Après des études de cinéma à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA-Beyrouth) puis de scénographie à St Martins (Londres), Nathalie Harb entame une carrière de scénographe et collabore avec l’artiste chorégraphe et danseur Ali Chahrour et plusieurs compagnies théâtrales (dont la compagnie Zoukak). À partir d’une thématique bien définie, le travail de l’artiste consiste à proposer un espace qui correspond à l’histoire narrée et qui engendre une dimension spatiale intéressante. « La scénographie est le potentiel dramaturgique de l’espace et des objets, confie Nathalie Harb, elle me permet de décliner l’espace et de l’appréhender par le biais de différentes disciplines. C’est le même procédé au théâtre, dans une installation, dans une intervention publique ou même dans la création d’objets. La discipline est différente mais l’approche est la même pour réussir à faire émerger une réalité à travers l’espace. Mon métier de scénographe est influencé du fait que j’ai vécu et grandi à Beyrouth. L’abri, durant la période de guerre, fut l’une de mes premières expériences de l’espace, architecturalement très puissant avec un impact psychologique intense, il a marqué toutes mes démarches artistiques. J’essaie de construire des espaces en tension entre deux notions : celles de danger et de sécurité, de précarité et de permanence, de sédentarisme et de nomadisme ou d’exil. »
Construire des espaces éphémères
« Mon travail est un long cheminement et chacune de mes œuvres annonce celle qui suit. Je construis des espaces éphémères et je travaille sur la notion de safe space. » Deux projets dans un espace public verront le jour : Silent Room, qui a représenté le pavillon libanais à la London Design biennale, est une installation où elle tente de réfléchir au concept d’abri urbain. « Un endroit pour se soustraire à l’information, définit-elle, pour se retirer du flux d’informations auditives, visuelles et sensorielles. » Quant à Urban Hives, ce sera « une intervention publique qui introduit des espaces verts dans les parkings en proposant une structure modulaire à faible coût, qui s’élève au-dessus de la hauteur de la voiture, offrant une zone ombragée pour le stationnement en dessous et un espace de jardin au-dessus ». Invitée en résidence à la Cité internationale des arts à Paris depuis octobre, Nathalie Harb décide d’explorer l’espace intime plutôt que l’espace public. Elle rencontre Benoît Piéron, un artiste français ayant toujours vécu avec une maladie chronique et dont la démarche est une pratique artistique de survie. Piéron a fait de l’univers hospitalier son écosystème, s’intéresse aux frontières du corps et à la temporalité des salles d’attente, pratique le patchwork avec les draps réformés des hôpitaux et dessine des papiers peints. Intéressés par leurs travaux mutuels, Nathalie Harb et Benoît Piéron vont, au cours d’une longue conversation étalée sur plusieurs mois, se trouver des intérêts communs au sein de leur pratique artistique. Leurs échanges donneront naissance à une installation sous le titre de Seconde Peau présentée dans la petite galerie de la Cité internationale des arts. Pour les deux artistes, elle représente une mise en espace d’une conversation à travers des élément construits ensemble.
Toucher et écouter
Après avoir assisté au symposium « Open Source Body » sur les rapports de l’art et la santé, la médecine et les pratiques de soins, les deux artistes réfléchissent sur la notion des soins prodigués par les mains et se penchent sur ces communautés invisibles placées en première ligne : les infirmières, les caissières, les éboueurs et tous ceux, invisibles, qui ont procuré des soins durant cette pandémie. Avec un dénominateur commun : la notion de contact et le travail des mains.
L’artiste libanaise s’est d’abord penchée sur ce qui fait la notion de « foyer » (Home) dans notre corps et dans les espaces qui l’accueillent. « Suivant que vous l’utilisez en français, en anglais ou en arabe, dit-elle, ce terme ne revêt pas toujours le même sens. En anglais, cela peut indiquer la maison, le pays ou une personne qui vous est chère : I am going home, You are my home. En langue arabe, pas de confusion possible. Quant à la langue française, c’est peut-être le chez-soi, la ville. » Et d’ajouter : « Alors, lorsque contraints à l’exil, il nous faut tout abandonner, que reste-t-il des murs qui nous protègent, de l’espace qui a nourri nos rêves et nos souvenirs, comment récupérer ses repères et les déterminer ? »
Pour l’artiste, la couverture est le premier et le dernier espace qui demeure. « Pour moi, elle est la couche la plus proche du corps, c’est un objet nomade qui est à la limite de ce qui reste de la maison, de la chambre et des murs. Elle est aussi la couverture matelas que l’on déroule le soir pour dormir dans les maisons rurales et qu’on enroule au petit matin. Plutôt que de la travailler à la manière traditionnelle de son pays, la couverture matelas suspendue par l’artiste est agrémentée de coutures aux formes géométriques ; il suffit de s’approcher pour découvrir le sens des broderies qui la traversent, ce sont les plans des chambres dans lesquelles l’artiste a vécu.
Quant à Benoît Piéron, il a transformé les tissus récupérés des hôpitaux, couvertures ou rideaux de séparation dans les chambres. Tissés avec beaucoup de soin, ils sont assemblés en patchwork. Pour lui, cet assemblage a cette particularité intéressante qu’il n’a ni début ni fin, c’est une façon de nier la binarité, la vie/la mort, la maladie/la non-maladie. Entre les deux œuvres en tissu des artistes se dresse une colonne faite d’une superposition de blocs de savon. Elle renvoie à la notion de soins. Les briques placées en tension entre le plafond et le sol, comme une tour, un totem ou une relique, constituent une structure fragile qui représente l’idée de l’impossibilité de toucher les choses ou d’y laisser son empreinte.
Une métaphore sur le manque
Leur installation n’est pas que visuelle, elle est aussi sonore. De sa fenêtre tous les soirs, Nathalie Harb assistait à un rituel. Une trappe dans la rue, mise à la disposition des sans-abri, leur servait de rangement pour leurs couvertures et leurs sacs de couchage. Ils venaient chaque soir déverrouiller cette trappe pour sortir leur matériel et rentrer se coucher dans un couloir à l’intérieur de la Cité, avec l’accord des directeurs de cette dernière. Ainsi, de 19h à 7 heures, l’espace leur appartenait. Nathalie va enregistrer le bruit de la trappe qui s’ouvre et se referme comme un métronome qui se répète et qui rythme les nuits.
En observation pour une nuit dans sa chambre d’hôpital, Benoît Piéron enregistre à son tour le bruit des machines branchées à son corps qui déterminent son état et attestent des soins prodigués.
Dans cet environnement commun, créé pour l’espace de la Petite Galerie, ces deux bandes sonores ont accompagné le visiteur invité à entrer avec les deux artistes dans leur monde de textiles et de savon.
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