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Monde - Focus

Les ambitions régionales d’Ankara passent (aussi) par Kaboul

La Turquie mise sur son réseau d’alliés régionaux, une politique de la main tendue en direction des talibans et son rôle dans la gestion de l’aéroport de Kaboul pour se forger une place dans l’Afghanistan de demain.


Les ambitions régionales d’Ankara passent (aussi) par Kaboul

Des soldats turcs et des policiers afghans, après un attentat suicide contre un véhicule diplomatique turc devant l’ambassade d'Iran à Kaboul, le 26 février 2015. Photo AFP / Wakil Kohsar

La Turquie, qui ne partage aucune frontière avec l’Afghanistan, semble de prime abord loin des enjeux brûlants des voisins immédiats, Pakistan, Iran, Tadjikistan ou encore Turkménistan, qui subissent, eux, depuis des décennies les retombées directes des soubresauts politiques qui secouent Kaboul. Pourtant, l’affairement d’Ankara depuis plusieurs semaines, dans le sillage de la reconquête des provinces afghanes par les talibans, semble dire tout autre chose.

Dès juillet, le gouvernement turc proposait à Washington de reprendre en main la gestion et la sécurité de l’aéroport Hamid Karzai de Kaboul, suite au départ des troupes étrangères américaines et de l’OTAN, planifié pour la fin du mois d’août, lui permettant ainsi d’occuper un rôle-clé dans l’Afghanistan postoccupation. Suite à la reconquête de la capitale dimanche dernier par les talibans, la diplomatie turque se tourne vers ces derniers avec qui elle tente de négocier le maintien de plus de 500 militaires turcs stationnés dans l’aéroport depuis 2015, offrant une nouvelle fois son aide logistique.

Au-delà des liens commerciaux et des investissements déjà en cours qu’il cherche à protéger, Ankara pourrait être particulièrement intéressé par le marché de la reconstruction dans les prochaines années : le maintien d’une « diplomatie militaire » pourrait en ce sens fournir aux Turcs un avantage décisif.

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Le second grand dossier qui devrait occuper les autorités turques dans les semaines et mois à venir est celui de la crise des réfugiés afghans. Afin d’apaiser les Européens et de rassurer l’opinion publique interne, le gouvernement accélère la construction d’un mur de séparation de près de 300 kms le long de la frontière iranienne, censé prévenir l’arrivée de migrants via l’Iran et à destination de l’Europe.

Parler à tous, ne fermer aucune porte
Mais en Afghanistan comme ailleurs au Moyen-Orient, le cœur de la stratégie turque réside dans le rôle de puissance médiatrice et stabilisatrice qu’elle entend jouer. Dimanche, le président Recep Tayyip Erdogan affirmait au côté de son homologue pakistanais, Arif Alvi, son intention d’œuvrer au « retour de la stabilité dans la région », « à commencer par l’Afghanistan ».

La ligne d’Ankara est claire : parler à tous et ne fermer aucune porte. « Les alliés naturels de la Turquie étant partis, l’interlocuteur sera désormais le régime des talibans », indique Sinan Ulgen, ancien diplomate et spécialiste de la politique étrangère turque au centre de recherche Carnegie Endowment for International Peace. Ce ne sera pas pourtant un virage radical pour Ankara qui, même en tant que pays membre de l’OTAN soutenant le gouvernement afghan, a toujours gardé des canaux de communication ouverts avec la mouvance fondamentaliste sunnite. Les propos de M. Erdogan déclarant la semaine dernière vouloir rencontrer certains des dirigeants des talibans confirment ce positionnement.

La Turquie pourrait à terme – tout comme la Russie, la Chine ou l’Iran – faire le choix d’une officialisation des liens avec le nouveau régime afin de faire porter sa voix sur le dossier. « La Turquie pourrait ainsi tenter de s’assurer un certain degré d’influence, mais en réalité, beaucoup dépendra de la manière de gouverner des talibans », avertit Sinan Ulgen, pour qui la poursuite des instabilités à travers le pays et un comportement brutal de la part du nouveau régime pourraient rendre la tâche beaucoup plus difficile à Ankara. Pour Ankara, réussir à se faire une place parmi ceux qui comptent serait alors faire d’une pierre deux coups : en assurant un relais continu avec les autorités afghanes, la Turquie pourrait également reconquérir une place stratégique au sein de l’OTAN après plusieurs années marquées par des tensions avec ses alliés.

Des liens forts remontant à Atatürk
Tout indique donc qu’Ankara a une idée précise des intérêts en jeu, du rôle qu’il entend jouer et de comment y parvenir. La Turquie dispose de plusieurs atouts, partage avec les talibans certains de ses alliés susceptibles de relayer ses demandes – le Pakistan et le Qatar – et pourrait également choisir de monnayer sa reconnaissance diplomatique du nouveau régime de Kaboul, en échange d’une place privilégiée en tant qu’arbitre sur le dossier.

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La Turquie entretient également avec une partie des Afghans des liens culturels via certaines minorités ethniques (turque, turkmène et ouzbèque) et historiques. « Les deux nations ont des liens forts qui remontent aux premières années de la République turque, lorsque l’Afghanistan avait alors été le premier pays à reconnaître la Turquie moderne », souligne Sinan Ulgen, avant de rappeler l’amitié qui unissait le père de la nation turque, Mustafa Kemal Atatürk, avec le roi afghan de l’époque. Plus récemment, Ankara a su parfaire sa réputation auprès de la population : via l’exportation de son industrie culturelle, mais aussi en prenant soin de ne pas prendre part aux combats armés, en multipliant les projets humanitaires, en soignant son image de neutralité et en se tenant en marge des autres pays membres de l’OTAN, notamment des États-Unis.

En se présentant comme nation à majorité sunnite, la Turquie sait tout aussi bien jouer de l’inconscient collectif afin de se présenter en leader naturel du monde musulman. Si elle portait ses fruits, la stratégie turque en Afghanistan pourrait ainsi récompenser des années d’efforts sous le leadership d’Erdogan, afin de transformer la politique étrangère turque et de rétablir son rang de puissance régionale. Mais le départ des Occidentaux a ouvert les appétits, et les Turcs ne sont pas les seuls à avoir des visées sur le pays. « La nouvelle géographie politique de l’Afghanistan se jouera donc dans cette bataille pour l’influence entre plusieurs pays et puissances régionales : la Turquie, le Pakistan, la Russie, mais aussi la Chine », estime Sinan Ulgen.

La Turquie, qui ne partage aucune frontière avec l’Afghanistan, semble de prime abord loin des enjeux brûlants des voisins immédiats, Pakistan, Iran, Tadjikistan ou encore Turkménistan, qui subissent, eux, depuis des décennies les retombées directes des soubresauts politiques qui secouent Kaboul. Pourtant, l’affairement d’Ankara depuis plusieurs semaines, dans le sillage de la...

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