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Moyen-Orient - Éclairage

En Irak, la crise de l’électricité symbole suprême de la déliquescence de l’État

Les facteurs de l’effondrement sont dénoncés depuis plusieurs années par de larges pans de la population : corruption endémique, manœuvres des groupes armés et emprise de Téhéran sur des secteurs-clés du pays.

En Irak, la crise de l’électricité symbole suprême de la déliquescence de l’État

Un homme connecte des câbles aériens fournissant de l’électricité de générateurs aux foyers et aux entreprises qui peuvent se le permettre à Sadr City, à l’est de la capitale Bagdad, au milieu des pannes de courant et de températures accablantes. Ahmad al-Rubaye/AFP

52 degrés et pas d’électricité. La situation, à elle seule, résume une grande partie des défis cruciaux auxquels l’Irak est confronté depuis de longues années mais dont les manifestations prennent aujourd’hui une tournure bien plus alarmante encore. Vendredi dernier, c’est une coupure totale de courant qui s’est abattue sur Bagdad et les provinces du sud du pays. Selon les données du ministère de l’Électricité le 2 juillet, le réseau irakien générait dans la matinée un peu plus de 4 000 mégawatts, soit bien en-deçà des 12 000 à 17 000 MW produits en moyenne. « Comme chaque année en été, la crise s’aggrave. La différence aujourd’hui, c’est que les niveaux d’approvisionnement en énergie sont inférieurs à ceux de l’an dernier. Dans certaines régions avant, il y avait par exemple de l’électricité pendant deux heures, puis une coupure pendant deux heures. Dans d’autres, deux heures d’électricité pour quatre heures de coupure etc. », rapporte Moustafa Nasser, journaliste. « Mais aujourd’hui, alors que les températures atteignent un pic, il y a eu une coupure totale du système qui a concerné près de 13 ou 14 provinces dans le pays », poursuit-il.

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Corruption endémique, instabilité liée aux manœuvres des groupes armés, hégémonie iranienne, les raisons qui sous-tendent cet effondrement sont nombreuses et soulignent l’impasse dans laquelle se trouve le pays, à quelques mois des élections législatives prévues en octobre.

Du côté du ministère de l’Électricité, on déclare que les lignes de transports d’électricité ont été régulièrement sabotées ces dernières semaines par des groupes inconnus dans le nord de l’Irak. Selon un communiqué, une ligne de 132 kilovolts à Salaheddine, dans le Nord, et une ligne de 400 kilovolts reliant Kirkouk à Qayara ont ainsi été visées jeudi. Plusieurs médias locaux ont par ailleurs mis la panne de vendredi sur le compte de la coupure d’une ligne de 400 kilovolts reliant Bagdad à la province de Babylone dans le Sud. « Les lignes de transmission du ministère de l’Électricité ont subi des attaques terroristes systématiques, que ce soit par des missiles lancés à distance, par des engins explosifs improvisés ou par des tireurs d’élite pour cibler les fils », commente Haïdar Majid, porte-parole du gouvernement. « Ces attaques ont entraîné la destruction de 61 lignes principales de transport d’énergie électrique, et malheureusement elles ont tué sept personnes et blessé onze techniciens et ingénieurs qui travaillent dans ce secteur », poursuit-il.

L’offre et la demande

Pour de nombreux contestataires irakiens, cette illustration radicale de la déliquescence du secteur électrique symbolise ce qu’ils s’époumonent à dénoncer depuis des années, et plus encore depuis le déclenchement de l’intifada d’octobre 2019 : un pouvoir confessionnel, incompétent et corrompu et la mainmise de Téhéran sur des domaines-clés du pays.

Car la crise en question a des airs de farce. L’Irak a beau être l’un des premiers exportateurs de pétrole dans le monde, les gouvernements successifs en place depuis les interventions et occupation américaines de 2003 ont tous échoué à gérer convenablement les ressources qu’il recèle. Au-delà de cette période charnière, réseau et centrales électriques avaient déjà été sérieusement éprouvés par les frappes aériennes occidentales lors de la première guerre du Golfe (1990-91) et tout au long de la même décennie du fait des sanctions internationales.

« L’infrastructure est faible, en particulier celles qui concernent la production, la transmission et la distribution qui n’ont pas été correctement entretenues en raison du manque d’investissement et de la corruption. De plus, très peu de revenus sont collectés sur la facturation et l’approvisionnement varie en raison de facteurs externes tels que l’approvisionnement en gaz des centrales électriques », commente Sajad Jihad, chercheur basé à Bagdad. « De plus, ces dernières années, les températures sont devenues plus extrêmes et la demande continue d’augmenter bien au-dessus de l’offre, le problème est donc devenu plus critique encore », poursuit-il. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, l’Irak est le cinquième pays le plus vulnérable au monde face aux conséquences du changement climatique.

Pour mémoire

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Une enquête parlementaire menée l’an passé par Hassan Karim el-Kaabi, vice-président de la Chambre des représentants, pointe du doigt le gaspillage des fonds alloués à l’électricité, soulignant qu’entre 2005 et 2019, près de 80 milliards de dollars ont été investis dans le domaine sans qu’aucune réelle avancée ne soit notée. Cas d’espèce, l’enquête évoque la décision de l’ancien Premier ministre Nouri el-Maliki, aux commandes entre 2006 et 2014, d’avoir bâti des centrales électriques fonctionnant au gaz, alors que le pays en manque cruellement. La raison ? Les commissions juteuses proposées par les entrepreneurs et qui s’expliquent par le fait que les sous-traitants œuvraient pour des compagnies liées à la République islamique. De quoi contraindre Bagdad à débourser des millions de dollars annuellement à Téhéran pour que celui-ci puisse fournir le gaz nécessaire au fonctionnement des stations. À ce jour, l’Irak a ainsi contracté une dette de 6 milliards de dollars envers l’Iran. Et l’Iran a, en retour, suspendu ses exportations de gaz, pouvant ainsi faire pression sur le Premier ministre irakien, Moustafa Kazimi, forcé, depuis sa prise de fonctions en mai 2020, à un jeu d’équilibriste entre Washington et son rival alors même qu’il tente d’extirper Bagdad du giron iranien en développant les relations diplomatiques et économiques du pays avec d’autres puissances régionales telles que Riyad, Le Caire ou Amman.

Cette incurie gouvernementale structurelle profite en outre à des entreprises qui en font leur miel grâce au commerce de générateurs électriques. Des profiteurs, en somme, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une solution soit trouvée sur le long terme.En 2019, la demande avait atteint un pic de près de 26 GW, soit 58 % de plus que la capacité de production. La baisse sans précédent des prix du pétrole depuis mars 2020 n’a pas permis à Bagdad de payer ses 4,2 milliards de dollars d’obligations mensuelles au secteur public. Les compagnies privées viennent alors en partie combler le fossé grandissant entre l’offre et la demande. Mais leurs générateurs sont coûteux, bruyants, polluants, souvent insuffisants pour faire fonctionner les systèmes de climatisation et régulièrement en proie à des problèmes de surchauffe.Moustafa Kazimi a annoncé vendredi dernier de nouvelles mesures pour sortir du cul-de-sac actuel, dont la mise en place d’une « cellule de crise pour faire face à la pénurie d’électricité à Bagdad et dans les provinces ». Plus tôt dans la même semaine, le ministre de l’Électricité, Majed Mahdi Hantoosh, a présenté sa démission tandis que le chef du gouvernement a ordonné la destitution du directeur général de la Compagnie de transport d’électricité du Haut et du Moyen Euphrate.

Pendant ce temps, la colère gronde dans les rues du pays et, dans certaines villes, les contestataires ont pris d’assaut les centrales électriques. « Le gouvernement a mis en place des politiques et des plans, mais il s’est avéré difficile de garantir des investissements et un fonctionnement efficaces. Le ministère de l’Électricité consomme un budget important pour un faible rendement. Le problème persistera encore un certain temps », avance Sajad Jihad.

52 degrés et pas d’électricité. La situation, à elle seule, résume une grande partie des défis cruciaux auxquels l’Irak est confronté depuis de longues années mais dont les manifestations prennent aujourd’hui une tournure bien plus alarmante encore. Vendredi dernier, c’est une coupure totale de courant qui s’est abattue sur Bagdad et les provinces du sud du pays. Selon les...

commentaires (4)

Avec tout ces fils ils peuvent sécher le linge de toute la ville de façon green! Surtout à 52 deg. Le savoir faire ira-niais envahit l'Irak et le Liban simultanément...

Wlek Sanferlou

02 h 05, le 06 juillet 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Avec tout ces fils ils peuvent sécher le linge de toute la ville de façon green! Surtout à 52 deg. Le savoir faire ira-niais envahit l'Irak et le Liban simultanément...

    Wlek Sanferlou

    02 h 05, le 06 juillet 2021

  • Irak,Syrie,Liban & Yemen un club des pays soumis a l'Iran. C'est du beau ca, merci aux allies des neo persans khamenaistes .

    Gaby SIOUFI

    10 h 26, le 05 juillet 2021

  • Ces pauvres Irakiens qui se situent au même niveau que le Venezuela ou encore le Liban .... Et dire que notre ministre de l'énergie souhaitait acheter du pétrole Irakien !! A quand "the right man at the right place "?

    C…

    09 h 03, le 05 juillet 2021

  • Bassil aurait des émules là-bas?

    Yves Prevost

    07 h 02, le 05 juillet 2021

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