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Moyen-Orient - Éclairage

À Deraa el-Balad, l’enfer des deux mois de siège

Pris au piège par les forces gouvernementales et leur allié iranien depuis la fin du mois de juin et bombardé quotidiennement un mois plus tard, ce quartier du sud de la ville de Deraa, située à la frontière jordanienne, reprend son souffle alors qu’un accord de cessez-le feu est entré en vigueur mercredi. Selon certaines informations parvenues hier soir, l’accord pourrait toutefois être de courte durée.

À Deraa el-Balad, l’enfer des deux mois de siège

Un véhicule militaire russe à Deraa el-Balad, quartier de la ville de Deraa, située dans le sud-ouest de la Syrie, le 1er septembre 2021. Sam Hariri/AFP

Cela fait trois jours que les quelques milliers d’habitants restants à Deraa el-Balad, quartier historique du sud de la ville éponyme, n’ont pas été réveillés par le fracas des tirs de missiles. Après plus d’un mois de bombardements intenses, un calme prudent régnait, en fin de semaine, dans ce bastion de l’opposition syrienne, alors qu’une nouvelle trêve entre les forces du régime de Bachar el-Assad et des représentants locaux est entrée en vigueur mercredi avec l’arrivée de la police militaire russe qui a parrainé les pourparlers. Le répit pourrait toutefois être de courte durée, alors que certaines informations faisaient état, hier soir, d’une possible rupture de la trêve.

Selon les termes de l’accord, les services de sécurité syriens doivent mettre en place quatre points de contrôle à Deraa el-Balad – partie de la ville qui échappait jusqu’alors à la présence de l’armée loyaliste –, tandis que les rebelles qui souhaitent rester devront remettre leurs armes légères ou, en cas de refus, être évacués vers l’enclave d’Idleb, dans le nord-ouest du pays, sous contrôle rebelle. En échange, les forces loyalistes et leur allié iranien devront, entre autres, mettre fin au siège imposé depuis la fin du mois de juin aux habitants de ce quartier. Peu d’entre eux leur font cependant confiance. « Nombreux sont ceux, ici, qui craignent que l’accord ne soit pas respecté et que les bombardements se poursuivent, confie Taym el-Ahmad*, un journaliste de l’opposition qui réside à Deraa el-Balad. Ce régime, qui bombarde ses propres civils, n’a aucune crédibilité et la situation peut changer à tout moment. »

Berceau du soulèvement anti-Assad

Ces récents bombardements s’inscrivent dans une tentative du régime syrien de mettre au pas la province de Deraa, berceau du soulèvement anti-Assad en 2011. Depuis trois ans, des attaques contre les forces gouvernementales secouent régulièrement la région. Celles-ci sont menées en représailles à des arrestations et assassinats d’habitants commis par le régime de Damas. Reconquise en partie par les forces loyalistes en 2018 au terme de mois d’affrontements avec les rebelles, la province de Deraa jouissait depuis lors d’un statut spécial. En vertu d’un accord négocié par Moscou, les rebelles ont été autorisés à rester dans la région et à conserver leurs armes légères, tandis que les zones que l’opposition contrôlait ont été placées sous l’autorité nominale du gouvernement syrien. L’armée régulière, les Russes et les Iraniens n’ont, en revanche, pas été autorisés à contrôler certains quartiers de la ville de Deraa, comme le vieux centre de Deraa el-Balad.

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Mais en juin dernier, le pouvoir décide de violer cet accord en réclamant les armes restant aux mains des opposants, en échange du départ des milices progouvernementales. Face au refus des représentants locaux, l’armée syrienne et son allié iranien assiègent certains quartiers de la ville et bombardent un mois plus tard ses habitants. Aux yeux du régime, le boycott, dans la région, de la dernière élection présidentielle organisée en mai dernier a été la goutte de trop, estiment ses habitants. « Le régime bombarde Deraa pour la punir de ne pas avoir élu Bachar el-Assad comme président légitime de la Syrie, résume Daniel el-Hourani*, activiste du quartier. Nous considérons au contraire qu’Assad est illégitime car il a tué, bombardé et déplacé sa population qui n’aspirait qu’à la liberté et à une vie digne. » D’autres résidents de Deraa el-Balad, à l’instar d’Amin*, trente ans, estiment que le pouvoir de Damas agite sans cesse le prétexte de la lutte contre le terrorisme dans l’espoir de faire lever les sanctions internationales qui pèsent sur lui.

Mercredi, l’agence de presse officielle SANA s’est empressée de publier des photos montrant les « régularisations du statut de certains combattants », assurant que certains d’entre eux avaient commencé à « déposer les armes ». Dans le même temps, les drapeaux russe et syrien ont été hissés à l’intérieur du quartier.

« Un véritable enfer »

Malgré l’entrée en vigueur de la trêve, Deraa el-Balad conserve des airs de ville fantôme, selon des témoins sur place. Les écoles, les magasins, les pharmacies et la clinique sont toujours fermés. Le siège devrait être levé d’ici à une semaine, à la suite de quoi les familles pourront regagner leurs habitations. Selon l’ONU, plus de 38 000 personnes ont fui en un mois la région – et Deraa el-Balad en particulier –, parmi lesquelles 15 000 femmes et plus de 20 000 enfants. Au cours de ces deux derniers mois, seules ces catégories de population ont été autorisées à emprunter le couloir de sécurité mis en place par les autorités pour sortir de la zone assiégée.

Pour ceux qui sont restés, les deux derniers mois ont fait de leur vie « un véritable enfer », raconte Daniel el-Hourani. La peur provoquée par le fracas et l’intensité des bombardements est indescriptible, explique-t-il. « Je ne dormais ni la nuit ni le jour », confie-t-il encore. Lorsque les frappes baissaient d’intensité, Daniel el-Hourani sortait parfois dans la rue. « Très vite, l’angoisse d’être touché par les obus qui ciblaient au hasard les routes, les mosquées et les écoles du quartier me prenait », lâche-t-il.

Pour mémoire

Le régime syrien passe à la vitesse supérieure à Deraa

Lorsque les bombardements se faisaient entendre, Taym el-Ahmad et sa famille ont pris l’habitude de se réfugier dans une petite pièce, surmontée d’un étage, de leur habitation. « Les enfants ont surtout été entraînés à courir vers cet endroit “sûr” de la maison », raconte le journaliste qui a échappé une première fois au pire lorsqu’un obus est tombé sur son domicile sans faire de blessés. Quelques heures plus tard, une seconde explosion le blessait grièvement à la jambe. Or, l’unique centre médical du quartier a été contraint de fermer ses portes le 28 juillet après avoir été touché par des tirs de snipers du gouvernement. « C’était un poste médical dans un bâtiment inapte aux soins avec seulement cinq lits pour traiter les patients, déplore Daniel el-Hourani. Il manquait de nombreux médicaments nécessaires pour assurer les premiers soins et traiter les blessés. Beaucoup d’entre eux sont morts . » Taym el-Ahmad a finalement réussi à trouver une infirmière qui a recousu ses blessures chez lui et lui a administré les soins nécessaires. « Si j’avais été transféré dans un hôpital de la zone se trouvant sous le contrôle du gouvernement, j’aurais été arrêté et tué par le régime parce que je suis un opposant », reconnaît-il.

L’une des pires crises économiques

Au-delà du manque de soins, le siège a bouleversé tous les autres aspects de la vie quotidienne des habitants qui ne disposent de presque aucun produit de première nécessité, comme l’eau, l’électricité, le gaz, alors que les denrées alimentaires se sont également raréfiées. De 10 dollars il y a deux mois, le prix d’une bonbonne de gaz est passé à 40 dollars ces derniers jours. Presque tous les magasins ont fermé leurs portes. Certains commerçants parviennent cependant à contourner le siège en se procurant des denrées alimentaires par des routes illégales, qui nécessitent alors des sommes d’argent plus importantes. Résultat, les rares produits disponibles sont vendus à des prix exorbitants. « Nous n’avions aucun revenu financier ni salaire durant ce siège, déplore Daniel el-Hourani. Comme la seule boulangerie n’avait plus de farine, nous avons dû pétrir ce qui restait de farine dans nos maisons et l’avons cuit au saj en utilisant du bois de chauffage. »

Ces nouvelles difficultés aggravent une situation déjà alarmante vécue par les habitants de Deraa et des autres provinces du pays, en particulier celles tenues par le régime de Damas. En proie à une des pires crises économiques de leur histoire, ces régions souffraient déjà de très longues heures de coupure d’électricité, de pénuries de gaz et de carburant, ainsi que de pain. Entrée en vigueur en juin 2020, la loi César, qui sanctionne le gouvernement dans plusieurs secteurs économiques clés, a notamment accru la pression économique sur Assad et détérioré davantage la situation. En février dernier, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), au moins 12,4 millions de Syriens – sur une population estimée à près de 16 millions de personnes – se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire.

Si les conditions de vie à Deraa pourraient s’améliorer dans les prochains jours, la majorité des habitants n’est pas à l’abri de nouvelles attaques, le pouvoir continuant de réprimer des proches de membres de la rébellion. « Il y a régulièrement des campagnes militaires du régime dans le but d’arrêter ou de tuer des opposants à Deraa », observe Taym el-Ahmad. La semaine dernière, cinq activistes syriens originaires de Deraa ont été interpellés aux abords de l’ambassade de Syrie à Beyrouth, après que le régime de Damas les avait convoqués sous prétexte de récupérer leur passeport. Leur sort n’est, jusqu’à présent, pas clair. Si les intimidations, les arrestations et les meurtres commis par les forces gouvernementales dans la région sont nombreux, certains résidents parviennent toujours, en représailles, à capturer et à tuer certains membres de l’armée régulière. « Les combattants locaux connaissent bien la nature du terrain, alors qu’ils ont gagné des batailles au cours de 10 ans d’expérience de guerre », poursuit le journaliste.

Après l’accord de mercredi, s’il tient, plusieurs compromis similaires pourraient être scellés dans les semaines prochaines dans d’autres poches rebelles de la province de Deraa, estiment des observateurs. Tandis que des attaques récentes contre l’armée régulière, comme à Homs, font craindre au régime un sursaut dans certaines zones du pays.

* Les prénoms ont été modifiés.

Des frappes israéliennes nocturnes visent des milices pro-iraniennes près de DamasDes missiles israéliens ont visé dans la nuit de jeudi à vendredi des milices pro-iraniennes alliées du régime syrien près de Damas, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) hier. Les frappes ont ciblé « des positions militaires des forces du régime, utilisées par des groupes pro-iraniens pour développer des armes dans le Centre de recherche scientifique à Barzeh et à Jamraya près de Damas », selon l’OSDH. L’organisation basée au Royaume-Uni et qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie n’a pas fait état de victimes dans l’immédiat. « Nos défenses aériennes ont intercepté les missiles (...) en abattant la plupart d’entre eux », a de son côté rapporté l’agence de presse officielle SANA, citant une source militaire qui a précisé que l’attaque n’avait causé que des dégâts matériels. Les frappes ont visé « certains points à proximité de la ville de Damas », selon la source citée par SANA. Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, Israël a régulièrement mené des raids en Syrie. L’État hébreu affirme régulièrement qu’il ne permettra pas à la Syrie de devenir la tête de pont des forces de la République islamique d’Iran, pays ennemi de l’État hébreu.
Cela fait trois jours que les quelques milliers d’habitants restants à Deraa el-Balad, quartier historique du sud de la ville éponyme, n’ont pas été réveillés par le fracas des tirs de missiles. Après plus d’un mois de bombardements intenses, un calme prudent régnait, en fin de semaine, dans ce bastion de l’opposition syrienne, alors qu’une nouvelle trêve entre les forces du...

commentaires (1)

Espérons que les visites récentes de nos érudits de politiciens de tout bord n'auraient pas négocier du gaz au prix de voir les habitants de Deraa renvoyés au Liban pour qu'au crime qu'ils subissent chez eux on rajoute un crime contre le peuple libanais.

Wlek Sanferlou

20 h 33, le 06 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • Espérons que les visites récentes de nos érudits de politiciens de tout bord n'auraient pas négocier du gaz au prix de voir les habitants de Deraa renvoyés au Liban pour qu'au crime qu'ils subissent chez eux on rajoute un crime contre le peuple libanais.

    Wlek Sanferlou

    20 h 33, le 06 septembre 2021

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