Le vote au Liban à l'élection présidentielle syrienne se déroulait jeudi dans une ambiance tendue, plusieurs accrochages ayant eu lieu entre des Libanais vraisemblablement proches des Forces libanaises et des Syriens partisans du président Bachar el-Assad, dont la réélection est acquise. Les échauffourées, enregistrées en plusieurs points du territoire notamment dans des régions à majorité chrétienne, ont fait plusieurs blessés, alors qu'un Syrien est décédé d'une "crise cardiaque" dans un bus censé le transporter de la Békaa vers l'ambassade de Syrie à Yarzé, dans des circonstances toujours pas élucidées.
"Forte affluence"
La présidentielle syrienne est prévue le 26 mai, mais les Syriens vivant à l'étranger sont appelés à voter le 20 dans les ambassades. Ils auront le choix entre trois candidats : Bachar el-Assad, grand favori et candidat à sa propre succession pour un quatrième mandat, et deux concurrents, un ex-ministre et un membre de l’opposition tolérée par le pouvoir. Le scrutin présidentiel sera le second à être organisé depuis le début en 2011 d’une guerre dévastatrice en Syrie, déclenchée après la répression par le régime de manifestations réclamant des réformes démocratiques. Pour voter, les électeurs à l'étranger doivent disposer d'un passeport valide, frappé d'un tampon de sortie officiel du territoire syrien. De quoi exclure les millions de réfugiés ayant fui leur pays dans des conditions chaotiques. Aidé militairement par ses alliés iranien et russe, Bachar el-Assad a réussi à reprendre aux rebelles et aux jihadistes près des deux tiers du territoire au prix de combats destructeurs ayant fait plus de 388.000 morts.
Au Liban, la mission diplomatique a ouvert ses portes à 7h et a mis en place 17 isoloirs et 15 urnes, alors que les électeurs étaient déjà présents dès 5h du matin. L'ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdel Karim Ali, a voté le matin, selon une photo de l'Agence nationale d'information (Ani, officielle). Le diplomate a annoncé en journée que les bureaux de vote resteraient ouverts jusqu'à minuit "en raison d'une forte affluence d'électeurs".
De nombreux bus bondés de Syriens et décorés de portraits d'Assad et de drapeaux de la Syrie affluaient dès le petit matin des quatre coins du pays, au milieu d'un lourd dispositif sécuritaire libanais. Quelques drapeaux du Hezbollah et du Parti social national syrien (PSNS) étaient également visibles. En 2014, lors de la dernière présidentielle syrienne, l'autoroute Beyrouth-Damas menant à l'ambassade de Syrie à Yarzé avait été complètement bloquée durant des heures, dans une ambiance de chaos.
"C'est ce que Dieu veut"
A l'entrée de la mission diplomatique, une foule de Syriens s'est rassemblée le matin sur fond de musique patriotique, selon des images de la journaliste de L'Orient Today sur place, Abby Sewell. L'armée s'est fortement déployée sur place et dans le périmètre, afin d'éviter des débordements.
"Je viens de la Békaa pour voter. Je serais venue du fin fond du monde pour voter pour le docteur (Assad, NDLR)", affirme une électrice syrienne anonyme, la trentaine, à notre journaliste sur place Caroline Hayek. "Je ne vote que pour Bachar el-Assad. Je n'ai pas à choisir d'autres options car j'en suis convaincu depuis toujours", affirme un autre électeur, Mohammad Kheir Abou Turki, en dichdacha et keffieh à damiers rouges traditionnels.
Un père de famille originaire d'Alep, venu avec son épouse depuis Tripoli et qui réside au Liban depuis huit ans, arbore, lui, fièrement des photos d'Assad. Leurs cinq enfants, tous vêtus d'un treillis, font le signe de la victoire.
"Je viens du Hermel avec mes sept enfants afin de voter pour Bachar el-Assad. Cela ne fait aucun doute. C'est ce que Dieu veut", affirme Farha el-Assouad, une mère de famille syrienne originaire de Raqqa, à la journaliste Abby Sewell. "Tout ce que nous voulons, c'est le retour de la sécurité et la stabilité. Et si Dieu le veut, nous rentrerons en Syrie", ajoute-t-elle.
Heurts et blessés
Selon notre correspondant au Liban-Sud, Mountasser Abdallah, plusieurs bus arborant des portraits de Bachar el-Assad sont également partis le matin de Aakibiyé, à Zahrani, vers l'ambassade. "Nous allons renouveler notre allégeance au leader Bachar el-Assad afin que la Syrie demeure libre du terrorisme", affirme une électrice, citée par notre correspondant.
Des slogans qui agacent de nombreux Libanais opposés au régime Assad. Cela s'est traduit en échauffourées sur le terrain. Sept ressortissants syriens ont ainsi été blessés dans une bagarre avec des Libanais sur l'autoroute de Nahr el-Kalb, au nord de Beyrouth, alors qu'un convoi d'électeurs syriens pro-Assad passait par cet axe pour se rendre à l'ambassade de Syrie. Plusieurs dizaines d'hommes, dont nombre de partisans des Forces libanaises hostiles au régime Assad, ont ainsi pris part à cette bagarre. Ils ont saccagé plusieurs voitures du convoi syrien. La route a également été brièvement coupée un peu plus au nord à Jounieh. Et sur la place Sassine, à Achrafieh, une voiture décorée de drapeaux syriens a été saccagée dans les mêmes circonstances, avant que la police antiémeute n'intervienne.
Dans la Békaa, des manifestants libanais ont pour leur part bloqué des routes à Taalbaya-Saadnayel, une région à majorité sunnite, afin de protester contre des parades de partisans de Bachar el-Assad dans le secteur, rapporte notre correspondante dans la Békaa Sarah Abdallah. Ils avaient déjà manifesté la veille. Toujours dans la Békaa, un Syrien, M.S.A., âgé de 54 ans, est décédé d'une "crise cardiaque" dans un mini-bus alors qu'il se rendait avec d'autres réfugiés syriens à l'ambassade de Syrie. Une enquête est en cours pour élucider les circonstances de ce décès, alors que des incidents ont également éclaté ce matin dans la Békaa.
"Je ne trouve aucune justification aux attaques contre les bus transportant les Syriens", a déploré en conférence de presse l'ambassadeur de Syrie au Liban, estimant que les incidents "nuisaient à l'image du Liban". "Les masses de Syriens qui ont afflué auraient dû ravir tous les Libanais", a-t-il ajouté, demandant aux autorités libanaises d'"intervenir rapidement". Il a enfin indiqué avoir chargé les avocats de l'ambassade de porter plainte contre les agresseurs.
Le ministre sortant des Affaires sociales, Ramzi Moucharrafiyé, connu pour être proche du régime Assad, a lui aussi condamné ces agressions, appelant "toutes les parties concernées à prendre les mesures les plus fermes pour protéger nos frères syriens". Il a affirmé que leur protection était "une priorité".
Le Hezbollah, allié du régime syrien, a fermement condamné les "attaques odieuses menées par des groupes de partisans contre des citoyens syriens", dénonçant dans un communiqué des "abus racistes qui n'ont rien à voir avec les valeurs morales et les supposées relations naturelles entre les peuples libanais et syrien". "Ces groupes et les forces politiques qui sont derrière eux, ne représentent pas le peuple libanais qui tout au long de la crise syrienne a insisté pour accueillir les déplacés, et il ne fait aucun doute que le peuple libanais, dans sa majorité écrasante, n'a rien à voir avec ce comportement", ajoute le texte. Le Hezbollah a appelé "les autorités de sécurité et judiciaires à saisir ce dossier, prévenir les abus, poursuivre les agresseurs et mettre fin à la haine et au racisme".
Le mouvement Amal de Nabih Berry a lui aussi dénoncé dans un communiqué "les agressions contre les citoyens de la Syrie, un pays frère". "Ces comportements ne sont pas liés aux valeurs morales et humaines libanaises, mais représentent un racisme odieux qui est étranger à la société libanaise", a fustigé le mouvement.
Polémique FL-CPL
Ces derniers jours, plusieurs formations libanaises souverainistes et anti-Assad, notamment les FL de Samir Geagea, ont critiqué le vote des Syriens pro-Assad et appelé à leur retour en Syrie. La veille du vote, M. Geagea avait appelé à ce que les Syriens qui vont voter pour Assad rentrent chez eux. Après avoir rappelé la définition d'un réfugié, qui doit quitter son pays pour des "raisons de force majeure ou des risques sécuritaires" selon lui, il avait appelé le chef de l’État, Michel Aoun, et le Premier ministre sortant, Hassane Diab, à "donner leurs instructions" aux ministères de l'Intérieur et de la Défense et aux administrations concernées pour "obtenir les listes de noms des personnes ayant voté pour Assad". Toutes ces personnes doivent ensuite "être appelées à quitter immédiatement le Liban et rentrer dans les régions contrôlées par le régime en Syrie", avait-il ajouté. Un appel semblable a été également lancé aujourd'hui par le chef du Parti national libéral, Camille Dory Chamoun. Nadim Gemayel, député Kataëb et farouche opposant au régime Assad, a lui aussi appelé au départ des réfugiés syriens pro-Assad. "Que ceux qui veulent prêter allégeance à Assad le fassent en Syrie. Les convois pro-Assad ne passent pas par Jounieh et Nahr el-Kalb, et sûrement pas par Achrafieh. Les provocations sont inacceptables. Si les réfugiés veulent voter en faveur de celui qui a provoqué leur exode, cela prouve suffisamment qu'ils doivent quitter notre pays et rentrer chez celui qui les a expulsés de leur pays", a écrit M. Gemayel sur Twitter.
Réagissant jeudi aux propos de Samir Geagea et aux échauffourées sur le terrain, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, grand rival de M. Geagea sur la scène chrétienne, n'a pas tardé à critiquer les FL. "Quand nous revendiquions le retour des réfugiés syriens chez eux en toute sécurité et dignité, vous nous avez traité de racistes ! Quand nous avons mis au point un plan civilisé pour le retour sûr et digne des réfugiés, vous vous y êtes opposés en nous traitant de sectaires ! Quand vous agressez des votants pacifiques qui se dirigent vers l’ambassade de leur pays, et que vous portez atteinte à leur sécurité et à leur dignité, nous vous traitons de nazis ! Avec une seule différence, c’est que cette fois, il s’agit de la vérité." Il fait allusion aux accusations lancées récemment par M. Geagea à l'encontre du CPL lorsqu'il avait qualifié de nazies les pratiques du parti en politique.
La réponse, cinglante et détaillée, des FL n’a pas tardé, et elle est venue sous forme d’un communiqué du bureau de presse du parti. Rappelant que les FL sont les premiers à avoir milité pour un traitement humain des réfugiés tout en plaidant pour une politique d’organisation de leur présence au Liban en vue de leur retour, le parti accuse les cadres du CPL de prétendre revendiquer le retour des réfugiés chez eux, alors qu’ils n’ont rien fait pour cela, malgré leur présence substantielle au pouvoir. "Ces surenchères, populistes dans la forme et politiques dans le fond, ne visent qu’à couvrir le maintien de ces réfugiés au Liban, en conformité avec une décision du régime syrien qui refuse leur retour pour, comme chacun le sait désormais, des raisons démographiques", ajoute-t-il. "Pourquoi donc n’œuvrez-vous pas réellement à ramener ces gens chez eux ? Il y a une seule réponse à cette question, vous êtes des menteurs", poursuivent les FL.
Le CPL a répondu lui aussi par un communiqué, rappelant que son chef, l'ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, "a été le seul à refuser l'entrée aléatoire des réfugiés syriens au Liban, depuis 2011, alors qu'ils n'étaient toujours que 3.000 personnes". Le CPL rappelle aussi que "le ministre Bassil a aidé à la mise en place de plans de retour pour les réfugiés sauf que les gouvernements successifs refusaient de les adopter, les ministres FL en tête".
Sur les réseaux sociaux, des internautes Libanais ont fustigé la mobilisation des électeurs pro-Assad. "Le Syrien au Liban qui vote pour Bachar el-Assad, ça veut dire qu'il soutient le régime. Qu'il ramasse ses affaires et qu'il rentre sur ses terres", écrit l'un d'eux.
Autrefois sous tutelle syrienne, le Liban accueille 1,5 million de réfugiés syriens selon les autorités locales, dont moins d'un million sont enregistrés auprès des Nations unies. Les dirigeants libanais estiment régulièrement que la crise socio-économique et financière aiguë que traverse leur pays depuis plus d'un an et demi est, au moins partiellement, due à la présence des réfugiés. Les autorités de Beyrouth refusent de lier le retour des réfugiés syriens à une solution politique à la guerre qui ravage la Syrie.
commentaires (30)
Rixe entre nazis et niaiseux...!?
Wlek Sanferlou
00 h 13, le 21 mai 2021