C’est une visite lourde en symboles qui doit se dérouler aujourd’hui à Washington. Le roi de Jordanie, Abdallah II, inaugure la première rencontre entre un chef d’État du Moyen-Orient et le président américain Joe Biden depuis son arrivée au pouvoir en janvier dernier. Annoncé le 7 juillet par un communiqué de la Maison-Blanche, ce tête-à-tête inédit « mettra en lumière le partenariat durable et stratégique entre les États-Unis et la Jordanie, un partenaire-clé en matière de sécurité ».
La rencontre entre les deux chefs d’État survient surtout alors que la monarchie jordanienne a été secouée fin mars par ce qui a été présenté comme une tentative de coup d’État visant à remplacer le roi par son demi-frère, le prince Hamza. Selon plusieurs médias américains, ce complot pourrait avoir été préparé depuis plusieurs années par l’administration Trump avec l’aide de ses alliés saoudien et israélien. Accusés d’avoir pris part à cette tentative de sédition, Bassem Awadallah, un ancien chef du bureau royal qui détient la nationalité saoudienne, et Cherif Hassan ben Zaid, émissaire spécial du roi en Arabie saoudite pendant un temps, ont tous deux été condamnés la semaine dernière par une cour de sûreté de l’État à 15 ans de travaux forcés.
Puissant message
En choisissant d’accueillir le roi de Jordanie avant tout autre dirigeant de la région, l’objectif du président démocrate est donc d’affirmer son soutien à Abdallah II. La relation entre leurs deux pays remonte au début des années 1950. Fort de sa situation stratégique, le royaume, situé entre Israël, la Syrie, l’Irak et l’Arabie saoudite, est un partenaire américain essentiel pour garantir la stabilité de la région et surtout dans la gestion du conflit israélo-palestinien.
Avec cette rencontre, Joe Biden envoie par la même occasion un puissant message aux leaders de la région. « Le rôle saoudien dans la “conspiration Hamza” ne sera pas discuté en public mais sera un énorme enjeu en privé », estime Bruce Riedel, ex-responsable au sein de la CIA et chercheur à la Brookings Institution. Prenant le contre-pied de la politique adoptée par Donald Trump à l’égard de Riyad, Joe Biden a par ailleurs souligné sa volonté de « recalibrer » ses relations avec l’Arabie saoudite lors de son accession à la Maison-Blanche.
Suite à l’intrigue de palais, le dirigeant américain n’avait pas hésité à apporter son soutien au roi jordanien au cours d’un appel téléphonique entre les deux dirigeants, qui entretiennent une relation personnelle depuis l’époque où Joe Biden était sénateur. Une posture qui contraste largement avec celle de son prédécesseur, dont la relation avec le monarque hachémite avait été entachée par les vues du président républicain sur la solution au conflit israélo-palestinien. « Abdallah II était en désaccord complet avec le plan de paix présenté par M. Trump (en janvier 2020) et sa reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël », rappelle Osama al-Sharif, journaliste et commentateur politique basé à Amman. Prévoyant l’annexion israélienne de près d’un tiers de la Cisjordanie occupée, le fameux « deal du siècle » de l’ancien président américain compromettait également le rôle de la Jordanie comme gardien de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam, placé sous l’autorité du royaume hachémite depuis 1994.
« Biden résistera »
Si le dossier israélo-palestinien ne figure pas parmi les priorités fixées par l’administration Biden en matière de politique étrangère, le président démocrate a néanmoins opté pour un rééquilibrage de la position américaine sur la question palestinienne. Le locataire de la Maison-Blanche a notamment rétabli en avril dernier une partie du financement de l’Unrwa, la mission d’aide de l’ONU consacrée aux réfugiés palestiniens, supprimé par Donald Trump. « Le roi fera pression pour une initiative de paix américaine sur la Palestine, mais Biden résistera », estime Bruce Riedel.
Alors que Joe Biden a pour objectif de poursuivre la politique US de désengagement du Moyen-Orient amorcée sous Barack Obama, son administration a toutefois fini par se positionner face à la violence des affrontements entre Israël et le Hamas en mai dernier, réaffirmant le droit d’Israël à se défendre d’une part, et le droit à la sécurité des Palestiniens d’autre part. Une posture qui n’augure cependant pas de changements majeurs sur ce dossier. « Aucune percée majeure ne semble probable sur le front israélo-palestinien, indique Brian Katulis, chercheur au think tank américain Center for American Progress. Les dirigeants jordanien et américain pourraient néanmoins poser les conditions d’une relation plus constructive entre Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne. »
La visite du roi jordanien à Washington survient en outre une semaine après les révélations par le média israélien Walla selon lesquelles le roi Abdallah II aurait récemment rencontré en secret le nouveau Premier ministre de l’État hébreu, Naftali Bennett. Les deux dirigeants auraient convenu d’ouvrir une nouvelle page dans les relations entre leurs deux pays, après les tensions sous le gouvernement de Benjamin Netanyahu. M. Bennett devrait par ailleurs se rendre à la Maison-Blanche le mois prochain, pour sa première rencontre avec Joe Biden depuis la prise de ses fonctions en tant que Premier ministre le 13 juin.
D’autres dossiers régionaux devraient être également discutés aujourd’hui entre le président américain et son homologue jordanien, à l’instar du défi démographique posé par l’afflux de réfugiés syriens vers la Jordanie. L’Irak – avec qui Amman s’est récemment entretenu aux côtés du Caire pour dessiner une nouvelle alliance régionale –, l’expansion iranienne au Moyen-Orient ou encore la lutte contre le terrorisme devraient aussi figurer parmi ces enjeux.
À huis clos, l’accent devrait toutefois être mis sur le partenariat stratégique entre Washington et Amman à la lumière des changements en cours dans la région. « Alors que les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan, ils déploient certaines de leurs troupes en Jordanie et transfèrent de même leurs troupes et leurs équipements du Qatar vers le royaume hachémite, indique Osama al-Sharif. Cela confère à Amman un poids stratégique plus important à l’échelle régionale. »
Plusieurs observateurs estiment enfin que le roi Abdallah II devrait faire pression sur le président américain pour obtenir de l’aide en faveur de la Jordanie. Principale source de soutien financier bilatéral, Washington fournit près de 1,5 milliard de dollars d’aide au royaume chaque année. Une somme non négligeable alors que le pays est en proie à une crise économique importante résultant de la pandémie de Covid-19. Le taux de chômage était ainsi de 25 % au premier trimestre de cette année et atteignait les 50 % chez les jeunes Jordaniens.
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