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Moyen-Orient - Éclairage

De Gaza à Doha, le leadership à plusieurs têtes du Hamas

De Yahya Sinouar à Ismaïl Haniyé, les hommes forts du mouvement islamiste au pouvoir à Gaza depuis 2007 incarnent cette culture institutionnelle qui place la « cause collective » au-dessus du culte des personnes.

De Gaza à Doha, le leadership à plusieurs têtes du Hamas

Yahia Sinouar (centre droit) et Ismaïl Haniyé (centre gauche), lors d’un événement à Gaza. Photo AFP

Ils sont géographiquement éparpillés entre Gaza, la Cisjordanie, les prisons israéliennes et l’extérieur. Ils opèrent dans la clandestinité, ne se montrant que rarement ou jamais en public. Et ils font preuve d’une réserve qui les distingue d’autres mouvements palestiniens comme le Fateh, historiquement plus centré autour de figures charismatiques de premier plan. Les leaders du Hamas n’occupent pas un espace médiatique à la mesure du poids régional que le mouvement islamique a acquis au cours des dernières décennies, particulièrement depuis sa prise de contrôle dans la bande de Gaza en 2007. Pour comprendre pourquoi, il faut revenir sur l’ADN politique du mouvement, qui s’organise selon une hiérarchie spécifique et autour de valeurs donnant la part belle au collectif et à la culture du consensus.

Créé en 1987 à l’initiative de sept membres des Frères musulmans palestiniens, dont l’influent cheikh Ahmad Yassine, l’organisation est peu encline à l’émergence de personnalités qui pourraient incarner le groupe. « Le Hamas place le capital humain du mouvement et l’organisation au-dessus de n’importe quel individu. Et ça n’est pas près de changer », analyse Imad Alsoos, chercheur à l’Institut Max Planck, en Allemagne.

Pas de Yasser Arafat donc : la cohésion du parti repose au contraire sur des mécanismes de vote et des accords internes. En 2017, une majorité soutient ainsi l’adoption d’une nouvelle charte marquant un « tournant idéologique important, autour de la légalité internationale de la lutte armée », explique Leila Seurat, chercheuse associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (OMAM) de l’Université libre de Bruxelles (ULB). « Le nouveau document politique est certes l’œuvre de l’ancien leader Khaled Mechaal, mais il a été adopté de manière consensuelle », poursuit cette dernière.

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Si la coloration politique demeure relativement homogène, les divergences ne sont évidemment pas inexistantes. Elles peuvent être liées à des désaccords interpersonnels ou au contexte propre à chacun des acteurs. « En vivant à Damas (jusqu’au déplacement du leadership extérieur à Doha en 2011, NDLR), certains dirigeants étaient tenus de faire attention afin de préserver le soutien du pays hôte : des impératifs ponctuels d’ordre conjoncturel, mais qui ne sont pas nécessairement liés à une différence idéologique avec d’autres membres vivant ailleurs », observe Leila Seurat.

Sinouar « décide de la guerre et de la paix »

Cette structuration propre au Hamas n’a pourtant pas empêché la montée en puissance de leaders qui disposent d’un pouvoir décisionnel doublé d’un solide ancrage populaire. Yahia Sinouar, Ismaïl Haniyé, Mohammad Daïf ou encore Marwan Issa : ils font partie de ces hommes forts qui, à différents niveaux, pèsent aujourd’hui dans les grandes décisions.

Yahia Sinouar, élu à la tête de leadership de Gaza en 2017 puis réélu cette année, est considéré comme celui qui « décide de la guerre et de la paix », avance Leila Seurat. Issu de la branche armée dont il est l’un des fondateurs, il incarne l’inévitable imbrication du politique et du militaire. À l’origine d’une « stratégie de diversification des moyens armés », il est celui qui est parvenu à « inverser le rapport de force en imposant une force de dissuasion poussant Israël à concéder un assouplissement du blocus », poursuit la chercheuse. Quant à Ismaïl Haniyé, l’ancien leader en exil au Qatar depuis plusieurs années, il est le visage public, celui qui permet au mouvement de développer son réseau et de se faire une place sur la scène régionale et internationale, en dépit de l’isolement diplomatique.

L’un des grands avantages de ce leadership à plusieurs têtes est qu’il permet d’assurer des allégeances complémentaires, notamment vis-à-vis des puissances extérieures alliées, indispensables à la survie du mouvement. Ismaïl Haniyé, ainsi que l’ancien chef du mouvement Khaled Mechaal, tous deux basés au Qatar d’où ils maintiennent une présence précieuse leur permettant entre autres d’assurer les financements en direction de Gaza. À l’inverse, Yahia Sinouar ainsi que Marwan Issa, considéré comme le chef militaire effectif suite aux blessures de Mohammad Daïf, sont proches de l’Iran avec qui ils entretiennent des liens militaires de longue date. « Grâce à ces représentants de la branche armée, le Hamas a pu préserver ses relations, notamment en 2012, lorsque Mechaal avait prononcé des discours hostiles à la République islamique, provoquant une crise diplomatique », estime Leila Seurat. « La force de Sinouar, qui s’est renforcé grâce au lien qu’il entretient avec Téhéran, tient aussi à cela », ajoute cette dernière.

Haniyé, l’homme de la conciliation

Le parcours individuel de ces poids lourds joue également un rôle décisif qui explique en partie la place qu’ils occupent aujourd’hui. « Dès 2012, de plus en plus de membres du Hamas ont commencé à soutenir Sinouar, à parler de son importance en tant que leader historique qui a contribué à imposer la présence du mouvement à l’intérieur des prisons israéliennes et à mettre en place l’appareil militaire », observe Imad Alsoos.

Tous ont en commun d’être en première ligne du combat et d’avoir souffert jusque dans leur chair de leur engagement pour la libération de la Palestine. Sinouar, qui a été libéré dans le cadre d’un accord d’échange avec l’État hébreu en 2011 après avoir passé 15 ans dans une prison israélienne, vient d’échapper à une frappe touchant son domicile à Gaza lors du dernier cycle de violence entre Israël et le Hamas, du 10 au 21 mai. Ismaïl Haniyé, qui a également survécu à trois tentatives d’assassinat, a été contraint de s’exiler, entre autres pour protéger sa vie. Mohammad Daïf, l’actuel chef de la branche militaire à Gaza, est l’un des dirigeants les plus recherchés par Israël depuis plus de 25 ans. Il a survécu à au moins sept tentatives d’assassinat, dont il sort physiquement atteint, et qui coûteront la vie à sa femme et à plusieurs de ses enfants.

Les leaders du mouvement savent capitaliser sur ces politiques d’élimination pour en tirer une légitimité populaire. Mais les parcours et personnalités respectifs jouent également un rôle dans leur ascension. « Le mouvement se caractérise par une forte mobilité interne : grâce au processus électoral, un membre peut occuper un rang moyen, devenir officier, puis occuper un rang de leader. » Les cadres sont donc issus de milieux divers. « Des mécanismes qui correspondent à la personnalité d’un Sinouar, qui ne vient pas de l’appareil socio-politique mais des rangs sécuritaires », ajoute Imad Alsoos.

Dans le cas d’Ismaïl Haniyé, figure religieuse qui a gagné en stature au fil des dernières années, ce sont plus spécifiquement les traits de caractère qui sont venus au service du parcours militant. « Haniyé a une manière diplomatique de parler, il a un tempérament de sang-froid », observe Imad Alsoos. Ancien joueur de football originaire du camp de réfugiés d’al-Chati, il est réputé pour avoir une personnalité agréable. « Malgré toutes les hostilités, il n’a jamais eu un mot dur pour le Fateh. Il a toujours été l’homme de la conciliation. Et c’est ce qui lui a permis d’émerger comme leader à Gaza, puis en tant qu’architecte de la réconciliation avec le Fateh », poursuit le chercheur. Contrairement à d’autres cadres du parti, notamment Mahmoud al-Zahar, réputé comme étant davantage dans la confrontation. À l’heure où l’un des enjeux majeurs demeure l’unité politique entre Gaza et Ramallah, ces traits de caractère sont voués à avoir un impact décisif.

Les frappes israéliennes sur Gaza pourraient constituer des crimes de guerre, selon une responsable de l’ONU
Les frappes israéliennes sur la bande de Gaza pourraient constituer des crimes de guerre, a affirmé hier la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, en soulignant qu’elle n’avait pas reçu de preuve que des bâtiments visés étaient utilisés à des fins militaires. « S’il s’avère que l’impact sur les civils et les objets civils est indiscriminé et disproportionné, cette attaque peut constituer un crime de guerre », a déclaré Michelle Bachelet à l’ouverture d’une réunion extraordinaire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. « Cette escalade (qui a éclaté le 10 mai) est directement liée aux protestations et à la réponse musclée des forces de sécurité israéliennes, d’abord à Jérusalem-Est puis dans l’ensemble du territoire palestinien occupé et en Israël », a souligné Mme Bachelet. Elle a souligné que les tirs de roquettes lancés par le Hamas « sont aveugles et ne font pas de distinction entre les objets militaires et civils, et leur utilisation constitue donc une violation manifeste du droit humanitaire international ». Quant aux frappes aériennes israéliennes sur Gaza, a-t-elle dit, elles ont fait « de nombreux morts et blessés parmi les civils, et engendré des destructions et des dommages à grande échelle sur des biens civils ». La haute responsable onusienne a également fait remarquer que le fait d’implanter des moyens militaires dans des zones civiles densément peuplées ou de lancer des attaques à partir de celles-ci constitue une violation du droit humanitaire international. « Il ne fait aucun doute qu’Israël a le droit de défendre ses citoyens et ses résidents. Cependant, les Palestiniens ont aussi des droits. Les mêmes droits », a insisté Mme Bachelet.
Ils sont géographiquement éparpillés entre Gaza, la Cisjordanie, les prisons israéliennes et l’extérieur. Ils opèrent dans la clandestinité, ne se montrant que rarement ou jamais en public. Et ils font preuve d’une réserve qui les distingue d’autres mouvements palestiniens comme le Fateh, historiquement plus centré autour de figures charismatiques de premier plan. Les leaders du...

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