Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de m’adresser à vous pour solliciter votre aide.
Je suis une Libanaise dans la soixantaine, mariée à un Français et habitant Toronto depuis de nombreuses années.
Je n’ai jamais cessé d’être libanaise. La nostalgie est ancrée en moi. Les souvenirs et les lieux de mon enfance et de mon adolescence continuent à me hanter : la Méditerranée, les villages nichés dans la montagne, le soleil brûlant de l’été, les somptueux couchers de soleil… Mais aussi et surtout les souvenirs liés à ma scolarité chez mes chères religieuses françaises qui m’ont communiqué à la fois l’amour de mon pays et celui de la France.
J’appartiens, voyez-vous, à cette génération bénie qui croyait dur comme fer que la mosaïque religieuse et politique de la population libanaise, loin d’être un handicap, contribuait au contraire à son enrichissement. J’étais aussi convaincue que la dualité culturelle (occidentale/orientale) faisait de nous un peuple moderne qui, tout en étant ouvert sur l’avenir, avait su conserver ses liens avec un passé garant de son historicité.
J’ai émigré à un jeune âge… pour voir « ailleurs » parce que, comme le Marius de Pagnol, le Libanais a toujours en lui un besoin de partir, de voir du pays comme on dit. La vie a fait que je n’ai jamais pu rentrer de manière définitive… Mais le Liban, je l’ai raconté à mes enfants, car, en dépit de la guerre qu’il avait traversée dans les années 1980-1990, le pays avait tant bien que mal réussi à conserver son unicité. Mais aujourd’hui, que puis-je raconter à mes petits-enfants ? Comment leur transmettre l’idée de ce pays dont les images qui leur parviennent ne parlent que de guerre, de misère et d’atrocités ?
Le Liban est aujourd’hui un pays à la dérive. Le peuple libanais s’enfonce dans un abysse infernal. La population libanaise est déchirée par des partis multiples et de confessions diverses, des partis qui fonctionnent de manière tribale et qui, chacun, veut tirer la couverture à lui. Les politiques régionales sont incompatibles avec la réalité de ce tout petit pays… Un petit pays qu’on appelait dans le temps le « joyau » du Moyen-Orient tant il faisait bon y vivre. Aujourd’hui, on n’y trouve plus de médicaments pour soigner ses enfants ou ses parents. Aujourd’hui, on n’a plus de quoi mettre de l’essence dans sa voiture pour fuir la chaleur torride de Beyrouth vers la montagne. On n’a plus d’électricité pour brancher son frigo, son ventilateur ou, pire encore, pour permettre aux hôpitaux de fonctionner. Les gens meurent faute de soins, et ceux qui survivent ont perdu tout espoir. Avez-vous entendu, Monsieur le Président, les hurlements de ces pauvres gens qui ont brûlé hier lors de l’explosion du camion à Akkar ? Avez-vous écouté les lamentations de leurs proches ?
Monsieur le Président, le seul pays dans lequel j’ai encore espoir est la France… J’ai été nourrie par toutes les idées humanistes de votre pays… Ma thèse de doctorat, je l’ai faite en littérature française, mon sujet de thèse portait sur le XVIIe siècle, le siècle de la grandeur de la France. Certains me diront qu’il s’agit ici de colonialisme culturel, mais je sais faire la différence. Pour moi, il s’agit plutôt d’un amour que je partage avec votre pays, amour d’un idéal humaniste vers lequel il faut toujours tendre.
Je viens donc vers vous, Monsieur le Président. Le Liban ne traverse pas une crise humanitaire due à des facteurs naturels (tremblement de terre, incendie, inondation ou autres). Cette crise est, comme on dit, directement « man-made », elle est la conséquence directe d’une politique désastreuse, une politique à la fois régionale et interne. Nous sommes un pays sans gouvernement depuis un an et alors que les banques ne permettent plus aux gens de faire des retraits de leurs comptes personnels. Alors que la classe au pouvoir ne cesse de montrer une indifférence dédaigneuse (et criminelle) envers sa population qui a faim, nos politiciens sans foi ni loi se permettent de traîner les pieds, se débattent sans fin dans des conflits mesquins, s’accusent les uns les autres de méfaits qu’ils ont eux-mêmes commis. C’est une bande de mafieux, Monsieur le Président, et si cela continue, il n’y aura plus de Liban… Le pays du Cèdre disparaîtra et avec lui tout un patrimoine qui n’aura plus aucun sens. Le pays de K. Gibran, le pays de Vénus Khoury, le pays d’A. Maalouf, le pays de Gabriel Yared, le pays de Charles Corm et de bien d’autres, un peu le vôtre aussi, Monsieur le Président, si vous pensez aux nombreuses institutions françaises qui sont passées par là et ont contribué à façonner notre manière de penser….
Vous aviez promis d’aider le Liban, Monsieur le Président. Je viens vous rappeler, très humblement, votre promesse. C’est clair, le Liban ne pourra pas s’en sortir tout seul. On a saboté sa population, on a dressé les gens les uns contre les autres, on a acculé ses enfants au désespoir.
Mais avec votre aide, le Liban pourra se relever et se reconstruire. Vous savez comment l’aider, j’en suis sûre. Je vous en prie, Monsieur le Président, j’aimerais pouvoir y retourner avant de mourir, et y retourner avec mes petits-enfants.
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J’ai l’honneur de m’adresser à vous pour solliciter votre aide.
Je suis une Libanaise dans la soixantaine, mariée à un Français et habitant Toronto depuis de nombreuses années.
Je n’ai jamais cessé d’être libanaise. La nostalgie est ancrée en moi. Les souvenirs et les lieux de mon enfance et de mon adolescence continuent à me hanter : la Méditerranée, les villages nichés dans la montagne, le soleil brûlant de l’été, les somptueux couchers de soleil… Mais aussi et surtout les souvenirs liés à ma scolarité chez mes chères religieuses françaises qui m’ont communiqué à la fois l’amour de mon pays et celui de la France.
J’appartiens, voyez-vous, à cette génération bénie qui croyait dur comme fer que la mosaïque religieuse et politique de la population libanaise,...
Un émouvant cri de désespoir lancé avec les tripes et convictions ! Très beau résumé de sentiments, que chaque Libanais pourrait s’approprier sans honte ni gêne, puisque nous partageons tous la même ressentie qui, est décrit ici avec élégance et conviction un Liban aimé et regretté par tous ses enfants. Merci Madame de représenter tous les Libanais par vos mots qui nous donnent la fierté d’être Libanais. Vive le Liban uni et libre.
22 h 33, le 21 août 2021