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Monde - Ouzbékistan

Une liberté d’expression balbutiante et déjà menacée

Une liberté d’expression balbutiante et déjà menacée

Le père d'Otabek Sattoriy, Abdumannon Sattoriï , 69 ans, sa femme Nargiza Jabbarova, 28 ans, et leurs enfants durant une interview avec l'AFP dans leur maison de Termez, à quelque 800 km de Tachkent, le 18 octobre 2021. Vyacheslav Oseledko/AFP

Pendant plusieurs mois, Otabek Sattoriï a publié des vidéos virales contre l’incurie des autorités en Ouzbékistan, profitant de timides réformes démocratiques. Mais aujourd’hui, il dort en prison. Après son arrestation en janvier par une escouade de policiers en civil, le blogueur de 41 ans a été condamné en mai à six ans et demi de prison pour « extorsion » et diffamation. Son père, Abdoumannon Sattoriï, 69 ans, affirme à l’AFP ne pas comprendre la condamnation de son fils.

« Otabek a répondu à l’appel du président qui avait déclaré : “Exposez les dérives, n’ayez pas peur, critiquez car moi, Chavkat Mirzioïev, je suis avec vous” », pointe cet homme qui habite avec sa famille nombreuse dans une modeste maison de Termez, à la frontière avec l’Afghanistan. Après la mort en 2016 du président Islam Karimov, l’Ouzbékistan a connu un début de dégel après de longues décennies de plomb.

Le successeur du défunt, Chavkat Mirzioïev, 64 ans, un protégé de M. Karimov, avait lancé de premières réformes libérales dans cette ancienne république soviétique de 34 millions d’habitants, pays le plus peuplé d’Asie centrale.

En conséquence, « des médias dynamiques sont apparus et parlent régulièrement de sujets sensibles comme la corruption au plus haut niveau ou les dérives policières », note Steve Swerdlov, un spécialiste de la région et professeur à l’Université de Californie du Sud (États-Unis). Les autorités ouzbèkes ont aussi libéré plusieurs journalistes emprisonnés sous Karimov, notamment Mohammad Bekjanov et Youssouf Rouzimouradov, qui ont passé respectivement 18 et 19 ans derrière les barreaux.

Retour des «  mauvaises habitudes »

Mais l’arrestation à grand renfort de perquisitions puis la condamnation d’Otabek Sattoriï, la première visant un journaliste depuis la mort d’Islam Karimov, laissent craindre aux ONG de défense des droits humains un brutal retour en arrière. « Ils cherchaient partout, dans le bureau d’Otabek, toutes ses affaires, dans la buanderie, ils ont tout mis sens dessus dessous et devant les enfants », se souvient son père.

Depuis plus d’un an, « de mauvaises habitudes autoritaires repointent le nez », relève l’expert Steve Swerdlow. Ce tour de vis intervient à l’approche de la présidentielle. M. Mirzioïev, candidat à sa propre succession, n’y sera d’ailleurs opposé qu’à des personnalités triées sur le volet et loyales au régime.

Le Comité pour la protection des journalistes, une ONG américaine, voit dans l’emprisonnement du blogueur « une tentative évidente de faire peur à la presse » avant le scrutin. Selon l’avocate ouzbèke Dilfouza Kourolova, les forces de l’ordre utilisent sciemment des lois peu précises sur les médias qui permettent d’arrêter arbitrairement blogueurs et journalistes. Le militantisme d’Otabek Sattoriï avait commencé après l’expropriation de sa famille l’année dernière, chassée de son domicile pour permettre la construction de nouveaux logements. Débouté par les autorités, qui avaient ignoré ses protestations, il avait alors lancé deux chaînes sur YouTube et la messagerie Telegram pour signaler des cas similaires puis mettre en lumière les carences des pouvoirs publics. Dans ses vidéos, Otabek Sattoriï avait notamment dénoncé le manque de produits alimentaires, des problèmes d’accès au gaz ou de chauffage dans une banlieue de Termez ou encore la corruption des autorités locales. En Ouzbékistan, un pays pourtant riche en hydrocarbures, les pannes d’électricité et de gaz sont source de tensions sociales dans certaines régions. L’année dernière, le gendarme des télécommunications a d’ailleurs mis en garde des médias indépendants qui avaient évoqué ces questions. L’avocate Dilfouza Kourolova soutient que l’épidémie de Covid-19 et ses graves conséquences économiques ont rendu les autorités plus méfiantes encore, ce qui peut expliquer le coup de frein à la libéralisation. « Il était clair qu’un jour ou l’autre, l’État allait montrer son pouvoir hégémonique », relève-t-elle. Malgré tout, le père d’Otabek Sattoriï, Abdoumannon, continue de soutenir le président Mirzioïev : « Je ne le cache pas, dimanche, je voterai pour lui comme je l’ai fait il y a cinq ans. »

Christopher RICKLETON/AFP

Pendant plusieurs mois, Otabek Sattoriï a publié des vidéos virales contre l’incurie des autorités en Ouzbékistan, profitant de timides réformes démocratiques. Mais aujourd’hui, il dort en prison. Après son arrestation en janvier par une escouade de policiers en civil, le blogueur de 41 ans a été condamné en mai à six ans et demi de prison pour « extorsion » et...

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