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Nos Lecteurs ont la Parole

Raymond Eddé, l’incorruptible homme d’État

Trente années de misère ont marqué le peuple libanais. Il est exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci, mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres, gouverné, conduit, mené, surmené, trainé, torturé, chargé de prohibitions, de lois, de codes, de coutumes, écrasé de taxes, de redevances, de banqueroutes, plus bête de somme que nation, et, soudain, en 2019, il se redressa tout à coup, et se mit en tête de demander des comptes aux dirigeants et de liquider ces trente années de misère. Ce fut un grand effort.

À la fin de chaque grande époque, on entend quelque voix dolente des regrets du passé et qui sonne le couvre-feu : ainsi gémirent ceux qui virent disparaître Raymond Eddé. Que ne pourrais-je pas dire à mon tour, témoin oculaire que je suis d’un monde écoulé ? Quand on a rencontré comme moi Raymond Eddé, que reste-t-il à regarder derrière sa tombe ? L’âme manqua à l’univers nouveau sitôt qu’il retira son souffle.

Ce parlementaire émérite, candidat potentiel à la présidence de la République, ressemblait au reproche et à la menace ; tous le considéraient avec une sorte de curiosité où se mêlaient l’inattendu et la fascination ; tous le savaient probe, honnête, intelligent et fort incorruptible.

Lorsqu’il élevait la main, on faisait silence. Alors, on entendait sortir de sa bouche des paroles sublimes. C’était la voix du peuple, qui interpellait, qui accusait, et qui dénonçait à Dieu et aux hommes, toutes les fautes et dates fatales de la République, et qui appelait à grands cris l’avenir l’avenir libérateur. Voilà ce que c’était cet homme, voilà ce qu’il faisait à la tribune du Parlement. À sa parole, qui, par moments, était un tonnerre, préjugés, fictions, abus, erreurs, intolérance, ignorance, fiscalités infâmes, pénalités barbares, autorités caduques, magistratures vermoulues, codes décrépits, lois pourries, tout ce qui devait périr eut un tremblement, et l’écroulement de ces choses commença.

Les Parlements successifs d’antan prônaient la démocratie. On a vu des hommes d’État, de vrais hommes dÉtat, se succéder à la tribune. La vie parlementaire donnait de l’espoir aux Libanais. Camille Chamoun, Rachid Karamé, Fouad Chéhab, Fouad Boutros, Philippe Takla, Élias Sarkis, Édouard Honein, Nouhad Boueiz, Kamal

Joumblatt, Kamel el-Asaad, Pierre Gemayel, Émile Eddé, Magid Arslane, Émile Rouhana Sakr, pour ne citer que quelques-uns, ont montré que le Liban pouvait être un État démocratique à l’instar d’autres grands pays.

Quand on partage les souffrances du peuple et surtout les pauvres, on a le sentiment de l’inégalité sociale ; on n’est pas plutôt monté en voiture que l’on méprise les gens à pied. Les individus extraordinaires sont les monuments de l’intelligence humaine. Raymond Eddé n’a jamais cessé de travailler. L’inaction et l’obscurité lui étaient mortelles.

La destinée de Raymond Eddé était une muse, comme toutes les autres destinées. Retomber de Raymond Eddé et de son temps à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d’une montagne dans un gouffre. De qui et de quoi peut-il être question après un homme pareil ? Comment nommer quelqu’un à la place de Raymond, ce géant de la politique, cet incorruptible homme d’État ?


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Trente années de misère ont marqué le peuple libanais. Il est exploité, pressuré, taxé, taillé, pelé, tondu, rasé, rogné et vilipendé à merci, mis à l’amende indéfiniment pour le bon plaisir des maîtres, gouverné, conduit, mené, surmené, trainé, torturé, chargé de prohibitions, de lois, de codes, de coutumes, écrasé de taxes, de redevances, de banqueroutes, plus bête de...

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