates.

Le sort de Osman Kavala, au moins incarcéré jusqu’en novembre, reste toutefois toujours incertain. « Si le pouvoir judiciaire décide de ne pas agir à nouveau comme le fouet de l’organe exécutif présidentiel en Turquie, Osman sera libéré. C’est pourquoi sa liberté est si précieuse  », note Murat Celikkan. Suite à l’annonce du président turc relative à l’expulsion des ambassadeurs, Osman Kavala a indiqué que les accusations d’Erdogan à son égard montrent qu’il ne peut pas y avoir de procès équitable à son sujet. Le prisonnier a donc fait savoir via ses avocats qu’il arrêterait d’assister aux audiences à venir. « Après quatre ans, son espoir d’être libéré bientôt diminue et c’est très dur pour lui et sa famille », résume Murat Celikkan.

Le charisme de Osman Kavala, cheveux poivre et sel et silhouette élancée, n’échappe pas à ceux qui le connaissent bien, voire qui l’ont simplement aperçu. « Grand, athlétique et réfléchi dans ses mouvements, il a une présence physique saisissante, écrivait, dans la foulée de la première arrestation de Osman Kavala en octobre 2017, Anthony Barnett, auteur et militant anglais...

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