En dépit du récent ballet diplomatique et des préparatifs annoncés pour l’organisation d’une conférence internationale d’aide à la population libanaise, les différents milieux politiques internes s’entendent sur un seul point : la crise, à la fois politique, économique, sociale et financière, est appelée à se prolonger. Pour certains, elle devrait durer jusqu’à l’automne ou même jusqu’à la fin de l’année, le temps que le paysage international et régional se précise. Pour d’autres, rien ne devrait changer avant le rendez-vous des prochaines élections, prévues au printemps 2022, celles-ci devenant ainsi un moment fondateur du « nouveau Liban », celui de « l’après-classe politique actuelle ».
Autrement dit, dans le meilleur des cas, les Libanais devront faire face à deux ou trois mois difficiles, au cours desquels les problèmes sociaux pourraient s’aggraver, sur fond de crise politique et de colère populaire, et alors que les institutions publiques sont de plus en plus affaiblies.
D’ailleurs, dans ce contexte, un système parallèle est en train de se mettre en place, permettant aux parties étrangères d’aider directement les Libanais, sans plus passer par l’État et ses institutions, pour empêcher, dit-on, « la classe politique » – comme on appelle désormais les différentes parties en charge du pays – d’exploiter ces aides auprès de leurs partisans. La seule institution publique qui continue de bénéficier de l’aide internationale, c’est l’armée libanaise. Mais le soutien qui lui est accordé reste limité, à peine suffisant pour éviter un grand nombre de désertions dues à l’effondrement des salaires et à la réduction des facilités matérielles accordées généralement aux militaires. Ce soutien international persistant montre toutefois une volonté de la part des Occidentaux et de leurs alliés régionaux d’empêcher un retour à la guerre civile au Liban en cherchant à préserver la cohésion de l’armée pour qu’elle n’éclate pas en différents groupes politico-confessionnels, chacun d’eux ralliant le camp en place dans sa région, comme cela avait été le cas dans les années 1975-1976.
Tout le monde est donc d’accord pour estimer que le Liban n’est pas encore au bout du tunnel, mais les responsabilités de la prolongation de la crise diffèrent selon les parties en présence.
Il existe à ce sujet trois approches différentes. D’un côté, il y a ceux qui croient que les « nœuds » au niveau de la formation du gouvernement sont internes et estiment que les responsables du blocage sont soit le camp présidentiel, soit ses adversaires politiques. De l’autre, l’on trouve ceux qui sont convaincus que les obstacles sont externes et que toutes les polémiques locales sont destinées à occuper le temps mort en dressant les Libanais les uns contre les autres pour obtenir des acquis politiques le moment venu.
Le président de la Chambre Nabih Berry est en tête du premier camp, et il ne cesse de répéter que les obstacles à la formation du gouvernement sont intérieurs. Après avoir lancé plusieurs tentatives de médiation, il serait, selon ses proches, convaincu désormais que le chef de l’État et le chef du Courant patriotique libre ne veulent pas du chef du courant du Futur à la tête du gouvernement. Le camp présidentiel fait donc tout ce qu’il peut pour pousser Saad Hariri vers la sortie. Toujours selon les sources proches de Aïn el-Tiné, Michel Aoun et Gebran Bassil chercheraient à renverser les règles établies depuis l’accord de Taëf ainsi que les rapports de force en place en essayant par tous les moyens de contrôler la décision au sein du prochain gouvernement. D’ailleurs, le ton adopté par la chaîne NBN, proche du mouvement Amal, va dans ce sens et fait assumer toute la responsabilité du blocage au chef de l’État et à son gendre, tout en justifiant l’appui de Nabih Berry à Saad Hariri par le souci de préserver l’équilibre confessionnel et celui d’empêcher Michel Aoun de mener le pays dans une nouvelle aventure dramatique.
De son côté, le camp présidentiel est convaincu que l’appui de Nabih Berry à Saad Hariri serait essentiellement dû à la crainte de l’aboutissement du processus de lutte contre la corruption déclenché par l’audit juricomptable. Selon ce camp, plus l’étau se resserre autour du système de corruption installé depuis plusieurs décennies, et plus les polémiques s’enveniment et les échanges deviennent violents. Toutefois, selon les sources proches du camp présidentiel, ce mode de gouvernance serait en train d’agoniser, et même si la situation est aujourd’hui difficile, il ne faut pas lâcher cette chance de jeter les fondements d’un État digne de ce nom.
Face à ces deux approches, il en existe une troisième selon laquelle la crise que traverse actuellement le Liban aurait essentiellement des causes externes. C’est ce qu’a laissé entendre le secrétaire général du Hezbollah lorsque, dans son dernier discours, il avait accusé les États-Unis et leurs alliés d’imposer un blocus au pays et d’être ainsi à l’origine des problèmes qu’il traverse actuellement. Pour les milieux proches du Hezbollah, les États-Unis auraient échoué dans leur plan visant à l’affaiblir militairement (2006), puis politiquement et à travers la provocation de frictions internes, notamment entre les sunnites et les chiites (2008). Ils auraient donc décidé d’utiliser désormais l’arme économique en cherchant à monter les Libanais contre le parti chiite. Ces mêmes milieux établissent un parallèle entre les développements en Irak et ceux qui se déroulent au Liban. Les manifestations populaires ont commencé dans les deux pays à l’automne 2019, et depuis, les crises se succèdent pour pousser le gouvernement irakien à dénoncer les forces d’al-Hachd ach-Chaabi (pro-iranien) et pour isoler le Hezbollah au Liban. En Irak, c’est aujourd’hui la course entre les attaques pour pousser les troupes américaines à quitter le pays et les élections anticipées prévues à l’automne. Au Liban, il s’agit d’aggraver les crises pour que la colère populaire atteigne son apogée au moment des législatives.
Quelle que soit la version retenue, le Liban ne semble donc pas près de se doter d’un nouveau gouvernement.
commentaires (12)
C’est claire le Hezbollah ne veut pas un gouvernent , vous avez compris ou non
Eleni Caridopoulou
20 h 09, le 12 juillet 2021