
Photo d’archives AFP
La levée des subventions : c’est la décision que le pouvoir en place tente d’éviter, et que les opposants encouragent. C’est ce que le président de la République, Michel Aoun, veut absolument éluder. M. Aoun a été soumis à de fortes pressions internes et internationales pour lever les subventions, mais il n’a pas cédé. Selon des sources diplomatiques occidentales, le chef de l’État avait été précédemment interrogé à ce sujet. Il y avait opposé un refus catégorique et demandé au gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, de les maintenir de quelque manière que ce soit, car il ne souhaitait pas que son mandat connaisse le plus grand effondrement social.
Tout au long des réunions qui se sont tenues au cours des dernières semaines, Michel Aoun a continué à insister sur la nécessité de poursuivre le programme des subventions. Malgré les réticences du gouverneur, un compromis a fixé la subvention au taux de 3 900 livres pour le dollar, à condition que cela se poursuive jusqu’à fin septembre, le gouvernement sortant étant censé dans l’intervalle mettre en place le projet de carte d’approvisionnement.
Cependant, la soirée du 11 août annonçait une explosion sociale et politique majeure, lorsque la BDL a publié une circulaire levant les subventions sur les carburants. Cette note a été rendue publique après une réunion à Baabda du Conseil supérieur de la défense (CSD), sous l’égide du président Aoun et en présence de M. Salamé. La décision avait été en fait prise par le conseil central de la BDL, un jour avant la réunion du CSD, tenue en l’absence du Premier ministre sortant, Hassane Diab. Selon ce que confirment des sources politiques, M. Diab rejette lui aussi la levée des subventions. Il a donc justifié son absence en disant qu’il était en contact avec une personne testée positive au Covid-19 pour ne pas avoir à endosser la responsabilité de la décision.
Les sources proches du gouverneur indiquent que ce dernier avait informé tout le monde de la décision prise, y compris le président, et qu’il avait explicitement fait part de la situation au CSD. Nul ne s’y étant opposé, il en a déduit un aval implicite. Or il se trompait. De sources proches de M. Salamé, on estime que le silence de M. Aoun visait à lui tendre un piège destiné à le pousser à annoncer cette décision et donc à justifier son limogeage.
Mikati peu fiable
Depuis le premier jour de la désignation de Nagib Mikati pour succéder à M. Diab, le président Aoun était déterminé à limoger Riad Salamé. Il a demandé au Premier ministre désigné de s’engager dans cette voie en vue de mettre en œuvre l’audit juricomptable de la BDL et à tenir le gouverneur pour responsable. À l’époque, M. Mikati avait répondu que l’audit avait été approuvé par le Parlement et que tous les protagonistes s’y engageaient, mais M. Aoun n’était pas rassuré sur les intentions du Premier ministre désigné. Les sources de la présidence considèrent en effet que M. Mikati a tenté de noyer le poisson et n’a pas fourni de réponse claire. Le chef de l’État a alors continué d’exercer des pressions, tandis que M. Salamé était interrogé par la justice dans le cadre de l’enquête locale le visant notamment pour détournement de fonds et enrichissement illicite. Un second interrogatoire est d’ailleurs prévu en septembre prochain.
Des sources qui suivent l’affaire indiquent que M. Aoun œuvrerait sur deux axes. Si M. Mikati ne s’engageait pas à révoquer le gouverneur lors de la première séance du gouvernement, il y aurait alors une seconde possibilité, celle d’une décision de justice qui mènerait forcément à le mettre à l’écart.
De sources diplomatiques occidentales, on confirme cependant qu’il y a un refus international, notamment américain, de laisser faire M. Aoun dans ce domaine. Washington soutient toujours le gouverneur et refuse que le premier vice-gouverneur, Wassim Mansouri, de confession chiite, prenne le relais. Mais le chef de l’État a trouvé une issue légale à ce problème consistant à nommer un maronite par intérim à la tête de la banque centrale en cas de décision judiciaire.
Parallèlement, les négociations pour former un gouvernement se poursuivent, M. Salamé sent le danger et M. Aoun veut coincer M. Mikati pour obtenir la destitution du gouverneur en échange de la formation de son gouvernement. Bien entendu, M. Salamé bénéficie du soutien de diverses forces politiques, surtout celui du courant du Futur de Saad Hariri, des anciens Premiers ministres, du président de la Chambre, Nabih Berry, et des États-Unis. Toutes ces forces et d’autres soutiennent la démarche de levée des subventions et considèrent que les marchandises subventionnées sont introduites en contrebande en Syrie et que le régime syrien en profite. M. Salamé est dans l’impasse, il renifle le danger, décide alors de retourner la situation face à M. Aoun et annonce la fin des subventions.
De multiples sources, certaines proches du Hezbollah et d’autres du président de la République, confirment que la décision de Riad Salamé de lever les subventions est convenue entre lui et Nagib Mikati, et qu’elle a l’aval de M. Berry. Le Premier ministre désigné a ainsi préféré décharger son gouvernement de cette tâche, en laissant à celui de Hassane Diab le soin de s’en acquitter. Des sources proches du Hezbollah indiquent que la décision de M. Salamé et l’accord conclu entre lui et Nagib Mikati sont le fruit d’une coordination avec les Américains et les Français qui veulent la levée des subventions et considèrent cette levée comme un mal nécessaire, tout comme les protagonistes politiques libanais l’avalisent dans le but de porter le coup de grâce au mandat de Michel Aoun.
Le « putsch »
Des sources proches du chef de l’État affirment que l’action de M. Salamé est une opération vindicative contre M. Aoun et contre toutes les tentatives pour le traduire en justice. On reproche de mêmes sources à M. Mikati d’avoir suggéré une atmosphère positive devant le chef de l’État, alors qu’en réalité, il avait conclu en sous-main un accord avec le gouverneur, ce que le président a considéré comme un coup de poignard dans le dos. D’autre part, des sources politiques opposées à Michel Aoun disent qu’il a fermé les yeux sur la décision de M. Salamé de lever les subventions, car il voulait en profiter pour l’écarter en poussant la population à s’insurger contre cette décision. Quelques heures après que la décision a été prise, le président a senti venir un coup d’État, et le chef du Courant patriotique libre n’a pas tardé à considérer le geste comme un putsch dont l’objectif est d’entraver la formation du gouvernement. Le lendemain de la décision, M. Aoun a convoqué le gouverneur au palais présidentiel et lui a demandé de revenir sur sa décision, mais ce dernier a refusé, réclamant à cette fin une loi permettant de toucher aux réserves obligatoires.
Selon ses sources, Michel Aoun est convaincu qu’un grand nombre de ses opposants tente de l’assiéger, il a donc décidé de renverser la donne en appelant à une séance extraordinaire du gouvernement sortant et en envoyant un message au Parlement sur la nécessité de sanctionner le gouverneur. Hassane Diab a refusé d’accepter la tenue de la séance. Au moment où le communiqué de Baabda a été publié, MM. Diab et Mikati se sont accordés à rejeter la décision, ce dont le chef de l’État a eu vent et qui lui a confirmé que Nagib Mikati ne serait pas fiable. De leur côté, les anciens Premiers ministres avaient eux aussi demandé à M. Diab de rejeter l’appel du président. Interrogé, Fouad Siniora déclare à L’Orient-Le Jour : « Le président de la République exerce ses pouvoirs comme il l’entend. Il prétend qu’il est en mesure d’inviter le gouvernement sortant à tenir une séance anticonstitutionnelle, alors qu’auparavant il disait qu’il n’avait pas les prérogatives lui permettant de convoquer le même cabinet, alors en fonctions, pour discuter du dossier du nitrate d’ammonium dans le port, ce qui aurait sauvé Beyrouth de l’explosion dévastatrice. » M. Aoun considère donc ce qui se passe comme un complot majeur contre son mandat par toutes les forces politiques traditionnelles, et il en impute la responsabilité à M. Mikati, aux anciens Premiers ministres et à Nabih Berry. Des sources proches du Hezbollah indiquent que les États-Unis sont intervenus auprès de M. Diab pour l’empêcher de convoquer une réunion extraordinaire. Le message américain à Diab était clair : « Ne jouez pas le jeu. »
Des sources diplomatiques affirment pour leur part que cette démarche a poussé M. Aoun à hausser les enchères avec M. Mikati. Le chef de l’État veut toutes les garanties, la première étant la destitution de Riad Salamé lors de la première séance du Conseil des ministres. Si M. Aoun n’obtient pas ces garanties, il n’acceptera pas de former le gouvernement. « Le président n’est pas sérieux quant à la formation du gouvernement. S’il avait voulu le former, il n’aurait pas demandé au gouvernement sortant de se réunir », tacle Fouad Siniora.
commentaires (12)
Aoun se croit toujours Président ! mais au fait, Président de quoi et de qui ? A la connaissance du commun des mortels, un Président est au service d’un pays, et pas le contraire. Un Président prend les décisions adéquates pour l’intérêt du peuple et du pays. Un Président défend le peuple quoi qu’il arrive, pas selon ses intérêts personnels ou familiaux. Alors quel Président Mr Aoun prétend-il incarner ? il serait judicieux de nous le dire. L’article de Mr Mounir Rabih, encore lui, nous développe avec excellence comme d’habitude les dessous des cartes, et mentionne entre les lignes les incapacités de Aoun et de son équipe à diriger le pays. Il a pris un Pays qui marchait sur une patte, s’est dépêché de le mettre sur une chaise roulante, puis de le rendre tétraplégique, au point de devoir l’achever faute de soins palliatifs. Le Pays se meurt, tous les indicateurs sont au rouge ; et notre fakhamette El Raïs se prend pour une star qui fait ses caprices. Chaque jour il a une tête de turc différente, tantôt c’est Hariri, puis Diab , Adib et soudainement change de registre, en désignant Riad Salamé. Bref ! L’autre c’est l’excuse récurrente qu’il agite à souhait, quand il n’a pas de réponse à son impéritie pour trouver une solution à ses contradictions incessantes. Accroché à un pouvoir illusionnaire, il se complaît à regarder le Pays s’effondrer à ses pieds sans bouger d’un cil.
Le Point du Jour.
22 h 50, le 17 août 2021