Critiques littéraires Bande dessinée

Après-guerre états-unienne

Après-guerre états-unienne

L’Homme qui tua Chris Kyle de Fabien Nury et Bruno, Dargaud, 2020, 164 p.

Kent State de Derf Backderf, traduit de l’anglais (américain) par Philippe Touboul, éditions Ça et Là, 2020, 288 p.

Deux albums de bande dessinée sortis récemment traitent de la société des États-Unis à travers le souvenir de deux événements liés aux guerres menées par les administrations américaines. Les éditions Ça et Là proposent d’abord une traduction du Kent State de l’auteur américain Derf Backderf. Les éditions Dargaud, quant à elles, publient L’Homme qui tua Chris Kyle, un récit de Fabien Nury et Bruno.

Avec Kent State, Derf Backderf revient sur les événements du 4 mai 1970 durant lesquels d’importantes manifestations estudiantines contre la guerre du Vietnam, à l’université de Kent State, aboutirent à l’intervention de la Garde nationale qui s’acheva par la mort de quatre étudiants.

L’album est le fruit d’un long travail d’enquête. Sa réalisation, étendue sur plus de trois ans, permit à l’auteur de densifier le récit et de consacrer la majeure partie de ce copieux ouvrage à raconter les semaines qui ont précédé le drame. Ce qui est frappant dans la manière de Backderf est que suite à ce long travail de recherche, il parvient à produire un récit qui évite l’écueil du reportage froid : ses personnages sont incarnés, sa plongée dans la réalité estudiantine est troublante de vie. Et pourtant, chaque scène semble bâtie sur un socle documentaire sans faille, qui aurait pu, dans d’autres mains, aboutir à un récit bien plus académique. Son trait, qui doit tout aux courants undergrounds, participe à ancrer le récit dans une atmosphère de contre-culture qui fait écho aux mouvements de contestations.

Après le troublant Mon ami Dahmer, Derf Backderf prouve une nouvelle fois sa capacité à traiter de sujets sensibles avec densité, documentation, mais sans pincettes.

De son côté, L’Homme qui tua Chris Kyle s’intéresse au meurtre d’un vétéran de l’armée américaine, survenu en 2013.

Sniper durant la guerre d’Irak, Chris Kyle est connu pour être le soldat de l’armée américaine ayant à son actif le nombre le plus grand de victimes dans le camp adverse. Héros pour certains, soulevant des sentiments mitigés chez d’autres, il consacra ses années de retour aux États-Unis à proposer des aides aux vétérans troublés par leur expérience sur le terrain. Il fut assassiné par l’un d’eux, qu’il venait de recueillir.

La particularité de l’album est d’adopter successivement le point de vue de Chris Kyle, son épouse puis son assassin, tout cela sur un ton qui se veut réfléchi mais sans jugement. Un exercice d’équilibriste que Fabien Nury relève avec brio. Il faut dire que ce n’est pas la première fois qu’il s’attaque à des personnalités troubles et dont l’héritage éthique fait débat, lui qui avait écrit une série intitulée Il était une fois en France, mettant en scène le destin de Joseph Joanovici, ferrailleur juif qui, durant la Seconde Guerre mondiale, fut à la fois proche de l’occupant et de la résistance.

Kent State et L’Homme qui tua Chris Kyle sont deux albums qui se rejoignent dans leur manière de parler plus largement, à travers un événement précis, d’une société sensiblement fracturée.

L’Homme qui tua Chris Kyle de Fabien Nury et Bruno, Dargaud, 2020, 164 p.Kent State de Derf Backderf, traduit de l’anglais (américain) par Philippe Touboul, éditions Ça et Là, 2020, 288 p.Deux albums de bande dessinée sortis récemment traitent de la société des États-Unis à travers le souvenir de deux événements liés aux guerres menées par les administrations américaines. Les...

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