Le Conseil européen a annoncé hier avoir adopté un cadre pour des sanctions ciblées contre des personnes ou entités au Liban ayant porté atteinte à la démocratie ou à l’État de droit, ce qui signifie, en d’autres termes, que l’Union européenne s’est dotée aujourd’hui d’un outil juridique sur base duquel elle pourra imposer des sanctions contre des personnalités tenues pour responsables du blocage des processus devant aider le Liban à sortir de sa crise, qu’il s’agisse de la formation d’un gouvernement ou de la mise en œuvre de réformes sérieuses exigées notamment par la communauté internationale pour soutenir un redressement du pays. La décision européenne est intervenue au moment où la France réaffirmait qu’elle était « prête à accroître, avec ses partenaires européens et internationaux, les pressions sur les responsables politiques libanais » pour une formation rapide d’un gouvernement.
C’est donc sous une menace de sanctions européennes devenue plus concrète que le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Nagib Mikati reprendront à partir de lundi leurs pourparlers au sujet de la composition du gouvernement, et plus particulièrement des portefeuilles de l’Intérieur et de la Justice, que le camp présidentiel voudrait s’attribuer, alors que M. Mikati insiste pour les confier à des personnalités indépendantes. Le camp du chef de l’État souhaite notamment nommer un maronite à la tête de l’Intérieur, le ministère qui devra préparer et gérer les législatives et les municipales de 2022, suivant un principe de rotation qu’il voudrait étendre à tous les ministères, les Finances compris. Il s’agit là d’un second sujet de discorde entre Michel Aoun et Nagib Mikati qui est, lui, favorable à un maintien en l’état de la répartition confessionnelle au niveau des portefeuilles ministériels pour éviter surtout un problème au niveau de l’attribution du ministère des Finances, auquel le tandem chiite, et plus particulièrement le président de la Chambre Nabih Berry, s’accroche.
Au cas où MM. Mikati et Aoun ne parviendraient pas à s’entendre, les pressions internationales exercées sur les dirigeants libanais appelés à former un cabinet sans tarder devraient ainsi s’exacerber. Dans ce contexte, une source européenne contactée par L’Orient-Le Jour précise que le « cadre légal » approuvé hier à Bruxelles « sera suivi d’une seconde phase de discussions portant sur les noms des personnalités ciblées par ces mesures ». La source précise toutefois que les noms de celles-ci « ne seront pas rendus publics ».
Ce qu’il faut savoir sur le mécanisme adopté
Le cadre en question a été adopté à l’unanimité par le Conseil européen « pour faire face à la situation au Liban ». « Ce cadre prévoit la possibilité d’imposer des sanctions à l’encontre de personnes et d’entités ayant porté atteinte à la démocratie ou à l’État de droit au Liban », peut-on lire dans le communiqué officiel de l’UE. Le texte explique par la suite les « agissements » que l’UE considère comme passibles de sanctions :
- Entraver ou compromettre le processus politique démocratique en faisant obstacle de manière persistante à la formation d’un gouvernement, ou en entravant ou compromettant gravement la tenue d’élections.
- Entraver ou compromettre l’application de plans approuvés par des autorités libanaises et soutenus par des acteurs internationaux concernés, y compris l’UE, pour améliorer la responsabilité et la bonne gouvernance dans le secteur public ou la mise en œuvre de réformes économiques essentielles, y compris dans les secteurs bancaire et financier, et y compris l’adoption d’une législation transparente et non discriminatoire en matière d’exportation de capitaux.
- Commettre des manquements financiers graves concernant des fonds publics, dans la mesure où les actes concernés sont couverts par la Convention des Nations unies contre la corruption et l’exportation non autorisée de capitaux .
Le texte précise ensuite que « les sanctions consistent en une interdiction de pénétrer sur le territoire de l’UE, et un gel des avoirs pour les personnes et les entités ». « En outre, il est interdit aux personnes et aux entités de l’UE de mettre des fonds à la disposition des personnes et des entités inscrites sur la liste », ajoute-t-il.
« Différents instruments »
Le communiqué rappelle par la suite le contexte dans lequel intervient cette annonce. « Le 7 décembre 2020, le Conseil a adopté des conclusions dans lesquelles il constatait avec une inquiétude croissante que la grave crise financière, économique, sociale et politique qui s’est installée au Liban avait continué de s’aggraver au cours des mois précédents et que c’était avant tout la population libanaise qui souffrait des difficultés grandissantes du pays. Le Conseil soulignait qu’il était urgent et nécessaire que les autorités libanaises mettent en œuvre des réformes afin de rétablir la confiance de la communauté internationale. Le Conseil appelait par ailleurs l’ensemble des parties prenantes et des forces politiques libanaises à soutenir la formation d’urgence d’un gouvernement au Liban axé sur une mission, crédible et comptable de ses actes, qui soit en mesure de mettre en œuvre les réformes nécessaires. Depuis lors, le Conseil a exprimé à maintes reprises la vive préoccupation que lui inspire la détérioration de la situation au Liban. Malgré les appels répétés adressés aux forces politiques et aux parties prenantes libanaises pour qu’elles agissent dans l’intérêt national et ne retardent pas davantage la formation d’un gouvernement pleinement habilité et capable de répondre aux besoins urgents du pays, ainsi que de mettre en œuvre des réformes indispensables, rien n’avance. Entre-temps, la situation économique, sociale et humanitaire au Liban ne cesse de se détériorer et la population continue de souffrir. »
« L’UE reste déterminée à aider le Liban et sa population à surmonter les difficultés actuelles, et elle est prête à utiliser les différents instruments dont elle dispose pour ce faire. Il est toutefois de la plus haute importance que les dirigeants libanais mettent de côté leurs divergences et agissent ensemble pour former un gouvernement et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour guider le pays sur la voie d’une reprise durable. La stabilité et la prospérité du Liban revêtent une importance cruciale pour l’ensemble de la région et pour l’Europe », conclut le texte.
La France « prête à accroître les pressions »
Peu avant l’annonce de l’UE, la France s’est dit « prête à accroître, avec ses partenaires européens et internationaux, les pressions sur les responsables politiques libanais » pour une formation rapide d’un gouvernement. « La formation urgente d’un gouvernement pleinement opérationnel, en mesure de lancer les réformes que la situation exige et qui conditionnent toute aide structurelle, reste la priorité, a déclaré la porte-parole du Quai d’Orsay lors du point de presse. La France appelle l’ensemble des dirigeants libanais à agir en ce sens et en faveur de l’intérêt général le plus rapidement possible. Elle se tient prête à accroître, avec ses partenaires européens et internationaux, les pressions sur les responsables politiques libanais pour y parvenir. »
commentaires (15)
Depuis le temps que vous menacez !... Ce ne sont pas les menaces que vous devez concrétiser mais les sanctions elles-mêmes.
Robert Malek
20 h 17, le 01 août 2021