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Culture - Exposition

Et à Marfa’ coule de nouveau une rivière

Fortement endommagée par la double explosion du port de Beyrouth, la galerie restaurée rouvre ses portes demain vendredi et présente une exposition, « Water », regroupant des œuvres de ses artistes sous le thème de l’eau, substance purifiante et source de (sur)vie. 

Et à Marfa’ coule de nouveau une rivière

« Étude sur l’inexistence de l’État » d’Ahmad Ghossein. Photo Michel Sayegh

En empruntant la petite impasse jouxtant le port de Beyrouth où la galerie Marfa’ a planté ses pénates en 2015, un silence assourdissant vous prend au cou et vous étreint, vous étouffant presque. Il y a presque un an, la double explosion du 4 août avait complètement soufflé ce secteur de la ville. C’est le cœur gros mais avec une détermination sans faille que Joumana Asseily a décidé d’ouvrir à nouveau les portes de sa galerie, après avoir reconstruit et remis à neuf les murs témoins de tant de bruits et de larmes. « La reconstruction de l’espace est presque terminée, et autour de nous, dans notre rue, des camions chargent et déchargent, des ouvriers soudent et reconstruisent, et la boulangerie du coin a rouvert. La vie reprend », dit la galeriste en plein accrochage de l’exposition « Water » (Eau), qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative mondiale « Galleries Curate:RHE ».

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« Galleries Curate est un groupe informel de galeries contemporaines du monde entier qui se sont réunies pour discuter de la façon de naviguer à travers les nouveaux défis de la crise mondiale qui affectait nos artistes, notre personnel et nos entreprises, indique Asseily. Les relations entre nous au fil des semaines d’échange sont devenues étroites et essentielles et nous avons découvert que si la pandémie avait brisé beaucoup de choses, elle nous avait aussi rapprochés. Un sens positif de la communauté a déclenché la positivité et les interactions coopératives. » Et de poursuivre : « Marfa’ est honorée de s’engager à collaborer avec les communautés locale et internationale. Nous traversons une période profondément troublante au Liban, où l’aggravation des crises a bloqué nos horizons et nos espoirs pour l’avenir. Cela n’a pas été évident d’ouvrir mais tel est notre travail. Si nous arrêtons de travailler, nous arrêtons de vivre. Ce n’est donc pas en dépit des circonstances et par résilience comme on le dit, mais plutôt avec ces mêmes circonstances à l’esprit, que nous avons décidé de rouvrir, de travailler au mieux de nos connaissances, à notre connaissance, dans un quartier détruit mais qui abrite toujours tous les artistes de Marfa’. »


« Plante de maïs », une acrylique sur toile de Omar Fakhroury. Photo DR


L’art guérisseur

Revenant à l’initiative « Galleries Curate:RHE », la responsable de la galerie Marfa’ précise : « RHE (du grec pour ce qui coule) est le premier chapitre de cette collaboration, une plateforme pour des expositions, des performances et des interventions publiques qui abordent vaguement le thème de l’eau – géographiquement, politiquement, économiquement ou métaphoriquement. »

Water rassemble donc tous les artistes de la galerie autour d’un sujet universel et fédérateur. Ils présentent un large éventail de supports, notamment le film, la photographie, la peinture, la sculpture et l’installation multisensorielle. Chaque artiste traduit ce thème à travers son point de vue unique, mettant en évidence la nature poétique, scientifique, politique, sociale et polyvalente de l’eau.


Une image de Rania Stephan, « Voyagez-vous par train ou par photo ? ». DR

À travers des blocs de béton et des tiges métalliques de 7,5 x 10,5 cm chacune, Ahmad Ghossein avait démontré dans son Enquête en 2017 que depuis le début du XXe siècle, date à laquelle les troupes françaises ont mesuré le niveau de la mer et l’altitude de la plupart des zones au-dessus du niveau de la mer, le gouvernement libanais n’a plus rien fait depuis dans ce domaine de recherches. Triste constat.

Plante de maïs de Omar Fakhoury (2021) est une acrylique sur toile qui dépeint un plant de maïs solitaire rencontré par le peintre au cours de ses balades sur le lieu du crime (le port).

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Dans sa Soupe volcanique (2015), Talar Aghbashian utilise des images fixes provenant de nombreuses sources, tirées de ses voyages, films, de nouvelles ou encore de sa culture populaire.

Quant à Tamara al-Samerraei, elle se demande dans sa peinture acrylique sur toile intitulée Fissure (2019-2021) comment un événement invisible affecte les propriétés tangibles d’une mer ou d’un site naturel. Et comment un spectateur inconscient le perçoit.

Les images Sea X3 (2019) de Rania Stephan proviennent de son film Train-Trains 2. Elles sont superposées dans le temps et dans l’espace. « Je me suis demandée un jour dans un rêve “Êtes-vous venu en photo ou en train ?” Toutes les photographies sont un moyen de transport et une expression de l’absence », estime l’artiste.


« La Fissure », acrylique sur toile de Tamara al-Samerraei. Photo Michel Sayegh

Dans son installation La cinétique de l’invisible (2021), Caline Aoun aborde l’espace « dans lequel nous entrons comme non statique ou cohérent » et utilise l’environnement en constante évolution ainsi qu’avec la galerie pour créer des formes tangibles à partir de matières autrement invisibles, qui témoignent de changements et de cycles.

Raed Yassin présente une vidéo intitulée Destination finale (2009) où passe en boucle l’image fixe d’un homme courant vers la mer. Très lentement, il devient de plus en plus pixelisé, comme si l’homme disparaissait dans l’eau.

Paola Yacoub montre dans Intrications (1994-2021) des photographies et des sculptures de cire montrant que l’eau et la terre sont inextricablement liées. D’un côté, l’eau qui prend la forme du contenant solide. Et d’un autre, l’eau qui peut aussi façonner les solides.

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Lamia Joreige présente pour sa part son film d’essai Nahr (Fleuve) où elle observe les aspects sociologique, politique et économique de lieux spécifiques à Beyrouth afin de comprendre et raconter des récits qui ont un sens aujourd’hui, avec un aperçu du passé. La rivière, un dépotoir sec la plupart de l’année, agissant comme un espace suspendu, lui permet d’explorer les notions de frontières et de paysages, et de réfléchir à la diversité de la population de migrants qui se sont installés autour. L’avenir du fleuve est inconnu, de même que la coexistence de toutes les communautés qui vivent aux alentours. De son côté, Stéphanie Saadé a suspendu au plafond un collier de perles qui tombe au sol en une sorte de flaque brillante. 2 832 perles, un chiffre qui correspond au nombre de jours écoulés entre la naissance de l’artiste et la date officielle de la fin de la guerre libanaise. Les perles d’apparence nacrées rappellent le monde aquatique...

L’art coule de nouveau à flots à Marfa’ à travers un mélange hétéroclite de mediums et de recherches ancrées dans la réalité sociale ou géographique libanaise. Il déborde même hors les murs vers les façades extérieures où le film de Vartan Avakian Short Wave, Long Wave (2010) sera projeté. Le port de Beyrouth apparaît alors au voyeur comme une illusion d’optique. Un mirage qui prend forme. Cette variation artistique témoigne d’une belle sublimation des blessures par l’art et de la volonté d’un peuple qui ne peut survivre sans culture.

Et à Marfa’ coule de nouveau une rivière... de talents. 

En empruntant la petite impasse jouxtant le port de Beyrouth où la galerie Marfa’ a planté ses pénates en 2015, un silence assourdissant vous prend au cou et vous étreint, vous étouffant presque. Il y a presque un an, la double explosion du 4 août avait complètement soufflé ce secteur de la ville. C’est le cœur gros mais avec une détermination sans faille que Joumana Asseily a...

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