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Lifestyle - Un peu plus

Avoir 20 ans aujourd’hui au Liban

Avoir 20 ans aujourd’hui au Liban

Photo Léa Ghorayeb

J’ai mal pour ceux qui ont 20 ans aujourd’hui. J’ai mal pour eux parce que leurs plus belles années et leur avenir ont été foutus en l’air. Foutus en l’air par des vieux croulants qui ont assuré à leurs enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants un avenir doré sans l’ombre d’un problème. Eux se la coulent douce, dépensant jusqu’à la lie l’argent évadé de leurs parents. La plupart d’entre eux sont à l’étranger où dorment les centaines de milliers de dollars volés par leurs procréateurs sans scrupules. Leurs études, ils les poursuivent. Leurs rêves, ils les chérissent. Leurs vacances, ils en profitent.

Les jeunes Libanais quant à eux sont saignés à blanc. Dans leur chair et dans leur âme. Cette (sur)vie qui leur est imposée aujourd’hui, ils ne l’ont pas demandée. Ils subissent le crime économique commis par une classe politique dont la conscience n’a pas été ébranlée un seul instant. L’avenir de ces enfants, ils s’en contrefoutent, tant que celui de leurs gamins reste à l’abri de tout questionnement. Et pendant qu’ils dînent dans des restaurants guindés toutes lumières allumées, arpentent le sable blanc des plages grecques, font la fête dans des clubs huppés, les jeunes Libanais coincés dans leur pays natal sont plongés dans le noir, suant la nuit parce que les générateurs n’arrivent plus à tenir, croupissent dans des queues interminables pour obtenir de l’essence dont les prix ont augmenté, cherchent en vain des médicaments saisis par les fournisseurs, et comptent péniblement le peu de livres libanaises qu’il leur reste. Certains ne peuvent plus payer les frais de scolarité des universités privées, d’autres (diplômés après 2019) ne peuvent même plus espérer intégrer de grandes écoles à l’étranger, faute de transferts. Quant à ceux qui sont déjà ailleurs, ils se retrouvent à enchaîner des petits jobs pour pallier le manque d’argent de leurs parents, confisqué par le parti des banques. Serveuse, plongeur, femme de ménage, baby-sitter… pour continuer à payer leurs études. Un master que les banquiers considèrent comme étant un luxe (quand ils acceptent de transférer de l’argent, c’est uniquement jusqu’à la licence). Oubliés les PhD, Cambridge, Harvard et consort. Et si ça ne vous plaît pas, allez débrouiller un piston politique pour intégrer l’Université libanaise.

Est-ce la vie à laquelle ils aspiraient? Est-ce une vie tout court ? Une vie faite d’humiliation, de privations, de peur et de désespoir. J’ai mal pour la jeunesse libanaise. J’ai mal pour ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui avaient des étoiles dans les yeux pendant le mois d’octobre 2019. J’ai mal pour ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui ont pris d’assaut les rues des quartiers que la classe politique a fait exploser le 4 août dernier. Pris d’assaut pour aider, nettoyer, épauler, soutenir et prendre le rôle d’un État failli et inexistant. J’ai mal pour ces jeunes-là. Ils ne méritent pas d’être piétinés comme ça. Ils ne méritent pas qu’on leur ait volé leur avenir, leurs rêves, leurs ambitions. Ils ne méritent pas d’être jetés aux oubliettes comme des malpropres. En tuant leur avenir, on tue le Liban. En poussant à l’exil ces jeunes médecins payés 1 200 000 LL par mois par l’UL, ces jeunes enseignants dont la vocation a été éteinte par l’obscurantisme de ceux qui ont la mainmise sur le pays, ces jeunes avocats, architectes, entrepreneurs, designers, journalistes, acteurs, on enterre ce qui fait la force de ce pays : son peuple.

Et on s’étonne ensuite que la violence augmente ? Que les jeunes désemparés de Beyrouth, Tripoli, Saïda, Baalbeck commencent à attaquer les forces de l’ordre? Qu’ils agressent les enfants des politiciens et des banquiers lorsqu’ils savent qu’ils se trouvent quelque part ? Que ressentent-ils quand ils les voient se pavaner dans leur Porsche ou leur Mercedes ? Que ressentent-ils quand ils les voient s’esclaffer au bar d’un club, trois coupes de champagne dans le nez ? Que ressentent-ils quand, sur les réseaux sociaux, ils assistent à l’étalage de leur richesse ? Quand le fils ou la fille de arbore une montre à 3 500 dollars ; vit dans un appartement de 2 millions d’euros payé par papa, qui arnaque le pays depuis une vingtaine d’années; exhibe son diplôme de Yale ; se dandine avec une Hermès au poignet dans les grandes capitales de planète ? Que ressentent-ils quand ils savent que le gros de cet argent que ces privilégiés sans scrupules dépensent allègrement appartient à leur famille ? Que ressentent-ils ? Et que ressentons-nous, nous tous, si ce n’est de la haine, du mépris et de la colère… Si aujourd’hui c’est vieillesse qui peut, bientôt, ce sera vieillesse qui saura que la jeunesse peut. Et beaucoup.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis plus d’un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.

Épisode 15 avec Patrick Daoud sur les étudiants au Liban, diffusé le 25 octobre 2020.

J’ai mal pour ceux qui ont 20 ans aujourd’hui. J’ai mal pour eux parce que leurs plus belles années et leur avenir ont été foutus en l’air. Foutus en l’air par des vieux croulants qui ont assuré à leurs enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants un avenir doré sans l’ombre d’un problème. Eux se la coulent douce, dépensant jusqu’à la lie l’argent évadé de leurs...

commentaires (2)

Hélas et c’est très dur de le dire mais on récolte ce qu’on sème tant que la peur ne changera pas de camps et les fripouilles auront peur de sortir de chez eux alors il n’y a pas d’espoir. Que faudra il de plus que ca pour qu’il y ait une vraie rage incontrôlée. Les révolutions ne se font pas avec des fleurs, et La liberté ne se donne pas elle se prend…

Liban Libre

02 h 32, le 05 juillet 2021

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Commentaires (2)

  • Hélas et c’est très dur de le dire mais on récolte ce qu’on sème tant que la peur ne changera pas de camps et les fripouilles auront peur de sortir de chez eux alors il n’y a pas d’espoir. Que faudra il de plus que ca pour qu’il y ait une vraie rage incontrôlée. Les révolutions ne se font pas avec des fleurs, et La liberté ne se donne pas elle se prend…

    Liban Libre

    02 h 32, le 05 juillet 2021

  • On n’ose même pas envoyer de l’argent à des amis qui ont besoin , par la banque car ils ne le reçoivent pas …

    Eleni Caridopoulou

    19 h 26, le 02 juillet 2021

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