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Sport

L’affaire du dopage russe, « conflit gelé » aux conséquences durables

L’affaire du dopage russe, « conflit gelé » aux conséquences durables

Star mondiale du saut en hauteur, Mariya Lasitskene, qui participera à 28 ans à ses premiers Jeux olympiques à Tokyo, mène depuis des années la fronde des athlètes russes qui dénoncent l’incompétence de leur fédération engluée dans les affaires de dopage. Mustafa Abumunes/AFP

Bannie des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo pour s’être rendue coupable de dopage institutionnel, la Russie, d’habitude vindicative pour défendre ses intérêts, s’est résignée à faire profil bas, mais sa réputation restera longtemps entachée.

Quand le Tribunal arbitral du sport (TAS) a condamné la Russie à deux ans d’exclusion de toute compétition internationale majeure en décembre 2020, autorisant seulement les sportifs du pays sous bannière neutre, la décision n’a pas déclenché les habituelles déclarations indignées à Moscou. La sanction initiale, proposée par l’Agence mondiale antidopage (AMA), qui estime que la Russie a « manipulé » des données de son laboratoire antidopage pour camoufler des contrôles positifs, était de quatre ans, et de nombreuses voix réclamaient l’expulsion pure et simple des sportifs russes. Stanislav Pozdniakov, le président du Comité olympique russe (ROC), a seulement regretté que la suspension décrétée par le TAS s’applique aussi au président Vladimir Poutine. Quant aux médias ou responsables russes, qui dénoncent depuis le début de cette affaire à rebondissements un complot occidental visant à humilier leur pays, ils restent silencieux. Le 30 juin, dans un discours au Kremlin devant les sportifs russes qui iront aux Jeux de Tokyo, Vladimir Poutine n’a même pas eu un mot sur cette affaire.

« Le conflit est gelé », analyse l’éditorialiste sportif de la radio indépendante Écho de Moscou, Alexeï Dournovo, en référence aux guerres figées et sans fin, nombreuses dans l’espace postsoviétique. « Nous avons accepté une capitulation honorable, qui consiste à concourir sans drapeau et sans hymne. Mais en même temps, nous pouvons nous sentir invaincus car les choses auraient pu être bien pires. »

Tolérance

De fait, si la Russie ne sera pas à Tokyo, les Russes y seront bien présents. Avec 335 sportifs, la délégation – qui concourra officiellement sous le nom du ROC – sera une des plus conséquentes des Jeux. Le ROC a obtenu de remplacer l’hymne russe par une œuvre du compositeur Piotr Tchaïkovski, et la tenue officielle de ses sportifs reprend les couleurs du drapeau national. Le tout avec l’approbation du Comité international olympique (CIO), qui ne pourrait se passer d’un acteur aussi important financièrement et sportivement.

« Il est réellement impossible d’imaginer le mouvement olympique mettre la Russie, la France ou d’autres pays importants à la porte, car il dépend aussi d’eux », reprend Alexeï Dournovo, selon qui, quelles que soient les sanctions, « le CIO tentera de les atténuer ». Une tolérance qui va au-delà des JO. Alors que les sanctions interdisent au pays d’organiser des compétitions, la Fédération internationale de volley-ball (FIVB) a confirmé en juin que le Mondial 2022 aurait lieu en Russie, car il était « légalement et pratiquement impossible » de lui retirer l’organisation. Après Tokyo, les JO d’hiver à Pékin et le début du Mondial 2022 de football sont les deux compétitions majeures que manquera la Russie.

Parallèlement, le pays tente de donner des gages de respectabilité. L’agence antidopage russe (Rusada), au cœur du scandale, a été réformée et rendue indépendante. Des structures ont été créées pour former les entraîneurs et manageurs sportifs de demain. « Cela laisse présager d’une dynamique dans le futur plus conforme aux standards internationaux », témoigne Lukas Aubin, docteur en géopolitique à l’Université Paris-Nanterre, auteur du livre La Sportokratura sous Vladimir Poutine.

Confiance brisée

Reste que les conséquences de cette affaire, qui a démarré avec la révélation en 2015 d’un dopage institutionnel impliquant pendant des années hauts fonctionnaires, agents secrets et fioles d’urine trafiquée, seront durables. « Les cercles du pouvoir essaient seulement de minimiser les préjudices du scandale », estime Oleg Kildiouchov, chercheur au Centre de sociologie fondamentale à Moscou. « Le prestige général du sport russe a été ruiné et toute cette sphère discréditée à long terme. » Selon lui, la confiance entre Poutine et les dirigeants sportifs internationaux, qui ont longtemps eu porte ouverte au Kremlin, est brisée et l’époque où la Russie était candidate tous azimuts à l’organisation d’évènements sportifs est révolue.

Pensée à la fin des années 2000, cette politique de prestige sportif a permis à la Russie d’accueillir les championnats du monde d’athlétisme (2013), les JO d’hiver (2014) ou les Mondiaux de natation (2015) et de hockey (2016), avec en apothéose la Coupe du monde de football (2018). À l’époque, « il était écrit noir sur blanc que le sport devait être utilisé pour améliorer l’image de la Russie, reprend Lukas Aubin. Aujourd’hui, force est de constater que quand on pense sport et Russie, on pense dopage. »

Thibaut MARCHAND/AFP

Bannie des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo pour s’être rendue coupable de dopage institutionnel, la Russie, d’habitude vindicative pour défendre ses intérêts, s’est résignée à faire profil bas, mais sa réputation restera longtemps entachée.Quand le Tribunal arbitral du sport (TAS) a condamné la Russie à deux ans d’exclusion de toute compétition internationale majeure...

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