On s’y attendait : une bonne partie du Parlement, dont trois membres sont mis en cause dans l’affaire de la double explosion meurtrière du port le 4 août 2020, allait bien finir par trouver une combine pour essayer de se dérober. Le machiavélisme de quelques députés a fini par donner son plein effet. Du moins, c’est ce que croient près de 26 parlementaires issus de trois blocs – Amal, le Hezbollah et le Futur – qui viennent de signer une pétition pour enclencher la procédure de mise en accusation par la Chambre des trois députés qui sont également d’anciens ministres, Nouhad Machnouk, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, ainsi que l’ex-ministre Youssef Fenianos. Le Parlement se prépare donc à l’offensive et cherchera, une fois de plus, à contourner la justice dans l’affaire du siècle. Ce rebondissement a eu lieu après que les députés, réunis le 10 juillet en commissions, n’ont pas statué sur la requête du juge d’instruction en charge de l’affaire, Tarek Bitar, de lever l’immunité des députés mis en cause. Pour justifier leurs tergiversations, ils ont demandé à M. Bitar de leur fournir des documents propres à confirmer les suspicions invoquées à l’égard des quatre anciens ministres et davantage d’indices sur leur culpabilité. Une requête que le juge d’instruction a refusé, n’étant tenu par la loi qu’à un simple résumé des faits qu’il a déjà soumis aux députés.
« Le juge ne peut tout de même pas confier au Parlement les preuves qu’il détient ou encore les noms des témoins », s’offusque un magistrat qui a requis l’anonymat. Le refus du juge Bitar a ainsi servi d’alibi idéal à la Chambre pour procéder à une fuite en avant. Ainsi, le vice-président du Parlement, Élie Ferzli, est allé jusqu’à accuser le juge d’instruction de « politiser l’affaire ». « Tarek Bitar n’a pas fait preuve d’objectivité. Il a traité avec nous comme s’il avait un agenda politique », a déclaré M. Ferzli à L’Orient-Le Jour.
D’ici à dix jours, l’Assemblée devra décider, à la majorité des présents lors d’une séance plénière, de mettre en branle la procédure prévue par l’article 70 de la Constitution, espérant ainsi contourner Tarek Bitar.
L’article 70 prévoit que la Chambre des députés a le droit de mettre le président du Conseil des ministres et les ministres en accusation pour haute trahison ou pour manquement grave aux devoirs de leur charge. L’inculpation ne peut être décidée qu’à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée entière.
Or, ce vote « est loin d’être acquis », commente Wissam Lahham, constitutionnaliste et enseignant universitaire, plusieurs autres groupes parlementaires ayant d’ores et déjà exprimé leur opposition à cette manœuvre. « Il faudra par la suite voir si cette procédure s’applique pour ce qui est des manquements professionnels prévus à l’article 70 », ajoute l’expert. Le directeur exécutif de l’Agenda légal, Nizar Saghiyé, rappelle que le juge Bitar a parlé de « crime intentionnel » et non d’une négligence dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions. « Par conséquent, l’article 70 ne s’applique aucunement », dit-il, avant de dénoncer « un empiétement sur la fonction judiciaire et une violation du principe de séparation des pouvoirs ». Bien que les blocs du Courant patriotique libre, du Parti socialiste progressiste et des Forces libanaises aient refusé de signer et d’accepter tout simplement de court-circuiter l’enquête de Tarek Bitar, les irréductibles du tandem chiite soutenus par le courant du Futur sont passés à l’offensive en signant en toute vitesse la pétition. Une manœuvre dont la paternité est attribuée par des sources concordantes au mouvement Amal dont deux figures-clés sont pointées du doigt. Pour certains analystes, le chef du courant du Futur a tout naturellement voulu rendre la pareille à Nabih Berry qui l’avait soutenu tout le long de son bras de fer avec le chef de l’État pour la formation du gouvernement.
Parmi les signataires de la pétition, Ali Khreiss, Mohammad Khawaja, Qassem Hachem (bloc berryste), Mohammad Hajjar, Dima Jamali, Tarek Merhebi (Futur), Ibrahim Moussaoui et Hassan Ezzeddine (Hezbollah).
« Le plus absurde est le fait que les signataires de la pétition vont eux-mêmes décider de mettre en accusation des membres de leur propre bloc, se transformant ainsi en juge et partie », ironise M. Saghiyé.
Le problème que sous-tend cette effervescence parmi les blocs signataires n’est pas seulement la question de l’enquête du port, mais le principe même de l’immunité. « Si l’immunité est levée dans ce dossier, cela constituera un précédent et risquera de faire boule de neige dans les affaires de corruption », analyse M. Saghiyé. C’est ce qui expliquerait, selon lui, l’engagement du bloc du Futur, qui craindrait un sort similaire à l’avenir pour malversations ou dilapidation des fonds publics.
Si le Parlement devait approuver le lancement de la procédure, une commission d’enquête serait mise sur les rails et entamerait une investigation qui, nous explique Hadi Hobeiche, du bloc haririen, « n’est tenu par aucun délai pour terminer son rapport ». Comprendre que l’enquête peut durer ad vitam aeternam avant d’être transférée après un vote au deux tiers de la Chambre devant la Haute Cour. « C’est une véritable escroquerie et une hérésie dans la mesure où nous serons alors devant deux procédures parallèles. Il ne faut pas oublier que la compétence de Tarek Bitar a été consacrée dans un décret ministériel », dit Hadi Rached, avocat et enseignant universitaire.
Ce que craint le plus M. Saghiyé est le fait que les parlementaires vont chercher à semer la confusion en recourant à des contorsions procédurales et des technicalités complexes pour faire oublier l’essentiel. Pour sa part, M. Ferzli répète à l’envi que les députés ne font rien moins que leur « devoir constitutionnel ». Et que s’ils ne l’avaient pas fait plus tôt, c’est-à-dire lorsque l’ancien enquêteur judiciaire, le juge Fadi Sawan, poussé vers la sortie, avait mis en cause quasiment les mêmes responsables, « c’est tout simplement pour que l’opinion publique ne pense pas que nous voulons cacher la vérité », soutient-il.
commentaires (20)
c est bizarre de voir tous ces commenteres négatifs sur les parlementaires on dirait qu ils sont tombés du ciel mais c est le peuple libanais qui a voté pour eux sont à l image de ce peule ignorant " des moutons"
barada youssef
18 h 19, le 21 juillet 2021