Critiques littéraires

Le Petit Prince et sa Rose

Le Petit Prince et sa Rose

D.R.

Correspondance 1930-1944 d’Antoine et Consuelo de Saint-Exupéry, Gallimard, 2021, 320 p.

On publie la correspondance entre Antoine de Saint-Exupéry et son épouse Consuelo, demeurée inédite depuis tout ce temps. Un formidable document littéraire et une histoire d’amour passionnelle et tourmentée, qui se terminera mal.

À la mort d’Antoine de Saint-Exupéry, le 31 juillet 1944, son avion mitraillé par les Allemands alors que, depuis la Corse, il effectuait une mission de reconnaissance au-dessus de la Provence, le pilote et écrivain célèbre n’avait pas d’enfant, ni rédigé son testament. Même s’il se disait épuisé dans son âme, souffrant de nombreuses blessures dues à de multiples accidents d’avion, désespéré par la guerre qui n’en finissait pas et angoissé par le monde à venir, il n’avait que 44 ans et ne pensait pas disparaître si tôt.

Ses héritiers étaient d’un côté sa famille, menée par sa mère Marie (son père Jean était mort subitement en 1904), de l’autre Consuelo, son épouse depuis 1931. Selon le droit français, les deux parties se partageaient ses droits d’auteur qui, grâce au succès planétaire du Petit Prince (paru aux États-Unis en 1943), se sont révélés considérables, et le droit moral sur son œuvre.

En fait, suite à un accord conclu en 1947, après des manœuvres quelque peu discutables de la veuve, c’est la famille de l’écrivain (sa mère, donc, puis, après sa mort, ses enfants et petits-enfants, la famille d’Agay) qui gèrera seule le droit moral ; les revenus de l’œuvre, eux, étant partagés à parts égales avec Consuelo, laquelle tentera toute sa vie, en vain, de récupérer sa part du droit moral. N’ayant pas d’enfant, c’est son homme de confiance et ayant-droits, José Martinez Fructuoso, récemment décédé, puis son épouse Martine et leurs enfants, qui ont repris ce combat judiciaire, définitivement réglé il y a peu. Les deux « côtés » s’entendent désormais, et des publications communes vont pouvoir être envisagées, dont cette Correspondance 1930-1944, majeure, ne représente pourtant que le premier échantillon.

Pour qu’elle paraisse, il a fallu que la famille Martinez ouvre les fameuses malles que Consuelo a laissées derrière elle, lesquelles contiennent tout ce que Saint-Exupéry avait abandonné à New York, en avril 1943, lorsqu’il est reparti pour cette guerre dont il ne reviendrait pas. Il n’emportait avec lui que quelques objets, livres et manuscrits, dont celui de Citadelle, chef d’œuvre qu’il laissera inachevé, et qui paraîtra, posthume, en 1948, mis en forme par sa grande amie Nelly de Vogüe, l’une des femmes de sa vie. Les malles de Consuelo, dans sa maison de Grasse où elle a longtemps vécu et est morte en 1979, recèlent donc encore de nombreux trésors.

Antoine de Saint-Exupéry, qui gagnait sa vie comme pilote pour l’aéropostale, avait fait la connaissance de Consuelo Suncin Sandoval à Buenos-Aires, en septembre 1930, où il était chef d’exploitation de l’Aeroposta Argentina. Il a alors 30 ans, c’est un écrivain reconnu, qui a déjà publié Courrier sud, en 1926. Vol de nuit suivra, avec succès, en 1931. Il est célibataire. Dans les années 20, il avait failli épouser son amour de jeunesse, Louise de Vilmorin, avec qui il restera lié toute sa vie. Et il avait connu bien d’autres femmes, dont Nelly de Vogüé, toujours passionnément amoureux, de plusieurs à la fois… On a joliment qualifié cela de « fidélités parallèles ». Il en sera ainsi jusqu’à sa mort.

Consuelo, elle, née au Salvador en 1901, peintre et sculpteur, était une personnalité de l’intelligentsia latino-américaine. Elle avait été mariée une première fois, toute jeune, à Ricardo Cardenas, un officier, puis à l’écrivain Enrique Gomez Carillo, en 1926, dont elle était veuve un an plus tard. Entre Antoine et elle, ce fut un coup de foudre, même si le pilote dut emmener la jeune femme faire un tour dans son avion, une nuit, afin de lui demander sa main. Ils se marient à Nice, en avril 1931, mais ne vivront que peu de temps ensemble, d’où le fait qu’ils aient dû échanger tant de lettres.

Dans les années 30, Saint-Exupéry, à cause de son métier, est très souvent en mission à l’étranger, quand il n’y vit pas. De 1938 à 1940, le couple, qui subit de nombreuses tempêtes, vit séparé. Puis, le 31 décembre 1940, l’écrivain, affreusement choqué par la guerre et la défaite de la France, part seul en exil à New York. Consuelo ne l’y rejoindra qu’un an plus tard. Là encore, jusqu’en avril 1943, ils vivront une relation à la fois passionnelle et compliquée, souvent orageuse, passant leur temps à se courir après, se manquer.

Voici leur histoire reconstituée à travers les 172 lettres (cartes postales, télégrammes, etc.) du couple que l’on a retrouvées, enrichie de documents inédits (photos, manuscrits, dessins…) sortis pour la première fois de chez Consuelo, pour la plupart. Les autres lettres ou documents proviennent de collections privées ou publiques. C’est beau, passionnant et pathétique, jusqu’à cette longue et ultime lettre d’Antoine à Consuelo, écrite fin juin 1944 en Sardaigne, mais envoyée le 27 juillet, soit quatre jours avant sa mort. Il y raconte son quotidien, ses missions, ses souffrances aussi. Et redit tout son amour, celui du Petit Prince à celle qui lui a inspiré sa fameuse Rose. Il y évoque aussi sa mort possible : « Ma Consuelo, si je suis tué, je n’en serai triste qu’à cause de vous. » Quelle plus belle déclaration d’amour un homme peut-il adresser à une femme ?


Correspondance 1930-1944 d’Antoine et Consuelo de Saint-Exupéry, Gallimard, 2021, 320 p.On publie la correspondance entre Antoine de Saint-Exupéry et son épouse Consuelo, demeurée inédite depuis tout ce temps. Un formidable document littéraire et une histoire d’amour passionnelle et tourmentée, qui se terminera mal.À la mort d’Antoine de Saint-Exupéry, le 31 juillet 1944, son avion...

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