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Les avatars d’une femme

Les avatars d’une femme

© Joël Saget / AFP

Rien ne t’appartient de Nathacha Appanah, Gallimard, 2021,160 p.

Dans son dixième livre, Nathacha Appanah explore les tréfonds de l’âme féminine, à travers une succession de drames. Discrètement, et sans se laisser cataloguer ni réduire à cela, elle revient également à ses racines indiennes.

« Ici, rien ne t’appartient », c’est la phrase terrible que la directrice d’un orphelinat de bonnes sœurs, créé durant la guerre, lance un jour à Vijaya, une jeune fille d’origine indienne, dont les parents ont été brûlés par des fanatiques. Le père, universitaire athée, s’était signalé par son opposition au régime. On lui a fait payer au prix fort sa liberté, son anticonformisme. Vijaya, du coup, a vu tout son univers confortable s’effondrer et le « vert paradis » de son enfance s’achever dans la pire violence. Il va falloir qu’elle puise dans le courage que symbolise son prénom, « Victoire », pour continuer de vivre et lutter. Elle y parviendra, jusqu’à ce qu’un tsunami d’une ampleur inouïe vienne tout submerger.

Elle va alors renaître sous un autre nom, Tara (« Libératrice », ou « Étoile »), semblant conjurer les fantômes du passé, folle amoureuse d’un homme qui lui apporte enfin le bonheur. Mais le destin, ou les dieux, vont frapper à nouveau…

Dans un roman virtuose et sensible, Nathacha Appanah explore les tréfonds de l’âme de son héroïne dans ses deux avatars, Vijaya et Tara. Un univers très féminin, même si un beau garçon, au début, joue un rôle non négligeable et lui apparaît de nouveau par la suite. Parmi d’autres fantômes. Sans jamais le nommer, le roman se situe au Sri Lanka, pays qui a connu de 1983 à 2009 plusieurs guerres civiles meurtrières entre la majorité de la population, cinghalaise et bouddhiste, et la minorité tamoule, d’origine indienne et hindoue. Les rebelles, les Tigres tamouls du LTTE (Mouvement de Libération de l’Eelam Tamoul), s’estimant discriminés politiquement, économiquement et religieusement, exigeaient une partition du pays et la création d’un État autonome, au nord et à l’est de l’île. Ils ont été défaits, en 2009, dans un bain de sang. La paix, ensuite, s’est installée. Mais le retour au pouvoir récent de la famille Rajapaksa, notoirement corrompue avec du sang sur les mains, inquiète la communauté internationale (l’Inde, en particulier, la puissante voisine) et fait entrer le roman de Nathacha Appanah en résonance avec l’actualité.

Mauricienne, l’écrivain est elle-même d’origine indienne. Son arrière-grand-père, un Telugu de l’Andhra Pradesh, avait signé avec les Anglais un contrat en tant que « coolie » pour partir remplacer les esclaves dans les plantations de canne à sucre de l’île Maurice. C’était au XIXe siècle. Tout en ne voulant pas se laisser réduire à ses racines, se proclamant « citoyenne du monde », elle a inauguré son œuvre avec cette histoire, sujet de son premier roman, Les Rochers de poudre d’or (Gallimard, 2003). Quant au Sri Lanka, elle s’y est rendue en 2005, en reportage, après la réouverture de la ligne de chemin de fer entre Colombo, la capitale, et Galle, détruite par le tsunami du 26 décembre 2004. Lequel joue un rôle majeur dans Rien ne t’appartient.

Nathacha Appanah fait son miel de tout ce qu’elle vit, construisant discrètement une œuvre originale, exigeante. Elle est l’une des voix les plus marquantes de la littérature qui a « le français en partage », selon la belle formule de feu l’académicien Maurice Druon.


Rien ne t’appartient de Nathacha Appanah, Gallimard, 2021,160 p.Dans son dixième livre, Nathacha Appanah explore les tréfonds de l’âme féminine, à travers une succession de drames. Discrètement, et sans se laisser cataloguer ni réduire à cela, elle revient également à ses racines indiennes.« Ici, rien ne t’appartient », c’est la phrase terrible que la directrice d’un...

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