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Moyen-Orient - Éclairage

Élections irakiennes : Moqtada Sadr joue les trublions

Le puissant clerc a annoncé hier son retrait du scrutin législatif prévu en octobre. Mais d’aucuns y perçoivent une énième pirouette dont il a le secret et qui vise à consolider les gains politiques acquis ces dernières années.

Élections irakiennes : Moqtada Sadr joue les trublions

Une affiche du clerc chiite irakien Moqtada Sadr dans le district de Sadr City à Bagdad, en Irak, le 21 juin 2021. Ahmad Saad/Reuters

Ailleurs, l’annonce trois mois avant la tenue d’un scrutin législatif du retrait de la principale force politique des élections pourrait faire l’effet d’un séisme. Mais en Irak, quelles que soient les déclarations de Moqtada Sadr, plus rien n’étonne venant de lui. Et partisans comme opposants savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’un nouveau revirement d’ici à quelques semaines ou quelques mois. Hier, le puissant clerc chiite à la tête de la coalition Sairoon – bloc le plus important au sein du Parlement – a ainsi affirmé publiquement ne pas avoir l’intention de participer au rendez-vous électoral d’octobre et retirer son appui au gouvernement actuel et à ceux qui lui succéderont. « Afin de préserver ce qui reste du pays et de sauver la nation qui a été brûlée par les corrompus et qui brûle encore, je vous informe que je ne participerai pas aux élections », a-t-il lancé au cours d’un discours télévisé, précisant ensuite retirer sa « couverture à tous ceux qui travaillent avec ce gouvernement, actuel et à venir, même s’ils nous ont prêté allégeance à nous, la famille de Sadr ».

Une démarche qui, a priori, peut sembler incohérente au vu du rapport de forces dans le pays. Car Moqtada Sadr est aujourd’hui le leader le plus influent d’Irak, celui dont la base populaire, même si elle a pu s’effriter à la faveur du soulèvement d’octobre 2019, reste la plus solide, celui qui parvient à manier le plus astucieusement la rhétorique nationaliste chiite, opposé de manière constante à l’occupation américaine du pays et, de façon plus ambiguë, à l’hégémonie de Téhéran. Or le scrutin anticipé prévu en octobre sous l’égide d’une nouvelle loi avait été réclamé, puis adoubé, par les sadristes. Il devrait effectivement favoriser les grands partis traditionnels qui bénéficient déjà d’un ancrage conséquent, puisqu’il faudra à présent plus de voix aux candidats pour remporter la victoire. Un avantage indéniable pour l’homme fort irakien qui avait été le premier à s’exprimer en janvier, lorsque les élections avaient été repoussées du 6 juin au 10 octobre, pour tonner qu’il n’autoriserait pas un autre report de son vivant. En février, il se félicitait même d’une supervision internationale du scrutin.

L’État profond

Certes, ces pirouettes ne sont pas nouvelles. En 2020, il avait d’abord déclaré qu’il ne prendrait pas part aux élections avant de changer d’avis et d’ajouter qu’il prévoyait désormais obtenir la majorité requise pour remporter le poste de chef du gouvernement. De manière plus générale, le clerc est longtemps parvenu à jouer sur tous les tableaux en même temps. Tout au long de la dernière décennie, il a pu à la fois garder un pied au sein du pouvoir – en permettant au mouvement sadriste de participer aux processus électoraux et d’engranger des gains politiques au Parlement comme au gouvernement – et dans l’opposition en menant à plusieurs reprises avant 2019 les mouvements populaires contre les autorités. Exemple emblématique le plus récent : Moqtada Sadr avait soutenu à demi-mot l’intifada d’octobre, une mobilisation inédite qui s’était emparée de Bagdad et du sud du pays, majoritairement chiite, pour contester le régime confessionnel, la corruption endémique, le manque de services publics et la mainmise renforcée sur l’Irak de la République islamique d’Iran. Mais c’était sans compter l’élimination dans un raid américain de Kassem Soleimani – ex-commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne – et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, ex-leader de facto du Hachd, en janvier 2020. Ni une ni deux, le clerc désavoue le soulèvement, appelle ses partisans à déserter les places publiques – lui assenant un coup quasi fatal, avant même la propagation du coronavirus – et érige en priorité suprême le départ des troupes américaines.

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Cette fois-ci, son annonce intervient quelques jours après qu’un incendie a ravagé le service d’un hôpital réservé aux malades du Covid-19, à Nassiriya, faisant près d’une centaine de morts. Plus tôt en avril, le feu avait pris d’assaut une structure similaire à Bagdad et 80 personnes avaient péri. Des épisodes qui alimentent le discrédit de la classe politique à l’approche du scrutin. « L’une des lectures que l’on peut faire, c’est que Moqtada Sadr prend en compte le fait que les élections et la participation à celles-ci donnent une sorte de légitimité au système de quotas et de partage du pouvoir entre les forces politiques traditionnelles qui contrôlent les processus politiques en Irak », estime Ayad al-Anber, professeur de sciences politiques à l’Université de Koufa. « Une deuxième lecture possible, c’est qu’il souhaite mettre dans l’embarras les autres forces politiques et les laisser confronter la rue et assumer leurs responsabilités devant la population », poursuit l’analyste.

Tisser sa toile

Les conséquences de l’initiative de Moqtada Sadr sont pour l’heure difficiles à évaluer, d’autant qu’elle ne signifie pas forcément que les candidats qui lui sont affiliés se rétracteront dans leur ensemble. Mais la démarche semble s’apparenter à une opération « Monsieur propre », à la volonté d’afficher une distanciation très nette vis-à-vis du gouvernement de transition actuel et des illustrations concrètes au quotidien de l’effondrement de l’État. Le leader populiste n’a d’ailleurs pas hésité au cours de son discours hier à fustiger « un plan régional satanique pour humilier l’Irak et le mettre à genoux », motivé par la peur que suscitent ceux qui veulent réformer le pays et éradiquer la corruption. Tout en omettant toute référence au fait qu’au cours de ces deux dernières années, le mouvement sadriste est parvenu à tisser discrètement sa toile pour désormais dominer, loin des regards, l’appareil d’État. Selon plus d’une douzaine de responsables gouvernementaux et de législateurs interrogés par Reuters, dans un article publié en juin dernier, les sadristes ont ainsi pu s’emparer de « positions de haut rang au sein des ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Communications. Ils ont pu faire nommer leurs partisans dans les organismes publics du pétrole, de l’électricité et des transports, dans les banques détenues par l’État et même à la banque centrale ». De quoi avoir développé une emprise sur les finances du pays. Selon une analyse de l’agence, « les ministères où des sadristes ou leurs alliés ont récemment occupé des postes de direction représentent entre un tiers et la moitié du projet de budget irakien de 90 milliards de dollars pour 2021 ». Si les manœuvres à venir de Moqtada Sadr sont imprévisibles, si elles placent le Premier ministre irakien Moustafa Kazimi dans une position délicate, elles semblent surtout pensées comme une tactique contre les rivaux pro-iraniens du clerc, effrayés à l’idée d’un raz-de-marée en sa faveur au cours des élections et rejetant, en réaction, la faillite en direct du pays sur son mouvement. Selon une source proche de Moqtada Sadr citée par Reuters hier, sa décision ferait ainsi suite à une campagne des groupes chiites soutenus par l’Iran visant à « souiller la réputation de “son” mouvement ». Dans de telles circonstances, et alors qu’une grande partie du mouvement d’octobre pense déjà à boycotter le scrutin, les élections pourraient bien être reportées à 2022…

Ailleurs, l’annonce trois mois avant la tenue d’un scrutin législatif du retrait de la principale force politique des élections pourrait faire l’effet d’un séisme. Mais en Irak, quelles que soient les déclarations de Moqtada Sadr, plus rien n’étonne venant de lui. Et partisans comme opposants savent qu’ils ne sont pas à l’abri d’un nouveau revirement d’ici à quelques...

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Partout la corruption et vive la corruption, waw…

Eleni Caridopoulou

20 h 39, le 17 juillet 2021

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Commentaires (1)

  • Partout la corruption et vive la corruption, waw…

    Eleni Caridopoulou

    20 h 39, le 17 juillet 2021

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