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Moyen-Orient - Eclairage

Quand les autorités turques interdisent à certains manifestants opposés au pouvoir de voyager

Plusieurs étudiants qui avaient participé au mouvement de protestation entamé en janvier contre la nomination d’un proche du président comme recteur de la prestigieuse Université de Boğaziçi, à Istanbul, devront peut-être renoncer à leur échange à l’étranger.

Quand les autorités turques interdisent à certains manifestants opposés au pouvoir de voyager

Des étudiants scandent des slogans devant l'Université Boğaziçi d'Istanbul lors d'une manifestation contre la nomination d'un recteur proche du pouvoir, le 4 janvier. Photo d'archives AFP

« Je ne pourrais peut-être pas fréquenter l’école où je suis supposée poursuivre à l’automne prochain mes études supérieures », s’inquiète Senem. Plus de cinq mois se sont écoulés depuis la détention de l’étudiante de 23 ans de l’Université de Boğaziçi à Istanbul, l’une des plus prestigieuses de Turquie souvent qualifiée de « Harvard turc », dans le sillage de l’arrestation à l'intérieur du campus de 51 manifestants opposés à la nomination par Recep Tayyip Erdogan d’un recteur proche du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir.

Libérée dans l'attente d’un procès, la jeune femme - qui doit obtenir dans quelques jours son diplôme de premier cycle d’études supérieures - ne connaît toujours pas la date de son audience, alors qu’elle a été admise en parallèle à plusieurs écoles à l’étranger pour y entamer son deuxième cycle universitaire. « Détenue le 1er février, j’ai été maintenue en garde à vue pendant 50 heures avant d’être relâchée avec des mesures de contrôle judiciaire », témoigne Senem, qui ne peut voyager jusqu’à ce que la décision de justice soit connue. « Le procureur n’a toujours pas officiellement préparé l’acte d’accusation. Ce retard dans l’ouverture de mon dossier est la principale raison pour laquelle je ne pourrais peut-être pas fréquenter l’une des écoles qui m’ont acceptée », ajoute-t-elle.

Malgré tous les efforts fournis par Senem pour plaider sa cause, ceux-ci semblent loin d’aboutir. « Bien que nous nous soyons opposés au contrôle judiciaire avec mon avocat en documentant mes admissions à l’étranger, le tribunal a rejeté notre objection à quatre reprises », se désole celle qui a déjà reçu une bourse pour couvrir ses dépenses à l’étranger sans savoir si son voyage sera possible.

Droit d’étudier menacé

Sur les 51 étudiants qui avaient été emmenés par la police dans la nuit du 1er février, certains sont explicitement visés par une interdiction de voyager tandis que d’autres doivent se rendre au poste de police chaque semaine, « ce qui signifie également qu’ils ne peuvent quitter le pays », explique une étudiante ayant requis l’anonymat et qui se trouve dans le même cas que Senem. Spécialisée en psychologie, la jeune femme a été acceptée au programme de maîtrise en études européennes de l’Université de Sienne, en Italie. Mais elle nourrit également de nombreuses craintes quant à une possible annulation de son échange universitaire. « J’ai non seulement été visée par une interdiction de voyager, mais je n’ai en plus aucune date précise ou information sur mon procès, ce qui fait que je ne peux pas demander de visa, témoigne-t-elle. Mes objections ont été également balayées. C’est mon droit d’étudier qui est menacé ». Malgré le flou entourant son procès, l’étudiante est persuadée qu’elle sera notamment accusée d’avoir enfreint la loi 2911, qui restreint le droit à se rassembler et manifester et qui précise qu’ « en cas d’attaque contre les forces de sécurité ou contre les biens ou les individus qu’elles protègent ; ou en cas de résistance effective, la force sera utilisée sans qu’il soit nécessaire d'en donner l'ordre ».

Déployées à l’intérieur du campus, les autorités turques avaient arrêté en février des centaines de manifestants qualifiés de « terroristes » par M. Erdogan qui avait également promis de faire « tout ce qui est nécessaire » pour mettre un terme à la contestation. Aux yeux de Senem, le traitement injuste dont elle et ses collègues sont victimes est une pratique très courante de la part de l’État : « Pour réprimer les manifestations étudiantes, il impose souvent un contrôle judiciaire avec des accusations illégales, et va même jusqu’à annuler les bourses de certains étudiants, ce qui est arrivé récemment à des dizaines de personnes de l’Université ayant participé aux manifestations ».

Jeudi dernier, le président turc a limogé le recteur controversé, Melih Bulu, sans donner aucune explication. Un geste qui est loin de contenter les étudiants et une bonne partie du corps professoral qui manifestent sans relâche depuis janvier. « Le recteur a été licencié parce qu’il n’a pas répondu aux attentes du président et, bien sûr, notre mouvement de résistance a un grand crédit dans cette décision. Cela a montré que Boğaziçi n’accepte pas d’être dirigé par quelqu’un qui ne méritait pas ce poste », affirme Edibenur Ünern, membre du collectif de résistance au sein de l’Université de Boğaziçi.

Avant 2016, les recteurs d’université étaient choisis par le Reis turc parmi trois candidats élus par le personnel académique. Une pratique à laquelle le gouvernement a mis fin après le putsch manqué du 15 juillet de la même année, M. Erdogan nommant désormais ces derniers par décret. Le choix de Melih Bulu avait particulièrement irrité les étudiants et professeurs de l’Université de Boğaziçi, alors que ce proche du pouvoir, ayant occupé par le passé de nombreux postes au sein de l’AKP, était par ailleurs critiqué pour son incompétence et notamment accusé de plagiat.

Poursuivre le combat

« Dès le début, la résistance s’est inscrite contre le système de nomination : nous ne voulons pas qu’une seule personne ait le pouvoir de décider qui nommer et qui révoquer, et pas seulement dans les universités mais dans tout autre poste administratif comme les municipalités », poursuit Edibenur Ünern, pour qui les manifestations cesseront lorsque toutes les demandes du mouvement seront prises en compte. Parmi celles-ci, l’abandon de toutes les charges portées contre les manifestants et l’arrêt des poursuites à leur encontre, la réouverture du club LGBTI+ (personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles) de l’Université, le départ du campus de la police ou encore l’arrêt immédiat des pratiques intentées contre certains instructeurs de l’université « ayant défendu l’indépendance académique et la dignité humaine ».

Suite à la nomination d’un recteur par intérim, Can Candan, un documentariste membre du corps professoral de la faculté et l’une des personnalités les plus importantes parmi les universitaires opposés à la nomination de M. Bulu, a été licencié. Une raison parmi tant d’autres de poursuivre le combat, expliquent les protestataires. Si le limogeage de Melih Bulu est un premier pas, certains manifestants doutent que le président turc cédera à leurs exigences, qui dépassent largement le strict cadre de l’université. « La raison pour laquelle ces protestations ont pris tant d’ampleur est qu’elles ont émergé avec d’autres demandes démocratiques de la société et ont cessé d’être de simples protestations étudiantes. Les revendications politiques de la circonscription de Boğaziçi ont résonné avec celles du peuple kurde, des LGBTI+ et de nombreux autres groupes progressistes », résume Senem.

« Je ne pourrais peut-être pas fréquenter l’école où je suis supposée poursuivre à l’automne prochain mes études supérieures », s’inquiète Senem. Plus de cinq mois se sont écoulés depuis la détention de l’étudiante de 23 ans de l’Université de Boğaziçi à Istanbul, l’une des plus prestigieuses de Turquie souvent qualifiée de « Harvard turc », dans le sillage de...

commentaires (1)

wow....cet erdogan...

Marie Claude

07 h 38, le 22 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • wow....cet erdogan...

    Marie Claude

    07 h 38, le 22 juillet 2021

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