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Moyen-Orient - Irak

La succession de Ali Sistani cernée de flou

La mort du grand ayatollah Mohammad Saïd el-Hakim a ravivé les interrogations relatives à la reprise du flambeau si l’actuelle plus haute autorité religieuse chiite du pays venait à décéder.

La succession de Ali Sistani cernée de flou

Né à Najaf en 1936, Mohammad Saïd el-Hakim était considéré comme l’une des plus hautes autorités religieuses chiites en Irak. Haïdar Hamdani/AFP

Il était le seul parmi les quatre maraji’ de Najaf à être né en Irak, était aussi héritier d’une longue lignée de clercs chiites et pouvait s’enorgueillir de ses connaissances scientifiques. Une érudition qui l’avait d’ailleurs mené à prendre en charge l’adaptation du partage de l’héritage dans la loi islamique aux mathématiques modernes. Rien d’étonnant à ce que le grand ayatollah Mohammad Saïd el-Hakim ait longtemps été pressenti pour succéder à Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d’Irak. Le sort en a toutefois décidé autrement. Car cette influente figure est morte le 3 septembre dernier, à l’âge de 85 ans. Et sa disparition ravive les interrogations autour de la succession de Ali Sistani, nonagénaire. Contrairement au voisin iranien qui dispose d’une procédure constitutionnelle propre à l’élection du guide suprême, l’Irak n’octroie aucun rôle particulier à l’État dans le processus sélectif.

Or, à travers la disparition de Hakim, c’est l’un des piliers de la Marja’iya qui s’en va. C’est aussi l’ouverture d’une opportunité pour son principal concurrent tacite, Mohammad Ishaq el-Fayad, originaire d’Afghanistan. Avec Ali Sistani, né en Iran, et Bachir el-Najafi, né en Inde alors sous domination britannique, ils formaient à eux quatre la Hawza, le séminaire chiite de Najaf. Désormais, une double question s’impose. L’une, dans les faits, depuis quelque temps déjà : qui pour reprendre le flambeau si Ali Sistani venait à décéder ? L’autre, plus récente : qui pour remplacer Mohammad el-Hakim ?

L’interrogation revêt aujourd’hui une importance toute particulière. Si par le passé l’avènement au poste de la plus haute autorité chiite relevait d’abord des affaires spirituelles et religieuses, il se conjugue à présent à des enjeux hautement politiques. La raison en est le rôle primordial que joue en Irak Ali Sistani depuis l’invasion américaine en 2003 et le renversement de Saddam Hussein, à commencer par ses efforts considérables en faveur de la paix sociale dans un pays gangrené par la violence sectaire. L’homme restera gravé dans les mémoires comme celui qui a énoncé une fatwa historique en 2014, appelant tous les jeunes Irakiens à rejoindre les forces armées pour lutter contre la menace existentielle que faisait peser sur l’Irak l’État islamique. Un jihad défensif qui sera à la base des Forces de mobilisation populaire d’al-Hachd al-Chaabi, une coalition de factions majoritairement chiites dont l’essence a peu à peu été dénaturée pour devenir aujourd’hui, en grande partie, le bras armé de l’Iran sur le territoire. À tel point que Ali Sistani lui-même a appelé à leur démantèlement dans le sillage de la victoire militaire contre l’EI en 2017. Tout en évitant de s’exprimer sur la mainmise de Téhéran pour éviter un conflit interchiite entre partisans de Qom et de Najaf, ceux du velayet e-faqih et ceux d’une ligne chiite plus irakiste.

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Défenseur d’un État civil et d’un islam quiétiste, Ali Sistani s’est également prononcé à plusieurs reprises en faveur des revendications économiques et sociales de l’intifada d’octobre 2019, allant jusqu’à dénoncer la répression qui s’est déchaînée contre les contestataires et majoritairement imputée aux milices proche de la République islamique. La vacance de sa fonction placerait l’Irak face à l’inconnu : son successeur poursuivra-t-il sa politique de défense impartiale de l’État ? Privilégiera-t-il plutôt une approche interventionniste dans les affaires gouvernementales ? Ou s’alignera-t-il davantage sur Téhéran ? Un questionnement rendu plus difficile encore par la nature informelle de la succession qui peut prendre des mois, voire des années, avant qu’une personnalité ne fasse consensus en récoltant suffisamment d’adeptes et d’influence. C’est ce qu’explique l’Associated Press dans un article datant de février 2020, rappelant en outre qu’il revient à un « groupe d’éminents clercs de la Hawza, connus sous le nom de “Ahl al-Khibra” ou “gens d’expertise”, de guider le processus », en « orientant les fidèles vers une figure basée sur la piété et la supériorité du savoir ». Le favori aujourd’hui semble être le grand ayatollah Mohammad Ishaq el-Fayad. Mais son âge avancé – il a plus de 90 ans – pourrait diriger les regards vers d’autres figures plus jeunes. Comme Sistani, Mohammad Ishaq el-Fayad s’oppose à l’implication du clergé en politique. Selon certains experts, le fils de Ali Sistani, Mohammad Reda, pourrait par ailleurs jouer un rôle dans la tenue du processus en appuyant un candidat qui marcherait dans les pas de son père.

Hérédité

La mort de Mohammad Saïd el-Hakim accentue le caractère flou de la situation. Certains mentionnent déjà la possibilité pour un parent de prendre le relai au sein de la Marja’iya. Seul problème, l’institution évite l’hérédité. Selon un article du média Amwaj datant du 10 septembre, des sources auraient cependant confié que le fils du défunt – Riyad Mohammad Saïd el-Hakim – serait en bonne position pour poursuivre le travail de son père. « Il est difficile pour le fils d’un marja’ de devenir lui-même marja’. Mais il y a ici une opportunité pour le fils de Hakim dont il pourrait bénéficier », rapporte la personne citée qui ajoute que « Riyad el-Hakim entretient des relations et possède de grandes qualifications universitaires et sociales qui lui permettent de devenir le quatrième pilier des maraji’ de Najaf, ce qui peut également lui offrir une opportunité dans l’ère qui suivra (la disparition de) l’autorité religieuse suprême actuelle, Ali Sistani ».

Pour mémoire

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Riyad el-Hakim ou pas, le prochain membre de la Hawza pourrait profiter d’un âge plus jeune pour devancer Mohammad Ishaq el-Fayad dans la course au poste suprême. L’ombre de Téhéran n’est toutefois jamais loin. « La compétition de longue date entre les séminaires de Najaf et de la ville sainte iranienne de Qom pour le leadership spirituel des musulmans chiites du monde jouera également un rôle dans la détermination du successeur du grand ayatollah Hakim », rappelle le journaliste et analyste Mustafa Saadoun dans l’article d’Amwaj. À plus forte raison que la seconde souhaite éviter l’arrivée d’un membre qui, comme son prédécesseur, ne serait pas favorable au système du velayet e-faqih.De hauts dignitaires religieux qui s’étaient confiés à l’AFP en février 2020 avaient toutefois avancé que « les manières cloîtrées et les traditions profondément ancrées de la Hawza étaient difficiles à pénétrer pour l’Iran ». Et qu’aucun successeur ne pourrait véritablement s’éloigner de la voie tracée par Ali Sistani.

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