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Société - Crise au Liban

Tripoli gémit durant l’Adha

« On n’a jamais vu ça, même en pleine guerre », se désole un boucher.

Tripoli gémit durant l’Adha

Dans une rue du souk de Tripoli au Liban-Nord, le 19 juillet 2021. Photo Souhayb Jawhar

La fête de l'Adha,  celle du sacrifice, a un goût triste cette année à Tripoli. Dès 20 heures mardi, alors qu’en d’autres années la fête ne faisait que commencer, les rues se sont vidées, privées de musique, de lampions et de guirlandes. Victime de la flambée vertigineuse des prix, d’une dégringolade historique de la livre libanaise et d’une paupérisation sans précédent de sa population, Tripoli a cette fois capitulé. Réfugiés chez eux, les habitants de la ville en ont été quitte pour allumer leur poste de télévision, et se réconforter du fait que le sort des autres villes du Liban n’était pas beaucoup plus enviable.

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En plein Souk el-Attarine, le souk des parfumeurs et des épices, gloire de l’époque Mamelouk devenu marché aux légumes et viandes, Najib le boucher chasse les mouches de la pièce qu’il étale avec un chiffon usé. Personne devant son échoppe. Un paquet de viande à la main, il confie : « Une demie-once à 20.000 livres soit un peu moins d’un dollar. Et même à ce prix, les acheteurs se sont fait rares ». « Toutes les familles en rêvent, ajoute-t-il la main sur le menton et secouant la tête, mais c’est désormais hors de portée de beaucoup. Aujourd’hui, c’est nous les moutons d’abattoir ». Puis jetant le chiffon qu’il tenait, il précise : « On n’a jamais vu ça, même en pleine guerre ». Interrogé, il précise avoir abattu une vingtaine de moutons, cette année, contre 210 en 2019 et bon nombre de vaches.

Photo Souhayb Jawhar

Malgré la fête, des magasins restent ouverts, en quête de clients qui se font rares. Dans un petit coin de Souk el-Attarine, Oum Ali (81 ans), est assise sur une toute petite chaise. Elle est en train d’évider des courgettes et des aubergines. La vieille femme souffre d'un problème auditif. Il faut donc crier pour se faire entendre d’elle. A nos questions, ses larmes coulent : « Nous n’avons jamais été aussi humiliés. Pourtant, nous pensions que c’est du devoir de l'État de veiller sur la population, d’assurer une vie digne aux plus âgés ! Et me voilà en train d’évider des courgettes et des aubergines pour les plus aisés ». Visiblement épuisée, elle nous les propose, histoire d’assurer son repas et celui de sa sœur paralysée dont elle a la charge…

Photo Souhayb Jawhar

Maamoul... la pâtisserie par excellence

Tripoli est célèbre pour ses pâtisseries orientales, ses "maamouls" fourrés aux dattes, aux pistaches ou aux noix. Mais même cet humble luxe, peu de familles peuvent désormais se le permettre. Rue Defterdar, Abou Mohammad al-Rizz, propriétaire d'une enseigne populaire, glisse quelques boîtes et plateaux de maamouls dans des sacs. « Dans le temps, lance-t-il, les pauvres et les personnes âgées sortaient de ma boutique en chantant mes louanges. Nous distribuions gratuitement des centaines de boîtes aux pauvres, ce que nous ne pouvons plus faire parce que notre profit suffit à peine à régler nos employés. »

Vêtements... les rituels s'estompent

Dans le quartier des marchands d’étoffe et de prêt-à-porter, la plupart des commerçants sont assis devant leurs magasins. Sur le trottoir de sa boutique, Mohammad Al-Ali, rend sa tasse de café au vendeur ambulant, essuie sa sueur avec le bout de sa veste rouge, et nous interroge : " Vous êtes journalistes ?" Puis il précise n’avoir eu que deux clients de la journée  invoquant comme raison les routes bloquées, la pénurie d’essence et son prix. « Les gens n'ont plus de quoi acheter de nouveaux vêtements, dont le prix est en dollar, monnaie avec laquelle la marchandise est achetée en Turquie ou en Europe », explique-t-il. Il compte sur les soldes pour se rattraper.

Dans son magasin de vêtements pour hommes, Fadi Kroum négocie avec un client le prix d'une chemise. Sans succès. Contrarié, il nous explique : "C'est un soldat dont le salaire ne dépasse pas 1,5 million de livres, alors que le prix de la chemise est de 500.000 livres, soit le tiers de son salaire. Les petits fonctionnaires et les soldats ne peuvent plus rien acheter. Nous avons perdu nos principaux clients ! ».

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Ce qui retarde l’explosion populaire, ce sont les transferts d'argent depuis l'étranger, selon plusieurs habitants de la ville. Sur la place centrale du Tell, se trouve une file d’attente devant une société de transfert de fonds. A l'entrée, Fatima (divorcée et mère de quatre enfants) attend de recevoir l’argent envoyé par son frère installé en Arabie saoudite. Fatima travaille comme femme de ménage dans les bureaux du centre-ville. Elle touche 700.000 livres - soit 30 dollars par mois - et compte donc sur les 100 dollars que lui envoie son frère pour continuer à subvenir aux besoins de ses enfants. Masque sanitaire collé au visage, elle affirme qu’il y a des semaines que ses enfants n’ont pas goûté à la viande ou au poulet. Elle essaie de leur trouver une excuse convaincante, quand ils l’interrogent à ce sujet et compte sur la bienfaisance pour réussir à leur en servir pour la fête, tout en redoutant d’être à nouveau interrogée si elle ne réussit pas à le faire. Elle peste contre les dirigeants « criminels » et les accapareurs.

Photo Souhayb Jawhar

La population de Tripoli se plaint de l'absence de tout programme d'aide d'urgence en sa faveur de la part du ministère des Affaires sociales. Une carte d’approvisionnement d'un million de livres à été promise à 15.000 familles de Tripoli, mais rien ne s’est concrétisé à ce jour. Pour Riyad Yamak, président du conseil municipal de Tripoli, « l’inaction gouvernementale, la crise économique et la hausse folle des prix ont installé le chaos dans la ville ». En l'absence totale de la plupart des services publics et ministères, Tripoli gémit et va à la dérive.

La fête de l'Adha,  celle du sacrifice, a un goût triste cette année à Tripoli. Dès 20 heures mardi, alors qu’en d’autres années la fête ne faisait que commencer, les rues se sont vidées, privées de musique, de lampions et de guirlandes. Victime de la flambée vertigineuse des prix, d’une dégringolade historique de la livre libanaise et d’une paupérisation sans précédent...

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Tandis que Fatima attend le virement de son frère de l’Arabie Saoudite, un homme politique député du Liban Nord est en train de créer une chaîne de stations-service à l’instar des sociétés américaines Mobil Oil, britanniques comme Shell ou françaises comme Total. L’argent de Fatima vient d’Arabie Saoudite où travaille son frère, tandis que l’argent de l’autre est de source obscure, comme la fabuleuse histoire des bateaux turcs centrales électriques.

Un Libanais

19 h 28, le 21 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Tandis que Fatima attend le virement de son frère de l’Arabie Saoudite, un homme politique député du Liban Nord est en train de créer une chaîne de stations-service à l’instar des sociétés américaines Mobil Oil, britanniques comme Shell ou françaises comme Total. L’argent de Fatima vient d’Arabie Saoudite où travaille son frère, tandis que l’argent de l’autre est de source obscure, comme la fabuleuse histoire des bateaux turcs centrales électriques.

    Un Libanais

    19 h 28, le 21 juillet 2021

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