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Moyen Orient et Monde - Eclairage

En Irak, trois gagnants et un grand perdant

Tandis que les sadristes festoient pour célébrer la victoire écrasante de leur leader, Téhéran fulmine face à l’étendue de ses pertes dans le pays

En Irak, trois gagnants et un grand perdant

Des partisans du clerc chiite irakien Moqtada el-Sadr célèbrent sur la place Tahrir de Bagdad le 11 octobre 2021 après l’annonce des résultats des élections législatives. Photo par AHMAD AL-RUBAYE / AFP

Des « gagnants » qui jubilent, un grand perdant qui désespère et un double message clair du peuple à ses élites. Avec un taux de participation limité à 41 %, les Irakiens ont signifié leur désintérêt pour le scrutin législatif qui s’est tenu le 10 octobre. Une apathie traduisant une désillusion certaine face aux promesses vides des différentes formations politiques traditionnelles se partageant le pouvoir depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et la chute de l’ancien régime. Les résultats préliminaires confirment également le ras-le-bol généralisé de la population face à la toute-puissance des milices chiites pro-Téhéran, l’alliance du Fateh – bras politique de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi (PMF) – subissant un sérieux revers, les chiffres suggérant une trentaine de sièges perdus au Parlement. L’Orient-Le Jour décrypte les victoires et les défaites majeures qui marquent cette dernière échéance électorale.

1 – Dans l’arène chiite, Moqtada al-Sadr fanfaronne, Nouri el-Maliki revient en force

Les analystes l’avaient prédit des semaines avant le scrutin et l’imprévisible clerc chiite n’aura, cette fois-ci, surpris personne. Moqtada al-Sadr est arrivé en pole position et, d’après les premiers résultats, remporterait jusqu’à 20 sièges supplémentaires – passant de 54 à 73 –, consolidant ainsi sa place de faiseur de rois dans le pays. Le choix de l’homme fort d’Irak s’avérera décisif pour déterminer le nom du prochain Premier ministre au cours des jours et des mois à venir. Il ne dispose toutefois pas d’une majorité absolue et sera contraint à de multiples tractations avec les autres forces politiques irakiennes.

Le premier discours tenu par M. Sadr lundi soir avait des allures de pied de nez au camp pro-iranien. Après avoir déclaré que toutes les ambassades étaient les bienvenues en Irak tant qu’elles n’interféraient pas dans les affaires internes du pays ou dans la formation du gouvernement, ce défenseur acharné – du moins dans les mots – d’une ligne nationaliste chiite n’a pas hésité à lancer une pique à peine cachée à l’encontre des milices soutenues par l’Iran. « Même s’ils revendiquent la résistance ou autre, il est temps que le peuple vive en paix, sans occupation, sans terrorisme, sans milices et sans kidnapping », a-t-il affirmé dans une allocution diffusée à la télévision d’État. « Aujourd’hui est le jour de la victoire du peuple contre l’occupation, la normalisation, les milices, la pauvreté et l’esclavage », a poursuivi M. Sadr, faisant vraisemblablement allusion à la normalisation des liens avec Israël.

Dans l’arène chiite, le leader populiste est suivi par Nouri al-Maliki à la tête de la coalition pour l’État de droit. Celui qui a été Premier ministre d’Irak entre 2006 et 2014, avant d’en devenir vice-président jusqu’en 2018, est perçu comme étant proche de Téhéran et a de très bonnes relations avec les milices chiites qui lui sont affiliées. Alors qu’il avait obtenu 25 sièges à l’issue du scrutin de 2018, il devrait, selon les premières estimations, en gagner une dizaine de plus cette fois-ci. Mais il devra peut-être changer son fusil d’épaule au vu des pertes engrangées par ses partenaires d’hier. Doté d’une base sociale solide, Nouri al-Maliki est toutefois accusé par une partie de la société irakienne d’avoir alimenté au plus haut point la corruption endémique du régime tout en donnant du grain à moudre à l’antisunnisme primaire. Un sectarisme vecteur de marginalisation qui compte comme l’une des racines du succès initial de l’État islamique auprès de certaines franges sunnites de la population. M. Maliki est cependant d’abord un pragmatique, dont les alliances peuvent se faire et se défaire au gré de ses intérêts politiques.

2 – Mohammad al-Halboussi, le prince sunnite

Sur la scène sunnite, c’est une victoire indéniable pour Mohammad al-Halboussi, président sortant du Parlement. Si l’homme s’est, dans l’Irak post-Saddam Hussein, construit en grande partie grâce aux réseaux pro-iraniens, il prend depuis quelques années ses distances avec les alliés de la République islamique en Irak et se rapproche de Moqtada al-Sadr. Sa formation – Taqqadom – arrive en deuxième position toutes forces confondues, avec – pour le moment – 38 sièges, soit loin derrière le clerc chiite mais juste avant Nouri al-Maliki. Le camouflet qu’il inflige à son principal adversaire – Khamis al-Khanjar – est emblématique d’un scrutin aux airs de débâcle pour l’Iran. Ainsi, Khamis el-Khanjar a connu un parcours peu ou prou inverse à celui de son principal concurrent, puisqu’il est aujourd’hui l’un des principaux alliés de la République islamique. S’il avait rejoint la coalition pro-Téhéran du Fateh en 2018, ce magnat des affaires, peu rodé à la constance en politique, s’était fait remarquer au début des années 2010 par ses critiques sans détour de Nouri al-Maliki dont il dénonçait le sectarisme antisunnite. Après la défaite de l’EI en 2017, il s’était toutefois rangé derrière l’ancien chef de gouvernement et ses associés proches de Téhéran. La coalition Azm qu’il dirige n’aurait pour l’heure obtenu que 15 sièges. La percée relativement inattendue de Mohammad al-Halboussi semble souligner une forme de réappropriation du politique par les sunnites en Irak, au point qu’il fait aujourd’hui figure de faiseur de rois. Au cours des élections de 2018, la coalition sunnite d’Oussama al-Nujeifi était arrivée en neuvième position et n’avait obtenu que 14 sièges à l’Assemblée des représentants. Depuis la chute de Saddam Hussein, les groupes sunnites se montrent électoralement désunis et font surtout appel à des féodalités locales pour marquer des points. Surtout, leur base sociale s’est longtemps tenue éloignée de la chose publique, découragée par les anciens partisans du dictateur déchu et par les combattants religieux opposés à l’idée de la démocratie.

3 – Le PDK nargue la concurrence

Massoud Barzani, à la tête du Parti démocratique du Kurdistan qui domine la région autonome, est le quatrième homme fort de ce scrutin. Avec près de 32 sièges obtenus au Parlement, il talonne de peu Nouri al-Maliki et peut se targuer d’avoir engrangé quelques gains – quoique minimes –, puisqu’en 2018, la formation avait obtenu 25 sièges. L’alliance formée par l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) menée par Qubad Talabani et le mouvement pour le changement Gorran est en légère régression, passant, a priori, de 18 sièges à 15. Là encore, c’est un partenaire assumé de Téhéran qui perd des points, même si l’équilibre reste à peu près le même dans l’arène politique kurde.

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À la veille du scrutin, certains analystes pariaient sur la consolidation d’un axe Sadr-Halboussi-Barzani qui, fort de ses succès, serait en charge de former un gouvernement, mettant ainsi fin à la pratique selon laquelle chaque force politique doit faire partie de la majorité et, toutes ensemble, régner par consensus. Ce scénario se heurte toutefois à un obstacle important : il irait à l’encontre de la réalité démographique du pays, raison d’être du système politique confessionnel irakien. Ainsi, dans l’optique où il se réaliserait, les chiites qui sont majoritaires dans le pays se retrouveraient en minorité au pouvoir. Par ailleurs, les choix à venir de Nouri al-Maliki pourraient bouleverser les jeux d’alliances anticipés et mettre à mal la possibilité pour le Premier ministre sortant, Moustapha al-Kazimi, de sécuriser un second mandat. Ce que le chef du gouvernement espère toujours retirer de son alliance tacite avec Moqtada al-Sadr.

4 – La percée du soulèvement d’octobre

Certes, la majorité des formations nées de l’intifada ont fait le choix de ne pas se présenter. Et leurs partisans celui de ne pas se rendre aux urnes. Malgré tout, les partis qui ont pris la décision de lutter contre l’establishment traditionnel sur son terrain à lui, malgré les menaces et les mises en garde, s’en sont sortis haut la main, étant donné les circonstances dans lesquelles le scrutin s’est déroulé. C’est notamment le cas du mouvement Emtidad du pharmacologue Ala’ Rikabi, qui peut pour le moment revendiquer au moins 8 sièges au sein du Parlement.

Dans les provinces de Najaf, Dhi Qar, Qadissiya et Babylone – situées dans le centre et le sud du pays, cœur battant de l’Intifada –, le mouvement Emtidad peut se prévaloir d’avoir respectivement remporté deux, trois, un et deux sièges. Ala’ Rikabi a par ailleurs obtenu un siège dans sa ville natale de Nassiriya. Outre Emtidad, il faut également compter avec les indépendants qui, à ce stade, auraient remporté 33 sièges. Seul hic, ce n’est pas la première fois que des candidats sans étiquette se présentent. Par le passé, une grande partie d’entre eux ont fait le choix de rejoindre l’une des coalitions principales.

5 – Un désaveu cinglant pour la coalition du Fateh

C’est une cuisante défaite pour le camp pro-iranien officiel en Irak, perdant incontestable et incontesté – si ce n’est par lui-même – du scrutin d’octobre. Les chiffres sont cruels. Alors que l’alliance du Fateh était arrivée en deuxième position à l’issue du scrutin de 2018, elle chute aujourd’hui à la sixième place, loin derrière celui qu’elle pensait tutoyer – Moqtada al-Sadr –, et talonne l’UPK, deuxième dans l’arène politique kurde.

Pour l’heure, le Fateh n’a obtenu que 16 sièges contre 48 en 2018. Une dégringolade en bonne et due forme. Mais le camp dit de la « résistance » a-t-il besoin d’une véritable légitimité politique pour se hisser au rang de faiseur de rois ? Rien n’est moins sûr. La puissante coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi, dont le Fateh est le bras politique, l’a prouvé au cours de ces deux dernières années. Alors que l’hégémonie de Téhéran n’a jamais autant été remise en question, les factions chiites qui lui sont proches n’ont pas hésité à réprimer dans le sang l’intifada d’octobre, puis à multiplier les assassinats politiques, semant la terreur parmi leurs opposants au point de dissuader nombre d’entre eux de participer aux élections. Les dernières manœuvres des alliés de la République islamique vont dans ce sens. Le porte-parole de Kataëb Hezbollah a ainsi déclaré dans le sillage des premiers résultats que cette élection constituait « la plus grande fraude de l’histoire récente ».

Des « gagnants » qui jubilent, un grand perdant qui désespère et un double message clair du peuple à ses élites. Avec un taux de participation limité à 41 %, les Irakiens ont signifié leur désintérêt pour le scrutin législatif qui s’est tenu le 10 octobre. Une apathie traduisant une désillusion certaine face aux promesses vides des différentes formations politiques...

commentaires (5)

drole hein ? 2 princes sunnites qui s'associent a des pro Iran ? Mohammad al-Halboussi, le prince sunnite de l'Irak, saad hariri prince sunnite du Liban, quoique dechu celui-la .

Gaby SIOUFI

10 h 10, le 13 octobre 2021

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Commentaires (5)

  • drole hein ? 2 princes sunnites qui s'associent a des pro Iran ? Mohammad al-Halboussi, le prince sunnite de l'Irak, saad hariri prince sunnite du Liban, quoique dechu celui-la .

    Gaby SIOUFI

    10 h 10, le 13 octobre 2021

  • J’aimerais juste connaître le décryptage de madame Haddad sur ce qui c’est passer en Irak

    Bery tus

    06 h 17, le 13 octobre 2021

  • « Même s’ils revendiquent la résistance ou autre, il est temps que le peuple vive en paix, sans occupation, sans terrorisme, sans milices et sans kidnapping ». sI notre HASSOUNA a des oreilles, il devrait plagier le dignitaire d'Irak et pas etre un mouton de Panurge.

    sancrainte

    19 h 21, le 12 octobre 2021

  • Quand ils perdent , ces co..ards parlent de fraude, quand ils gagnent ils réinterprètent comme ils l’entendent le scrutin. Faux-joueurs, bandits de grands chemins!

    LeRougeEtLeNoir

    17 h 31, le 12 octobre 2021

  • ESPERONS QUE LES CHIITES DE CHEZ NOUS SE REVEILLERONT, COMME CEUX DE L,IRAQ, ET REALISERONT QU,ILS SONT LIBANAIS ET NON PERSES. ET LEURS ALLIES ET LIEUTENANTS ET PARAVENTS CHRETIENS MARONITES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 28, le 12 octobre 2021

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