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Politique - Focus

Quinze ans après, retour sur une guerre qui a transformé le Hezbollah

Le conflit de juillet 2006 a donné une nouvelle dimension à Hassan Nasrallah et à son parti.

Quinze ans après, retour sur une guerre qui a transformé le Hezbollah

Les destructions dans la banlieue sud de Beyrouth, en août 2006. Photo Mahmoud Tawil

« Si j’avais su… » Le 28 août 2006, Hassan Nasrallah admet que s’il avait su que l’enlèvement de deux soldats israéliens, le 12 juillet de la même année, allait provoquer un conflit de 33 jours avec Israël, il ne l’aurait pas fait. Quinze ans plus tard, le tout-puissant secrétaire général du Hezbollah ne ferait certainement pas la même analyse. Si le parti a tout de suite revendiqué la victoire, Israël n’ayant atteint aucun de ses objectifs de guerre, il n’imaginait pas encore à l’époque à quel point cette confrontation allait le transformer. Le dernier conflit opposant Israël à la formation chiite a eu pour effet de geler le front du Sud, de laisser les mains libres au Hezbollah pour construire sa domination au Liban et de lui donner des ailes dans la région.

Retour en 2006. Quelques mois avant le début de la guerre, Hassan Nasrallah affirme que l’été sera calme. Le leader du Hezbollah cherche-t-il à prendre son ennemi par surprise ou n’a-t-il encore aucune idée de la façon dont les choses vont tourner ? Même quinze ans plus tard, certaines réponses restent floues sur la détermination des deux parties à en découdre cette année-là. D’un côté, on accuse Israël d’avoir voulu cette confrontation militaire, l’État hébreu faisant de la destruction du Hezbollah un de ses objectifs de guerre dès le début des hostilités. De l’autre, on considère au contraire que c’est le parti chiite et son parrain iranien qui ont voulu cette guerre pour des calculs internes et régionaux. A priori, aucune des deux parties ne s’attendait à ce que l’escalade prenne ces proportions. Le 12 juillet, au matin, le Hezbollah annonce la capture de deux soldats israéliens, tandis que trois autres sont tués dans l’opération. Israël lance immédiatement la riposte. Mais les chars envoyés pour récupérer les deux captifs font face à une forte résistance. L’aviation israélienne lance des raids, le Hezbollah répond par une pluie de katiouchas sur la Galilée. Très vite, la situation s’envenime, Israël en faisant une affaire d’État. Mais l’État hébreu se fixe de grands objectifs, la destruction du Hezbollah, avec des moyens limités : des frappes aériennes qui poussent des centaines de milliers de Libanais à fuir, qui détruisent des quartiers entiers, mais qui ont un impact limité sur une organisation largement souterraine.

« Le parti était prêt pour la confrontation »

Depuis le retrait israélien du Liban-Sud en mai 2000, Imad Moghniyé – l’homme fort du Hezbollah côté opérationnel, assassiné à Damas en 2008 dans un attentat imputé à Israël – se prépare à une nouvelle confrontation avec I'État hébreu. Il prend la décision de renforcer toutes les unités militaires, de creuser des tunnels et des zones de sécurité souterraines pour les principaux dirigeants du parti et de construire un système de missiles qui seraient lancés automatiquement depuis les souterrains. Pendant la guerre, Israël est surpris par les tactiques employées par son adversaire. « Le parti était prêt pour la confrontation, l’ennemi ne l’était pas », confirme un cadre du Hezbollah.

Le conflit se déroule dans un contexte local et régional mouvant. Au Liban, la révolution du Cèdre et le départ des troupes syriennes sont perçus comme une menace pour le Hezbollah. Les débats sur la mise en place d’un tribunal international suite à l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri font rage. Sur le plan régional, les négociations nucléaires avec l’Iran ne se passent pas au mieux. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad joue la surenchère alors que Ali Larijani, en charge des négociations avec le comité tripartite international, tente de parvenir à un accord. Deux jours avant la guerre, le 10 juillet, Larijani se rend à Damas pour un entretien avec Nasrallah et des dirigeants du régime syrien. Il les met au courant du fait que les négociations ont capoté et qu’il est désormais nécessaire d’agir. « L’Iran a déclenché la guerre de 2006 pour alléger la pression qu’il était en train de subir de la part de l’administration Bush », assure un homme politique libanais, opposé au Hezbollah. Dans la même logique, les détracteurs de « l’Axe de la Résistance » l’accusent d’avoir voulu ouvrir un front au nord d’Israël alors que ce dernier avait lancé en juin une opération dans la bande de Gaza.

La décision pouvait-elle être uniquement iranienne ? Le Hezbollah reconnaît lui-même que les questions de guerre et de paix relèvent de l’autorité du guide suprême, selon l’idéologie du velayet e-faqih. Mais, sur le terrain, les choses semblent plus nuancées. « Ce genre de décision est pris par les cercles stratégiques à l’intérieur de l’Iran et par le Conseil jihadiste du Hezbollah, dirigé par Nasrallah », assure le cadre du parti chiite cité plus haut. « Hassan Nasrallah, Imad Moghniyé et Moustapha Badreddine (chef militaire du Hezbollah en Syrie et l’un des cinq membres du mouvement chiite accusés par le TSL d’implication dans le meurtre de Rafic Hariri) ont eu un rôle de premier plan dans cette décision, d’autant que Moghniyé entretenait une relation très étroite avec Kassem Soleimani (le commandant en chef de la force al-Qods assassiné en Irak en janvier 2020 par une frappe de drone américaine) », confirme une autre source proche du parti de Dieu. Dans les milieux du Hezbollah, on assure que la guerre est une résultante de la volonté américaine de se débarrasser de la formation chiite. Surtout, on dit avoir été surpris de la réaction israélienne à la capture des deux soldats, une stratégie que le Hezbollah avait déjà employée par le passé. « Les possibilités d’une réponse israélienne avaient été envisagées, mais pas celle d’une guerre globale », dit le cadre du parti. Une autre source au sein de la formation chiite affirme que le Hezbollah avait envisagé une autre option, celle de mener une opération dans le village de Ghajar contre les Israéliens pour tenter de le contrôler.

Des membres du Hezbollah participant à la commémoration de Achoura à Beyrouth. Anwar Amro/AFP

Le Liban, principal perdant

À l’époque, Imad Moghniyé apparaît aussi fort que le secrétaire général du parti. Mais la guerre va donner une nouvelle dimension à Hassan Nasrallah. Ses qualités d’orateur vont en faire un héros régional. Le 15 juillet, il annonce dans un discours la destruction d’un bateau israélien avant de lancer une vidéo qui montre, en direct, une frappe sur le navire en question. Une mise en scène spectaculaire qui marque les esprits, d’autant que personne n’imaginait que le Hezbollah possédait des missiles sol-mer capables de toucher ses cibles avec précision. Tout au long de la guerre, Israël tente d’assassiner Hassan Nasrallah, en vain. Alors que la banlieue sud de Beyrouth est la cible des bombardements ennemis, ce sont Soleimani et Moghniyé en personne qui vont sortir le chef du Hezbollah de son QG et l’escorter dans un lieu sûr. Lors des derniers jours du conflit, Israël bombarde 11 bâtiments dans la banlieue sud, en particulier dans la région de Bourj Brajné, convaincus que Nasrallah se trouve dans l’un de ces bâtiments. « Wissam el-Hassan (le chef des renseignements des Forces de sécurité intérieure de l’époque) avait averti Nasrallah qu’Israël ciblerait ce site, qu’il a quitté, ce qui lui a sauvé la vie », dit une source sécuritaire.

Après 33 jours de combats meurtriers, le conflit prend fin suite à l’adoption de la résolution 1701 au Conseil de sécurité de l’ONU. Les deux parties se satisfont de cette issue, qui leur permet de stabiliser le front grâce au renforcement de la Finul et au déploiement de l’armée libanaise. Le Hezbollah est sorti gagnant de la guerre, même si le Liban en a été le principal perdant (plus de 1 200 morts côté libanais, en grande majorité des civils, et de lourdes destructions). Israël a pour sa part subi une débâcle, dans le sens où l’appareil politico-militaire a semblé complètement dépassé par la résistance de son adversaire.

Cette guerre va transformer le Hezbollah, qui devient un acteur important au niveau régional, mutation qui va prendre encore une autre ampleur avec le déclenchement de la guerre en Syrie en 2011. Surtout, le conflit de 2006 va accélérer la transition au Liban entre la domination syrienne et celle du Hezbollah. À partir de ce moment, les armes du parti chiite vont être tournées vers l’intérieur et vont contribuer à dérégler tout le jeu politique libanais. Cette évolution atteint son pic avec les événements, deux ans plus tard, du 7 mai 2008, quand les miliciens du Hezbollah et de ses alliés occupent Beyrouth par la force. Quinze ans plus tard, l’arsenal du Hezbollah, très largement renforcé, est utilisé en Syrie, en Irak ou au Yémen, tandis que le front du Sud reste relativement calme.

Mais alors que le Liban s’effondre, le Hezbollah semble être arrivé au bout de la logique post-2006. Dans son dernier discours, Nasrallah a admis que le pays souffrait d’une crise systémique. C’est la première fois depuis des années qu’il s’exprime avec des mots qui tendent à indiquer une réalité interne vouée à changer. Alors que les rumeurs d’un grand bargain régional vont bon train, le Hezbollah pourrait être contraint de redéfinir son rapport à l’État. En Irak, les milices paramilitaires ont été en partie intégrées aux forces étatiques. Aujourd’hui, le Hezbollah étudierait toutes ces options, selon une source proche du parti.

« Si j’avais su… » Le 28 août 2006, Hassan Nasrallah admet que s’il avait su que l’enlèvement de deux soldats israéliens, le 12 juillet de la même année, allait provoquer un conflit de 33 jours avec Israël, il ne l’aurait pas fait. Quinze ans plus tard, le tout-puissant secrétaire général du Hezbollah ne ferait certainement pas la même analyse. Si le parti a tout...

commentaires (10)

Super article merci. Quels sont les options dont l'auteur parle en fin d'article ? Cela mériterait un article aussi.

camel

19 h 34, le 12 juillet 2021

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Commentaires (10)

  • Super article merci. Quels sont les options dont l'auteur parle en fin d'article ? Cela mériterait un article aussi.

    camel

    19 h 34, le 12 juillet 2021

  • Le vrais resultat? Presque tous les soit disants chef de guerre de Hassan Nasrallah ont ete elimines au fil des annees. Et lui meme se chache sous terre. Bravo! Quant au Liban lui ne s'est pas releve de ce conflit. Au contraire il continue a sombrer.... Victoire divine......

    IMB a SPO

    18 h 04, le 12 juillet 2021

  • Une analyse qui ne fait ni chaud ni froid dans un pays qui cesse de jour en jour de survivre .

    Antoine Sabbagha

    16 h 46, le 12 juillet 2021

  • Super article Monsieur Mounir Rabih merci. Mais je garde mes commentaires pour ceux qui ne les censurent pas.

    Le Point du Jour.

    16 h 01, le 12 juillet 2021

  • Le si j’avais su était un message aux israéliens comme quoi je ne recommencerai pas ....

    CBG

    15 h 14, le 12 juillet 2021

  • SI J,AVAIS SU ! IL N,Y A QUE LES IDIOTS QUI NE VEULENT PAS COMPRENDRE. BON ARTICLE MONSIEUR RABIH.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 41, le 12 juillet 2021

  • La photo du Hezbollah pire que daesh…

    Eleni Caridopoulou

    12 h 18, le 12 juillet 2021

  • WISSAM EL HASSAN A AVERTI NASRALLAH DE LA FRAPPE ISRAELIENNE DE L,IMMEUBLE OU IL SE CACHAIT POUR LE SAUVER. ON SAIT LA RECOMPENSE QU,A RECU WISSAM EL HASSAN.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 19, le 12 juillet 2021

  • Il faut arrêter avec le mythe selon lequel le parti de dieu est sorti vainqueur de sa confrontation avec les Israéliens... Leur s'est retrouvé six pieds sous terre et l'on a assisté à un véritable exode d'une population qui n'en demandait pas tant. Malheureusement, en raison de la faiblesse de l'état Libanais, ils se sont retrouvés renforcés sur le plan interne en y édifiant un état dans l'état. Et si confrontation il y aura, ils connaîtront une déconvenue au moins égale à la précédente.

    C…

    10 h 01, le 12 juillet 2021

  • « Si j’avais su… » Le 28 août 2006, Hassan Nasrallah admet que s’il avait su que l’enlèvement de deux soldats israéliens, le 12 juillet de la même année, allait provoquer un conflit de 33 jours avec Israël, il ne l’aurait pas fait. Quinze ans plus tard, le tout-puissant secrétaire général du Hezbollah ne ferait certainement pas la même analyse. En fait, cette analyse, il ne l'a jamais faite. Ce "Si j'avais su" vient en contradiction avec une déclaration faite huit jours avant où le milicien en chef disait en substance; "Nous connaissons tous les plans israéliens et nous avons voulu déclencher la confrontation au moment choisi par nous", D'ailleurs qui - et certainement pas HN - aurait pu être assez naïf pour croire qu'à l'enlèvement de deux soldats, Israël se contenterait d'une note de protestation?

    Yves Prevost

    07 h 01, le 12 juillet 2021

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