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Lifestyle - Un peu plus

Douce-amère Beyrouth

Douce-amère Beyrouth

Photo Bigstock

Beyrouth a toujours été une ville de contrastes. À la fois belle et laide, meurtrie et vivante, jeune et vieille. Beyrouth est une femme. Elle se pare parfois de ses plus beaux atours, se démaquille, vibre, se fatigue, resplendit et s’éteint. Comme l’a magnifiquement dit Nadia Tueni, « Beyrouth est mille fois morte, mille fois revécue », mais aujourd’hui, elle peine à ressusciter.

Après le 4 août 2020, Beyrouth a revêtu le voile du deuil. Elle s’est recroquevillée sur elle-même. Elle souffre en silence dans le tintamarre de ses rues. Beyrouth s’est tue, et malgré le vrombissement des voitures et le ronflement des marteaux-piqueurs, elle reste muette. Comme si elle n’avait plus rien à dire. Pourtant, au détour de certaines de ses artères, on entend le rythme de son pouls. Les terrasses et les bars ont rouvert, et les Libanais ont regagné ces endroits qu’ils chérissent depuis toujours. Mais l’ambiance est étrange. Malgré les rires, les cocktails sur les tables et les cigarettes grillées dans les cendriers, souffle ce pénible vent de tristesse.

Depuis l’explosion, je n’étais pas sortie dans Beyrouth. Je n’y arrivais pas. Je l’ai fait quelques fois à peine, mais hors la ville. Là où rien ne me rappelait ce jour funeste. Ce jour qui a pris une partie de mon âme. À moi comme à un grand nombre de Libanais. J’avais préféré, l’espace de quelques heures, sentir l’odeur de l’herbe mouillée ou celle du sable humide, plutôt que les effluves lugubres qui suintaient encore des murs beyrouthins. Mais la semaine dernière, lorsque le soleil est apparu, donnant l’impression que l’air était plus doux, j’ai enfin parcouru les trottoirs de cette ville que j’aime tant. J’ai ressenti son cœur battre. Difficilement, de façon arythmique, mais il bat. Et contrairement à ce que j’aurais pu penser, ça m’a fait du bien.

Ça m’a fait du bien de croiser des gens que je n’avais pas vus depuis plus d’un an, depuis le confinement. Ça m’a fait du bien de cogner mon poing sur les leurs, de percevoir leur sourire derrière leurs masques, de leur demander comment ils vont, même si au fond, leur réponse, on la connaît déjà. Ça m’a fait du bien de boire un verre sans penser à notre situation si précaire et de bavarder de sujets autres que le dollar, le vaccin, l’exil, la formation du gouvernement repoussé aux calendes grecques, les prix, et si par hasard la conversation revenait sur un de ces thèmes, il était abordé avec humour. Cette légèreté m’a manqué. Elle est venue contrecarrer la douleur écrasante que l’on sent perceptiblement lorsqu’on sort de chez soi. Cette douleur dans les yeux des habitants devant le prix exorbitant des produits éparpillés sur les étals. Dans leurs yeux quand la pharmacienne leur dit que le lait pour leur bébé est indisponible ou quand ils réalisent qu’ils ne peuvent plus payer leur insuline. Dans leurs yeux quand ils rentrent dans leur immeuble où les portes et les fenêtres sont toujours fêlées et le mobilier endommagé par le double assassinat de leur ville.

Beyrouth est aujourd’hui amère et douce. L’odeur du jacaranda embellit à nouveau ses rues, tentant de recouvrir celle des ordures. Les pavés vacillent à côté d’un trottoir parfaitement lisse. Une Mercedes flambant neuve cherche à dépasser une moins jeune faisant office de service. Un groupe de jeunes rit aux éclats devant les facéties d’un de leurs potes en passant à côté d’une grand-mère marchant à l’aide de sa canne. Le petit dekkené du coin essaye de concurrencer le Spinneys de la rue perpendiculaire. Le bruit d’un chantier d’immeuble cache le son des cloches de l’église adjacente et les quartiers les plus atteints par l’explosion du port reprennent lentement leurs couleurs.

Ces quartiers-là ont quelque chose de troublant. Ils sont rassurants et dérangeants. Ça met du baume au cœur de voir les établissements rouvrir leurs portes après tant de souffrance(s). Ça met du baume au cœur de réaliser une fois de plus que la vie est plus forte que la mort, même si sa présence est palpable. Ça met du baume au cœur de savoir qu’en renaissant de la sorte, c’est un immense doigt d’honneur que ces quartiers font à nos dirigeants. Mais l’absence de justice est omniprésente, sournoise, comme un crachat dans la figure. Sauf que Beyrouth, si elle est mille et une fois morte, elle sera mille et une fois revécue.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis bientôt un an avec Mouïn Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.

L’épisode de la semaine : Shaden Fakih

https://youtu.be/iR-Kew4-Dus

Beyrouth a toujours été une ville de contrastes. À la fois belle et laide, meurtrie et vivante, jeune et vieille. Beyrouth est une femme. Elle se pare parfois de ses plus beaux atours, se démaquille, vibre, se fatigue, resplendit et s’éteint. Comme l’a magnifiquement dit Nadia Tueni, « Beyrouth est mille fois morte, mille fois revécue », mais aujourd’hui, elle peine à...

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Requiem pour un pays…….

Robert Moumdjian

08 h 38, le 28 mai 2021

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Commentaires (1)

  • Requiem pour un pays…….

    Robert Moumdjian

    08 h 38, le 28 mai 2021

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