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Aux sources de « l’État inachevé »

Aux sources de « l’État inachevé »

© Ieva Saudargaité Douaihi, in Beyrouth ville nue, Medawar édition/L'Orient des Livres, 2019.

Un siècle… Un peu plus de cent ans que les Libanais vivent une crise existentielle chronique à la recherche d’une identité perdue qui déterminerait la place et le rôle du Liban dans cette partie du monde. Un siècle qu’ils tentent d’édifier un État rassembleur, capable de bonne gouvernance.

Dans un chapitre au titre particulièrement révélateur, « L’Etat inachevé » – le texte de ce chapitre reprend la teneur d’une conférence donnée par l’auteur à Paris en décembre 1995 –, Nawaf Salam retrace avec lucidité les racines historiques et sociocommunautaires des failles qui ont empêché, ou tout au moins fortement entravé, jusqu’à ce jour, l’émergence d’un pouvoir central légitime, efficace, maître de ses décisions et bénéficiant d’une stabilité durable.

Prenant pour point de départ la proclamation du Grand Liban, l’auteur relève d’entrée de jeu la fronde des habitants musulmans, notamment sunnites, des régions rattachées en 1920 au territoire de la Moutassarifya, qui avaient très mal accueilli le projet du Grand Liban, prôné essentiellement par les maronites. Les Français venaient de faire subir une défaite décisive à l’armée du roi Faysal à Maysaloun, anéantissant par le fait même l’idée de Royaume arabe sous la conduite de Faysal, appuyée par les musulmans et que les Britanniques s’étaient engagés à soutenir en contrepartie d’un soulèvement arabe contre l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne.

D’emblée, la nouvelle entité libanaise proclamée par le mandat français était placée sous le signe d’un libanisme à connotation maronite et était perçue par les musulmans, à tort ou à raison, comme un pays « pour les chrétiens ». D’où la fronde des musulmans sunnites qui iront jusqu’à refuser la carte d’identité libanaise et même la participation aux consultations entreprises en 1926 en vue d’avaliser le projet de Constitution, souligne Nawaf Salam qui relève que cette contestation était due à un profond sentiment d’amertume et de frustration manifesté par les musulmans qui avaient du mal à accepter d’avoir été détachés de leurs coreligionnaires et rattachés à un État placé sous l’autorité de ceux-là mêmes qui avaient brisé leur rêve de royaume arabe.

Un tel ressentiment sera tenace et il faudra attendre que les musulmans finissent par admettre, au fil des ans, que les projets d’union arabe ou syrienne ne sont que chimère et qu’ils adhèrent par conséquent à l’idée d’un Liban indépendant. Une entente devint alors possible entre chrétiens et musulmans, indique l’ancien ambassadeur, ce qui débouchera sur le Pacte national de 1943 aux termes duquel les musulmans renonçaient aux velléités d’union arabe ou syrienne et les chrétiens à toute protection occidentale, le partage du pouvoir sur une base confessionnelle étant régi par la « formule libanaise ». Les fondements de l’indépendance de 1943 étaient ainsi définis.

Une fois close la question de l’existence même de l’entité libanaise, les différends internes porteront sur la place des communautés au sein de l’État, ce qui posera le problème du fondement du système confessionnel. L’ancien ambassadeur souligne à cet égard que c’est ce conflit sur la répartition confessionnelle des fonctions publiques qui a affaibli l’État.

La teneur du chapitre sur « L’État inachevé » reprenant une conférence donnée en 1995 en pleine occupation syrienne, il est compréhensible que l’auteur ait limité son analyse aux facteurs internes qui ont miné le pouvoir central sans aborder de façon plus élaborée la stratégie de sape de la souveraineté et de l’autorité de l’État mise en place, d’abord par l’OLP à partir de la fin des années 60, puis par le régime Assad bien avant l’occupation syrienne, dès 1973 lorsque Damas fera pression sur le président Sleiman Frangié pour stopper l’opération menée par l’armée libanaise en réaction aux atteintes répétées à la souveraineté par les organisations palestiniennes.

Cette stratégie de sape de l’autorité de l’État sera reprise, d’une manière plus professionnelle et pernicieuse, par le Hezbollah après le retrait syrien de 2005 afin de servir les visées régionales de l’Iran. Pendant un peu plus de cinquante ans – sur les 100 ans d’existence du Grand Liban –, le pays a été ainsi confronté à des actions délibérées menées par les forces régionales ou leurs acolytes locaux afin de rendre, précisément, l’État « inachevé », ce qui relègue objectivement au deuxième plan le facteur inhibiteur confessionnel.

Dans sa conclusion, Nawaf Salam prône l’édification d’un État « capable de transcender les communautés ». Mais pour que l’État ne soit pas en confrontation avec les réalités profondes du tissu social libanais, la solution résiderait dans une formule conciliant la nécessaire efficacité de l’État et la non moins nécessaire participation des communautés au pouvoir, loin des interférences étrangères destructrices et intentionnellement déstabilisatrices.


Un siècle… Un peu plus de cent ans que les Libanais vivent une crise existentielle chronique à la recherche d’une identité perdue qui déterminerait la place et le rôle du Liban dans cette partie du monde. Un siècle qu’ils tentent d’édifier un État rassembleur, capable de bonne gouvernance.Dans un chapitre au titre particulièrement révélateur, « L’Etat inachevé »...

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